Poésie

Message par NazimH » 26 Mars 2004, 13:51

Pour ceux qui n'ont jamais lu Nazim Hikmet, pourquoi on peut choisir un tel surnom :

Je suis dans la clarté qui s'avance
Mes mains sont toutes pleines de désir
Le monde est beau
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres
Les arbres si verts, les arbres si pleins d'espoir
Un sentier s'en va à travers les mûriers
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie
Je ne sens pas l'odeur des médicaments
Les oeillets ont dû s'ouvrir quelque part
Être captif, là n'est pas la question
Il s'agit de ne pas se rendre
Voilà.






et puis un de ces poèmes les plus connus :

AUTOBIOGRAPHIE


Je suis né en 1902
Je ne suis jamais revenu dans ma ville natale
Je n'aime pas les retours.
A l'âge de trois ans à Alep, je fis ma profession de petit-fils de pacha
à dix-neuf ans, d'étudiant à l'université communiste à Moscou
à quarante-neuf ans à Moscou, d'invité du Comité Central,
et depuis ma quatorzième année, j'exerce le métier de poète
Il y a des gens qui connaissent les diverses variétés de poissons
moi celles des séparations.
Il y a des gens qui peuvent citer par cœur le nom des étoiles,
moi ceux des nostalgies.
J'ai été locataire et des prisons et grands hôtels,
J'ai connu la faim et aussi la grève de la faim et il n'est pas de mets dont j'ignore le goût.
Quand j'ai atteint trente ans on a voulu me pendre,
à ma quarante huitième année on a voulu me donner le Prix mondial de la Paix
et on me l'a donné.
Au cours de ma trente-sixième année, j'ai parcouru en six mois quatre mètres carrés de béton.
Dans ma cinquante-neuvième année j'ai volé de Prague à La Havane en dix-huit heures.
Je n'ai pas vu Lénine, mais j'ai monté la garde près de son catafalque en 1924.
En 1961 la mausolée que je visite, ce sont ses livres.
On s'est efforcé de me détacher de mon Parti
ça n'a pas marché
Je n'ai pas été écrasé sous les idoles qui tombent.
En 1951 sur une mer, en compagnie d'un camarade, j'ai marché
vers la mort.
En 1952, le cœur fêlé, j'ai attendu la mort quatre mois allongé
sur le dos.
J'ai été fou de jalousie des femmes que j'ai aimées.
Je n'ai même pas envié Charlot pour un iota.
J'ai trompé mes femmes
Mais je n'ai jamais médit derrière le dos de mes amis.
J'ai bu sans devenir ivrogne,
Par bonheur, j'ai toujours gagné mon pain à la sueur de mon front.
Si j'ai menti c'est qu'il m'est arrivé d'avoir honte pour autrui,
J'ai menti pour ne pas peiner un autre,
Mais j'ai aussi menti sans raison.
J'ai pris le train, l'avion, l'automobile,
La plupart des gens ne peuvent les prendre.
Je suis allé à l'opéra
la plupart des gens ne peuvent y aller et en ignorent même le nom,
Mais là où vont la plupart des gens, je n'y suis pas allé depuis 1921 :
à la Mosquée, à l'église, à la synagogue, au temple,
chez le sorcier,
mais j'ai lu quelquefois dans le marc de café.
On m'imprime dans trente ou quarante langues
Mais en Turquie je suis interdit dans ma propre langue.
Je n'ai pas eu de cancer jusqu'à présent,
On n'est pas obligé de l'avoir
je ne serai pas Premier ministre, etc.
et je n'ai aucun penchant pour ce genre d'occupation.
Je n'ai pas fait la guerre,
Je ne suis pas descendu la nuit dans les abris,
Je n'étais pas sur les routes d'exode,
sous les avions volant en rase-mottes,
mais à l'approche de la soixantaine je suis tombé amoureux.
En bref, camarade,
aujourd'hui à Berlin, crevant de nostalgie
comme un chien,
Je ne puis dire que j'ai vécu comme un homme
mais le temps qu'il me reste à vivre,
et ce qui pourra m'arriver
qui le sait ?





et enfin un dernier, écrit en français :

LE CINQUIEME JOUR D'UNE GREVE DE LA FAIM


Mes frères,
Si je n'arrive pas à vous dire correctement
Ce que j'ai à vous dire,
Vous m'en excuserez,
Je suis gris, la tête me tourne légèrement,
Pas de raki.
De faim, un tout petit peu.

Mes frères,
Ceux d'Europe, ceux d'Asie, ceux d'Amérique,
Je ne suis ni en prison, ni en grève de la faim,
En ce mois de mai, je suis couché sur le gazon, la nuit,
Vos yeux sont tout près sur ma tête, luisant comme des étoiles,
Et vos mains, une seule main dans ma poignée
Comme celle de ma mère,
Comme celle de la bien-aimée,
Comme celle de la vie.

Mes frères,
Vous ne m'avez d'ailleurs jamais abandonné,
Ni moi, ni mon pays, ni mon peuple.
Autant que j'aime les vôtres,
Vous aimez les miens, je le sais.
Merci frères, merci.

Mes frères,
Je n'ai pas l'intention de mourir.
Si je suis assassiné
Je continuerai à vivre parmi vous, je le sais :
Je serai dans le vers d'Aragon
- Dans son vers qui raconte les beaux jours à venir -
Je serai dans le pigeon blanc de Picasso,
Je serai dans les chansons de Robeson
Et surtout
Et le plus beau :
Je serai dans le rive victorieux de mon camarade
Parmi les dockers de Marseille.
Pour vous dire la vérité, mes frères,
Je suis heureux, heureux à toute bride.
NazimH
 
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Message par pelon » 26 Mars 2004, 17:19

De mallarmé, je suis sûr que cela va vous plaire :hinhin:

a écrit :
Sonnet.
Quand l'Ombre menaça de la fatale loi,
Tel vieux Rêve, désir et mal de mes vertèbres,
Affligé de périr sous les plafonds funèbres
Il a ployé son aile indubitable en moi.

Luxe, ô salle d'ébène où, pour séduire un roi
Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres,
Vous n'êtes qu'un orgueil menti par les ténèbres
Aux yeux du solitaire ébloui de sa foi

Oui, je sais qu'au lointain de cette nuit, la Terre
Jette d'un grand éclat l'insolite mystère
Sous les siècles hideux qui l'obscurcissent moins.

L'espace à soi pareil qu'il s'accroisse ou se nie
Roule dans cet ennui des feux vils pour témoins
Que c'est d'un astre en fête allumé le génie.
pelon
 
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Message par pelon » 26 Mars 2004, 17:21

A la demande générale, du m^me :
a écrit :
Don du poème.
Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée!
Noire, à l'aile saignante et pâle, déplumée,
Par le verre brûlé d'aromates et d'or,
Par les carreaux glacés, hélas! mornes encor,
L'aurore se jeta sur la lampe angélique.
Palmes! et quand elle a montré cette relique
À ce père essayant un sourire ennemi,
La solitude bleue et stérile a frémi.
Ô la berceuse, avec ta fille et l'innocence
De vos pieds froids, accueille une horrible naissance:
Et ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en blancheur sibylline la femme
Pour des lèvres que l'air du vierge azur affame?
pelon
 
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Message par pelon » 26 Mars 2004, 17:29

De Victor Hugo, hélas :

a écrit :
NOs Morts
Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre ;
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert ;
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,
Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes ;
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant ;
La neige les modèle avec son linceul blanc ;
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,
Tâche encor de chasser quelqu'un à coup d'épée ;
Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard ;
Sur l'immobilité de leur sommeil hagard
Les nuits passent ; ils ont plus de chocs et de plaies
Que les suppliciés promenés sur des claies ;
Sous eux rampent le ver, la larve et la fourmi ;
Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi
Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre ;
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre,
Sont comme ceux auxquels Ezéchiel parlait ;
On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet,
La balafre du sabre et le trou de la lance ;
Le vaste vent glacé souffle sur ce silence ;
Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.
O morts pour mon pays, je suis votre envieux.
pelon
 
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Message par emma-louise » 26 Mars 2004, 18:04

Bravo mes ami-e-s !!! :w00t:
emma-louise
 
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Message par emma-louise » 26 Mars 2004, 18:11

emma-louise
 
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Message par Cyrano » 26 Mars 2004, 20:52

Pas de trucs trop long, il a dit, le monsieur!
Alors, tiens, ce qui me vient en tête, là:

LA BÊTE
Rio, 25 février 1947

J’ai vu hier une bête
Cherchant dans les ordures de la cour
Sa nourriture parmi les détritus.

Quand elle trouvait quelque chose,
Elle n’examinait ni ne flairait :
Elle avalait avec voracité.

La bête n’était pas un chien,
Elle n’était pas un chat,
Elle n’était pas un rat,

La bête, oh ! mon Dieu, était un homme.

Manuel Bandeira
Poètes d’Aujourd’hui. N° 132. Seghers (je viens d'aller vérifier)
Cyrano
 
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Message par boispikeur » 26 Mars 2004, 21:08

Les assis, de Rimbaud
a écrit :Les assis
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;
L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée
Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.

- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage...
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves,
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue :
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.

Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières,
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisière
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;

Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis


Chanté par Léo Ferré, brrrrrrrrrrrr! ça le fait
boispikeur
 
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