Sur le"passé"(?) colonial de la France

Message par emma-louise » 19 Jan 2003, 06:08

Il ne suffit pas d'établir des vérités pour que les mémoires cessent de saigner"
par Benjamin Stora
Benjamin Stora, né à Constantine (Algérie) en 1950, enseigne l'histoire du Maghreb et de la colonisation française aux Langues'O et à Paris-VIII. Il est l'auteur de nombreux ouvrages et de documentaires sur la guerre d'Algérie.

[ LE MONDE - 30 juin 2002 ]

Quarante ans après, l'indépendance de l'Algérie n'appartient pas seulement à l'histoire mais apparaît, en France, comme un élément de l'actualité. Pourquoi ?
D'abord parce que l'indépendance, c'est l'arrachement d'un million de Français d'Algérie à leur terre natale. Les pieds-noirs ont toujours eu le sentiment d'avoir été abandonnés, trahis, et certains se réfugient aujourd'hui dans des votes extrémistes, comme si s'était réveillée une mémoire de revanche.

Ainsi, paradoxalement, plus on s'éloigne de la fin de l'Algérie française, plus cette histoire revient dans la société. La brutalité de l'exil des pieds-noirs, pendant l'été 1962, tout comme les massacres de harkis, sont fondamentaux pour comprendre comment la France a géré l'indépendance algérienne. Ces deux populations en exil ont porté, jusqu'à aujourd'hui, la mémoire de la guerre d'Algérie et de l'indépendance.

Plus fondamentalement, l'indépendance de l'Algérie, c'est la fin d'une histoire française, la fin d'un nationalisme qui se pensait sans le dire sous une forme impériale. La magie du verbe de De Gaulle a longtemps permis d'effacer cette réalité-là. Les Français n'ont pas pris conscience qu'avec la perte de l'Algérie s'achevaient deux siècles d'aventure coloniale et que le nationalisme français, rétréci à l'Hexagone, entrait en crise.

Comment analysez-vous le trou de mémoire de l'après-1962 ?
Le moment de l'indépendance a été organisé comme l'oubli d'une défaite, qui, même si elle est politique et non pas militaire, constitue une profonde blessure narcissique. La rapidité extraordinaire avec laquelle la France a tourné la page montre que, dans l'esprit de De Gaulle, il fallait très vite passer à une autre histoire, celle de la modernité économique, de la génération du baby boom, de l'Europe : la France voulait oublier le Sud. Cette frénésie de l'oubli a préparé des retours de mémoire dangereux car il est impossible d'oublier un cataclysme de cette ampleur.

Considérez-vous les récents succès de Jean-Marie Le Pen comme les lointaines conséquences de cette stratégie de l'oubli ?
La force de l'extrême droite tient en grande partie à l'évacuation de l'histoire coloniale de la mémoire française. En refusant tout examen de conscience, la V-ème République s'est privée de la possibilité de combattre idéologiquement les partisans de l'Algérie française.

Mais aujourd'hui, le Front national serait-il le seul parti à porter explicitement cette mémoire coloniale ?
C'est effectivement la singularité de l'extrême droite de porter une mémoire coloniale qui n'hésite pas à hiérarchiser la société sur une base raciale, à théoriser le refus du mélange. Une partie du vote Le Pen s'explique par une adhésion à cette mémoire et vient redoubler une frustration sociale.

En Algérie, la colonisation visait à privilégier les "Européens" et à les séparer des "Musulmans", non assimilables. Le transfert de ce vocabulaire dans la France actuelle est assumé par l'idéologie du FN, qui revendique cette filiation coloniale sans la moindre culpabilité. Avec Vichy, la filiation existe aussi, mais elle ne peut être explicite à cause de la Shoah. Rien de tel sur l'Algérie coloniale, puisque Le Pen revendique y avoir combattu.

Cela signifie-t-il que le passé de tortionnaire de M. Le Pen ne refroidit pas ses électeurs ?
Enquêter, établir des faits, permet toujours de faire avancer les choses, mais c'est vrai qu'il tire fierté de cette mémoire coloniale. Et cela porte : je suis frappé de constater que certains pieds-noirs et harkis demeurent convaincus qu'une victoire française était possible. Quarante ans après, ils n'admettent toujours pas l'indépendance et sont convaincus que les drames actuels de ce pays en découlent. La mémoire de la revanche vient se loger dans cet aveuglement qui se mêle à l'amour déçu de la terre natale. Un tel refus, profondément ancré dans la société française, bloque le débat à la fois sur la question coloniale et sur le devenir de l'Algérie.

Pourtant, on est passé en quelques années d'une situation d'amnésie sur la guerre d'Algérie à une abondance de manifestations de mémoire...
C'est vrai, un seuil a été franchi : après une période d'occultation, tout revient de façon désordonnée. Les dernières investigations journalistiques sont autant d'outils pour les nouvelles générations qui vont s'emparer du sujet et comprendre que l'histoire de l'Algérie n'est pas celle d'un paradis perdu. Mais les historiens savent qu'il ne suffit pas d'établir des vérités pour que les mémoires cessent de saigner. La question algérienne est politique et ne peut pas rester confinée au domaine de la recherche académique. Il faudrait soutenir des initiatives comme l'aménagement de lieux de mémoire, la refonte des manuels scolaires, les commémorations. Or les politiques refusent d'assumer la fin de la guerre, ils ne sont même pas en mesure de définir une date reconnue par tous. Et si la fin de la guerre n'est pas admise, il est logique qu'elle continue dans les têtes.

Comment franchir l'obstacle ?
Sortir de la guerre d'Algérie, c'est sortir du cadre de la V-ème République, qui en est l'héritage. C'est impensable pour la classe politique actuelle, qui préfère oublier que ce régime a été conçu en 1958 pour permettre au président de conduire la guerre. Or l'extrême concentration des pouvoirs ne se justifie plus aujourd'hui.

En quoi la coexistence des mémoires antagonistes des pieds-noirs, des harkis et des immigrés pèse-t-elle sur la société française ?
Le refus d'affronter la mémoire collective fait que chacun se réfugie dans sa propre mémoire. Quatre groupes - pieds-noirs, harkis, soldats et enfants d'immigrés, soit 5 à 6 millions de personnes - ont transmis leur propre vision de l'Algérie. Dès lors, le décloisonnement des mémoires ne peut résulter que d'une volonté politique.

Enseigner l'histoire de l'Algérie est-il un moyen de lutter contre le racisme anti-maghrébin ?
Entre autres ! Il faut commencer par là, mais aussi aider les élites issues de l'immigration et lutter contre l'abandon politique et social qui renforce le sentiment communautaire. Les préjugés anti-maghrébins se nourrissent aussi d'une rumination nationaliste, sur le refus de l'héritage colonial perdu qui fait dire en substance : "Vous avez voulu être indépendants et maintenant, vous venez nous envahir..."

Comment avez-vous analysé les sifflets de La Marseillaise au stade de France lors du match France-Algérie ?
Les enfants de l'immigration algérienne se sentent complètement perdus dans toute cette histoire. Ils fantasment sur la défaite de la France, la puissance de l'Algérie, ce qui reflète une grande méconnaissance des réalités. Ils bricolent une identité entre les bribes transmises par leurs parents et la télévision. Cela aboutit à une catastrophe identitaire : ils ne sont ni dans l'histoire algérienne - dont ils ignorent les drames passés -, ni dans l'histoire française. Ce sont les enfants d'une histoire non transmise du côté algérien. Or les deux pays fonctionnent en miroir : si on ignore ce qui se passe en Algérie, on ne peut pas comprendre ce qui se passe dans la société française.

Quand on parle aux Algériens d'aujourd'hui, de la guerre d'Algérie, ils demandent : "laquelle ?" Les violences actuelles seraient-elles les derniers avatars de la colonisation ?
On ne peut pas comprendre les spasmes qui secouent l'Algérie sans les mettre en rapport avec l'histoire coloniale longue. La dépossession violente de la terre est une caractéristique spécifique de l'histoire algérienne, qui a abouti, au moment de l'indépendance, à la violence de la repossession de soi, seule façon de faire sauter le verrou colonial. D'où ce rapport à l'histoire où la violence est omniprésente, au détriment du politique. Le besoin perpétuel de sacraliser l'État, la méfiance à l'égard des minorités sont des legs de l'histoire qui ne peuvent être jetés par-dessus bord du jour au lendemain.

Comment situez-vous la mémoire des harkis dans ce nouveau paysage ?
La crise du F.L.N. a mis en lumière l'existence ancienne de groupes hostiles au nationalisme algérien comme les harkis. Leur résurgence en France ne se comprend qu'à travers la crise de la nation en Algérie. Le mouvement harki est une "chouannerie", un puissant mouvement de paysans algériens en armes, qui refusent l'idée d'une nation centralisée parce qu'ils restent attachés à un ordre pré-colonial. Pour eux, le F.L.N."vient de la ville" et veut les faire sortir de ce système archaïque. La France a surfé sur ce mouvement paysan "réactionnaire" en le fournissant en armes pour contrer le F.L.N.. Si on ne voit pas les harkis comme mouvement contre-révolutionnaire, il est impossible d'expliquer pourquoi 100 000 hommes ont rejoint l'armée française. Parce qu'ils aimaient la France ? Parce qu'ils touchaient une solde ? Parce que le F.L.N. avait commis des exactions contre leur famille ? Toutes ces raisons existent. Mais, plus fondamentalement, il s'agit d'un mouvement algérien paysan qui ne connaissait pratiquement rien de la France avant la guerre, mais auquel se rattachent toujours un certain nombre de paysans algériens.

Le mouvement vers une histoire plus contradictoire serait, selon vous, parallèle en France et en Algérie ?
En réalité, les mouvements souhaitables dans les deux pays sont inverses : en France, les politiques et l'État doivent prendre leurs responsabilités sur la guerre d'Algérie. Côté algérien, l'État doit perdre le monopole de la mémoire, pour revenir à la société. Le fait que des groupes d'Algériens se réapproprient des épisodes de leur histoire gommés par le F.L.N. montre que l'on sort progressivement d'une histoire officielle falsifiée.

Comment expliquez-vous que l'on observe aussi en Algérie des manifestations de nostalgie à l'égard de la France ?
Par le désespoir, par l'ignorance. Il existe parmi les jeunes générations algériennes une nostalgie d'un temps qu'on n'a pas connu. L'édification d'un espace mixte de mémoire s'est accélérée depuis la révolution de la parabole : l'irruption de la société occidentale par la télévision nourrit les frustrations. C'est un considérable moyen de décloisonnement des mémoires, mais aussi de confusion, de perte de repères.

Pourquoi Jacques Chirac ne tient-il pas, à propos de la guerre d'Algérie, le même discours de vérité que celui qu'il a eu à propos de la responsabilité de Vichy dans la rafle du Vel' d'Hiv' ?
Parce qu'il craint de rallumer des conflits en parlant. Or la société française est en demande et les nouvelles générations - pas seulement les enfants d'immigrés algériens - portent cette histoire de façon différente. Ne pas aborder la question algérienne revient à ne jamais parler directement à ces jeunes qui veulent comprendre et n'ont aucune raison de s'encombrer d'une histoire coloniale.

L'autre raison du silence de M. Chirac est qu'il a été un acteur de la guerre d'Algérie, qu'il se souvient parfaitement des déchirures de la famille gaulliste à cette époque. Il devrait s'arracher à son propre vécu car différer la parole sur cette question, c'est s'exposer à des réveils douloureux. M. Chirac n'a jamais voulu franchir le pas. Pourquoi ne prendrait-il pas une initiative, lui qui est si imprévisible ?
emma-louise
 
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Message par emma-louise » 19 Jan 2003, 07:06

FN : des millions d'électeurs convaincus
par Michel Samson (auteur de "le front national aux affaires"(sur Toulon))

Les cinq millions et demi de voix rassemblées par Jean-Marie Le Pen vont peut-être forcer les acteurs politiques et les commentateurs à abandonner enfin le concept rassurant de "vote protestataire". Le mot est creux parce que les électeurs du FN connaissent parfaitement les grandes lignes du programme de leur candidat, sa personnalité et ses mythes de référence : aucun autre homme politique n'a été autant interrogé, décrit, caricaturé, expliqué que lui depuis quinze ans. L'utopie démocratique qui consiste à considérer tout électeur comme éclairé, qu'il le soit on non dans la réalité, vaut pour eux comme pour les électeurs de Jospin ou de Chirac, qui connaissent souvent moins bien le programme de leur héraut que ceux du FN. De surcroît, depuis 1995, quatre villes sont gérées par l'extrême droite, et les équipes municipales de trois d'entre elles ont été reconduites en 2001 en pleine connaissance de cause, confirmant l'existence d'une extrême droite de gestion.

Ce mot de "protestataire" sert alors à masquer l'essentiel : cet électorat, plus massif le 21 avril que celui du PS, est raciste et xénophobe, au sens ordinaire de ces mots. Raciste, c'est-à-dire considérant que des races, parfois identifiées par la couleur de la peau, parfois par une religion (les juifs, par exemple), sont inférieures à d'autres. Il n'est pas besoin d'outils très performants pour acquérir cette certitude : il suffit de parler avec les dirigeants, les cadres, les militants et les électeurs de ce courant. C'est sur le rejet des Arabes, leur première cible, et de tous les autres étrangers qu'ils sont d'abord d'accord avec leur chef. Le phénomène n'est pas neuf : il traverse toute l'histoire du FN depuis sa création et sa lente implantation.

Ces électeurs sont aussi xénophobes, c'est-à-dire hostiles aux étrangers et prêts à leur appliquer dès que possible des mesures inégalitaires et vexatoires. La préférence nationale que prône Jean-Marie Le Pen est la formule rassurante qui veut traduire en actes ce qui constitue le c½ur de sa doctrine. Réserver allocations, retraites et autres prestations aux nationaux revient à voler aux autres une part de ce qui leur est dû : les travailleurs étrangers qui travaillent en France cotisent à la Sécurité sociale, aux caisses de retraite, aux Assedic, payent leurs impôts. De surcroît, en consommant nourriture, essence, cigarettes ou films, ils paient les impôts indirects, TVA et taxes, ce qui leur donne droit aux soins hospitaliers, aux programmes de télévision, aux autoroutes, aux écoles, à la protection policière, etc., que l'on paye avec cet argent. La préférence nationale se propose donc de leur prendre une partie de ce qui leur revient légitimement sans autre raison que le lieu de naissance de leurs parents. L'intense propagande sur ce thème très populaire tend aussi, bénéfice indirect, à exercer une pression forte sur les étrangers afin qu'ils acceptent des salaires inférieurs à la norme locale.

LE RACISME, AU-DELÀ DU FN
Les électeurs frontistes le savent parfaitement, et, par exemple, dans les terres agricoles du nord des Bouches-du-Rhône : les salariés étrangers y travaillent souvent à bas prix pour leurs employeurs - qui votent massivement FN...

Or ce qui est frappant dans toutes les campagnes électorales depuis que le FN existe, c'est que les acteurs politiques, candidats et militants, répondent très rarement sur ce point, central, du programme du Front, préférant en appeler au fascisme ou aux années 1930. A écouter les gens dans une région de forte implantation frontiste, on pressent une raison à cette timidité : le racisme, et sa traduction en mots policés, paraît partagé bien au-delà de l'électorat du FN, et prospère dans tous les courants politiques. Les candidats et les élus préfèrent donc contourner le problème en diabolisant le FN plutôt que d'expliquer avec précision en quoi ce parti est hors du cercle de la République démocratique.

Les responsables politiques sentent aussi, intuitivement, qu'ouvrir cette discussion, c'est ouvrir la boîte de Pandore du contrat républicain à la française, magnifiquement égalitaire dans les textes et devenu obsolète dans sa pratique. En effet, la fiction de citoyens égaux par l'assimilation ne marche plus depuis fort longtemps. Au contraire, les enfants des immigrations qui ont le mieux conservé une partie de leurs traditions, associations, coutumes et porte-parole sont aussi ceux qui se sont le mieux adaptés à la réalité du pays d'accueil. Les Arméniens du Midi en sont un très bon exemple, comme les Polonais du Nord.

La défense abrupte du pacte assimilationniste, très largement partagé de gauche à droite, n'est qu'une forme discrète de l'exclusion des populations les plus récemment arrivées, à qui on refuse des droits élémentaires, comme celui de prier ou d'enterrer leurs morts dignement, et qu'on maintient avec énergie hors du champ de la représentation politique. Les parents de l'immigration arabe ne votent pas, leurs enfants ne sont jamais proposés aux postes électifs : il n'y a pas un seul député à nom arabe dans cette France si républicaine ! D'ailleurs, et comme par hasard, puisque tous les enfants du pays sont censés être des citoyens sans appartenance, tous les présidents de la République depuis 1945 sont blancs et d'origine catholique.

Ce contrat républicain est obsolète parce que son élaboration remonte à la IIIe République et que le cadre de la laïcité date de 1905. La France a radicalement changé de populations depuis : il y a en France des églises, des temples et des synagogues en bonne pierre, et on discute encore de la construction de mosquées. En outre, les questions de souveraineté, qui déterminent aussi le statut de chacun des citoyens dans l'espace français, ont aussi totalement changé de nature. On se demande bien pourquoi, en 2002, la plupart des emplois de la fonction publique sont encore assujettis à la préférence nationale : il y a belle lurette que les fonctionnaires, pour l'essentiel d'entre eux, ne détiennent plus une once minuscule et précieuse de la souveraineté de l'Etat en construction, ce qui justifiait en partie cette exclusion des étrangers. Et si la fonction militaire peut être réservée à des Français, défense de la nation oblige, croit-on que la distribution du courrier doive l'être au nom de cette souveraineté sacrée ?

Répondre à Le Pen sur la préférence nationale force à ouvrir tous ces dossiers, bref à repenser entièrement la République et à sortir de la diabolisation du communautarisme. Cela conduit surtout à déstabiliser un bonne part de la clientèle des partis organisés. Chacun le pressent et préfère donc en appeler au diable plutôt que de risquer ces débats délicats. Malgré la cuisante défaite de Jean Marie Le Pen, ils sont devant nous.
emma-louise
 
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Message par emma-louise » 21 Jan 2003, 16:23

Une des activités de la LDH à Toulon : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur des hommes. » Albert Camus

Toulon possède, depuis bientôt un an, un carrefour "général Raoul Salan", en haut du boulevard Sainte-Anne. L'extrême droite a laissé là, au pied du Faron, une trace de son passage à la mairie de Toulon.

Le choix du lieu ne doit sans doute rien au hasard. Comme le rappelait Var-Matin dans son édition du 8 novembre dernier : "le 15 août 1964, lors d'une visite au Mémorial du débarquement de Provence [en haut du Faron], une bombe déposée dans une jarre par l'OAS attendait le chef de l'Etat. Certes l'attentat fut manqué, mais Charles de Gaulle ne revint plus que contraint à Toulon."

Le prétexte invoqué pour le choix du nom est que Salan a été le libérateur de Toulon, en août 1944. Certes, le colonel Raoul Salan, commandant du 6ème régiment de tirailleurs sénégalais, a participé à la libération de la ville. Mais, jusqu'en décembre 2000, les Toulonnais attribuaient leur libération au Maréchal de Lattre de Tassigny, à la tête de la 1ère Armée française.

Pourquoi l'extrême droite a-t-elle donc choisi de rendre hommage à Raoul Salan ? Son nom reste attaché à la guerre d'Algérie, où il a été commandant en chef de 1956 à 1958. Comme vous le savez, les autorités civiles et militaires de l'époque ont couvert des pratiques qui sont aujourd'hui condamnées par les plus hautes autorités de l'Etat. Mais le nom de Salan est, avant tout, associé à deux épisodes importants de cette guerre :

Il a été l'un des quatre généraux du putsch d'avril 1961, pour l'"Algérie française" – tentative de soulèvement de l'armée contre le gouvernement légitime de la République.

Il a été l'un des dirigeants de cette entreprise sanglante, l'OAS : " Je suis le chef de l'O.A.S.. Ma responsabilité est donc entière. Je la revendique [...] " devait-il déclarer le 16 mai 1962, au début de son procès.

Sa participation à ces deux aventures lui a valu d'être condamné à la prison à vie en 1962. Par la suite, il devait être amnistié en 1968, puis réhabilité en 1982. Il n'en demeure pas moins que nombre de nos concitoyens sont choqués de voir honoré l'auteur de tels actes de rébellion contre la République. Nous-mêmes avions protesté en décembre 2000, dès que nous avions eu connaissance des intentions de la municipalité d'alors.

Pour beaucoup de Toulonnais la guerre d'Algérie est une période douloureuse : eux-mêmes ou leurs parents ont été acteurs et/ou victimes de cette tragédie. Aujourd'hui, on parle beaucoup de "devoir de mémoire" ; il faut alors prendre en compte des mémoires partielles : celle des Rapatriés, celle des Harkis, celle des appelés, celle des Algériens… Mais la guerre est finie, depuis quarante ans ! Il est temps de substituer aux mémoires éclatées une mémoire partagée. Nous avons maintenant un devoir de vérité : assumer ensemble le passé de la France en Algérie et construire une mémoire commune.

Le maintien du nom de ce carrefour serait compris comme une concession à l'extrême droite et à ses thèmes anti-républicains, une façon d'entretenir l'antagonisme des mémoires et un refus de la vérité. C'est pourquoi nous insistons pour que ce carrefour soit débaptisé
emma-louise
 
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Message par emma-louise » 07 Fév 2003, 07:12

Mercredi 12 février, à 20h45, sur ARTE, première partie du
documentaire
inédit d'André Gazut : "Pacification en Algérie".

Jeune journaliste en 1958, André Gazut refusa de porter les
armes. Il
revient sur cette époque où on massacrait au nom de la
France ; il
désigne les responsables. Un constat accablant. (Télérama)
La seconde partie est annoncée pour le mercredi 19 février

André Gazut était venu à Toulon, le 17 octobre 2001, en
compagnie de
Simone de Bollardière, pour présenter un autre de ses films
:
"le général de Bollardière et la torture".
emma-louise
 
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Message par emma-louise » 11 Fév 2003, 17:54

PACIFICATION EN ALGERIE
Documentaire en deux parties d'André Gazut - Coproduction : Article Z - Arte France

Première partie : Le sale boulot
( mercredi 12 Février 2003 à 20h45 - dans Les mercredis de l'histoire, sur ARTE
Rediffusions le 19 Février à 15h15 et le 23 Février à 0h35 )


La première partie de " PACIFICATION EN ALGERIE " débute en 1945 pour s'interrompre en 1956. En Mai 1945, Paris fête la fin de la barbarie nazie, alors qu'au même moment, de l'autre côté de la Méditerranée, l'armée française massacre plus de 10.000 personnes en Algérie en représailles au soulèvement nationaliste de Sétif. Les Algériens, qui ont combattu l'Allemagne aux côtés des Français, réclament l'indépendance. Mais la France s'accroche à son empire, croyant défendre sa grandeur perdue. Dans l'imagerie coloniale de l'époque, l'Algérie ne serait rien sans l'œuvre civilisatrice de la France. " L'Algérie, c'est la France ", dit François Mitterrand, et quand, en 1954, commence véritablement la guérilla du FLN, les gouvernements de la IVe République vont laisser carte blanche à l'armée pour rétablir l'ordre. On " dépoussière " les lois de " responsabilité collective " abrogées à la Libération par de Gaulle, on censure la presse, on ouvre des " camps de regroupement ", on menace les soldats qui oseraient dénoncer les tortures : c'est la " pacification " de l'Algérie, officiellement une opération de police, en fait une véritable guerre qui va s'intensifier en 1958 avec le vote des pleins pouvoirs à l'armée.

Anesthésie de la conscience
En exergue au documentaire, deux questions : " Où finit la soumission à l'autorité ? Où commence la responsabilité de l'individu ? " Ces questions, André Gazut y a été confronté en son temps puisqu'il a été photographe puis soldat durant la guerre d'Algérie. Il y a même doublement répondu, d'abord par la désertion et l'exil, puis par son engagement dans le cinéma ( cameraman du film " Le chagrin et la Pitié ", réalisateur il est également l'auteur d'un portrait resté longtemps censuré du général de Bollardière ). S'appuyant sur son expérience de la guerre, il explore l'état d'esprit des acteurs de ce drame - de l'appelé au gradé, du para à l'élu, de Ben Bella aux combattants algériens - et nous laisse le soin de juger. Il montre la rancœur de l'armée, défaite en 1940 et humiliée en Indochine. Il explique l'indifférence puis la complicité de l'opinion publique, le racisme ordinaire, les ratonnades, le mépris envers les premiers immigrés algériens. Il interroge la faiblesse des protestations, l'absence de résistance : une stupéfiante " anesthésie de la conscience " " qui a poussé les plus militants, même les plus chrétiens, à " faire leur boulot, un sale boulot ". Aux témoignages d'une grande quantité répondent des documents étonnants : actualités télévisées, discours va-t-en-guerre et surtout ces films de propagande destinés à démontrer aux appelés que la France est avant tout là pour " gagner les coeurs et les âmes " des Algériens. Une mise en perspective claire pour comprendre les enjeux tant historiques qu'humains de la guerre d'Algérie.


Deuxième partie : La politique du mensonge
( sur ARTE, mercredi 19 Février à 20h45 )


Comment a-t-on pu justifier " la sale guerre " menée par la France en Algérie ? Comment a-t-on pu laisser faire, accepter l'inacceptable, la torture et la barbarie ? Dans la seconde partie de " PACIFICATION EN ALGERIE " André Gazut pose la question des responsabilités, morales et politiques, des élites. Un réquisitoire accablant.

Dans cette seconde partie, André Gazut reprend la chronologie où il l'avait laissée. On est en 1956, la " pacification " suit son cours dans l'indifférence générale. A part les familles où l'un des fils est appelé à combattre, peu de gens se sentent concernés par les " évènements " d'Algérie. Portant, c'est bientôt la " bataille d'Alger ". Les paras ont tous les pouvoirs pour réprimer le " terrorisme " et ne s'en privent pas : arrestations massives, torture, exécutions sommaires. Quiconque dénonce les pratiques de l'armée est aussitôt accusé de subversion communiste et sanctionné. A la télévision, le président du Conseil ment aux Français. Alors que l'armée sabote systématiquement les tentatives de négociation avec le FLN, les tendances s'exacerbent en son sein. En Mai 1958, elles imposent le retour aux affaires du général de Gaulle, puis fomentent le " putsch des généraux " en 1961 contre cette nouvelle République qui négocie l'indépendance de l'Algérie.

J'accuse !
A la différence de la première partie, " Politique du mensonge " n'est pas centrée sur le vécu des appelés. Le ton change, les images se font plus dures : André Gazut accuse. Il interroge les plus proches collaborateurs du pouvoir et dénonce les hommes politiques, socialistes en tête, qui ont lâché la bride à l'armée et couvert ses exactions, pourvu que les résultas suivent. Il utilise des extraits de son film sur le général de Bollardière et fait intervenir le général Massu, le colonel Argoud, chef de " l'action psychologique ", le ministre résident Robert Lacoste, Gisèle Halimi et Pierre Mesmer, ministre des Armées de de Gaulle.


Note d'intention du réalisateur ( André Gazut )
Le choc de photographies de torture vues en 1958 à la rédaction du mensuel " Réalités " où je suis un jeune reporter-photographe de 18 ans va bouleverser ma vie. Pour moi, orphelin d'un père mort prisonnier en Allemagne, la torture c'est le symbole du nazisme. Mais en Algérie, c'est mon pays qui torture, humilie. Incorporé comme infirmier dans les parachutistes, je déserte. Obsédé par la guerre d'Algérie que j'ai refusé de faire et obsédé par le problème de la violence, je couvre une quinzaine de conflits comme réalisateur.

En 1970 je réalise un reportage aux Etats-Unis sur le procès du massacre de Song-Mi, au Vietnam. Puis en 1973, une enquête sur la torture dans le monde et en 1974 un documentaire sur le général de Bollardière, seul officier supérieur à avoir refusé publiquement en Algérie l'emploi de la torture. J'enregistre alors les témoignages du Général Massu et de Robert Lacoste. Ce film, produit par la Télévision suisse romande sera diffusé en Suisse, en Belgique et au Canada, mais pas en France.

Le 23 Novembre 2000, en première page, " Le Monde " publie des interviews des généraux Massu et Aussaresse, suite au témoignage de l'algérienne Louisette Ighilahriz torturée par des parachutistes. Commence alors un débat de société. A la demande de diverses organisations, je parcours la France pour projeter le film sur le général de Bollardière qui suscite d'émouvants et précieux témoignages d'anciens appelés en Algérie.

Patrice Barrat, producteur d'ARTICLE Z, me demande alors de développer un projet sur cette " guerre refoulée ".

Le temps est venu d'aborder les non-dits de la guerre d'Algérie. Recueillir les témoignages des appelés est nécessaire mais il faut situer le contexte de ce conflit : guerre froide, perte de l'Indochine, décolonisation. Faire sentir la société française d'alors où dominent deux sensibilités : catholique et communiste. Appréhender la faiblesse politique de la IVe République qui ne résistera pas à la poursuite de la guerre en Algérie. Recréer l'ambiance dans laquelle se trouve le jeune appelé soumis à la propagande de l'action psychologique de l'armée. Ne pas oublier les occasions manquées de négociations possibles. Et puis présenter les mensonges des politiques, des militaires et le silence de l'aumônerie militaire. Faire reposer le film sur ma propre expérience de jeune français pendant la guerre d'Algérie qui choisit de déserter.

Je suis reconnaissant à ARTE et à ARTICLE Z de m'avoir encouragé et entouré dans ce travail de retour sur moi-même et sur la société française pendant la guerre d'Algérie.


Note d'intention du producteur ( Patrice Barrat, ARTICLE Z )
Bien sûr vous savez tous qu'après des années de silence relatif le guerre d'Algérie donne lieu désormais à nombre d'oeuvres et d'ouvrages. Cela devait arriver un jour à la société française et il est plutôt sain que le débat soit vraiment ouvert, quitte à créer peut-être une impression de saturation. Mais ce serait là une fausse impression, car il est évident que tant que l'Etat français n'aura pas qualifié plus clairement cette période de l'histoire, redéfini autrement sa responsabilité quant au sort des différentes communautés, eh bien le débat se prolongera.

Dans ce sens il y a tout lieu de penser que PACIFICATION EN ALGERIE d'André Gazut apporte une pierre nouvelle plutôt que de calquer d'autres pierres de l'édifice de notre mémoire collective en construction.

Ave le film d'André, nous passons du constat sur ce que fut la répression par l'armée française pendant la guerre d'Algérie, à un questionnement sur la responsabilité. Celle de l'individu qui accepte ou non de se soumettre à l'autorité, et celle, morale et politique, des élites.
Lui-même déserteur pendant la guerre d'Algérie, ancien photographe, devenu, dans son exil suisse, réalisateur jusqu'à diriger l'émission Temps Présent, caméraman du film " Le chagrin et la Pitié ", auteur d'un portrait longtemps censuré du général de Bollardière. André Gazut ne dissimule pas son propre engagement. C'est même un tremplin pour aborder, confronter ses personnages dans PACIFICATION EN ALGERIE : appelés, dirigeants politiques, syndicaux ou même religieux…
Le débat qui s'est ouvert sur la guerre d'Algérie basculera forcément, un jour, d'une question confiée aux seuls historiens vers une question posée à l'Etat français. Et PACIFICATION EN ALGERIE pourrait avoir sa part dans ce basculement…

( Service de Diffusion d'ARTE )

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emma-louise
 
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