Guédiguian, le naufrage final ?

Message par Enjolras » 08 Oct 2004, 16:12

Mitterrand le retour

Huit ans après la mort de l'ancien président, Robert Guédiguian lui redonne chair dans «le Promeneur du Champ de Mars». En exclusivité, le cinéaste raconte la genèse et le tournage d'un film (très) attendu pour février.

Par Antoine de BAECQUE

vendredi 08 octobre 2004 (Liberation - 06:00)




C'est au château de Champs-sur-Marne que Robert Guédiguian a trouvé son Elysée. Et à Michel Bouquet qu'il a offert le rôle de fiction le plus attendu de l'année : François Mitterrand. Adapté du Dernier Mitterrand, chronique de la fin de vie du Président par le journaliste Georges-Marc Benamou, parue voici bientôt sept ans ­ et que la Mitterrandie jugea alors «voyeuriste», «sans pudeur», «fausse», voire «obscène» ­, le film sortira en février et s'intitulera le Promeneur du Champ-de-Mars. Robert Guédiguian, 51 ans, en est actuellement au stade de l'étalonnage, phase de finition du film. Auteur de Marius et Jeannette ou du récent Mon père est ingénieur, il est l'un des tout meilleurs cinéastes français. Depuis vingt-cinq ans, il filme son monde, fait de personnages et d'acteurs récurrents (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan), de thèmes fétiches (la politique et l'injustice, sujets essentiels pour cet ancien communiste) et d'un lieu unique, l'Estaque, quartier de Marseille descendant vers la mer.

Que vient faire Mitterrand dans ce petit théâtre ? Guédiguian s'explique en parlant d'une «forte envie de changer d'univers» : «L'idée de sortir de mes propres sentiers battus. Ça me titillait depuis toujours : assouvir ma curiosité, changer de corps et de décors. Il fallait qu'on me fasse une proposition. Elle est venue par Franck Le Wita, avec qui j'ai coréalisé mon premier film. Un jour, il m'a envoyé le livre de Benamou. Alors je lui ai dit : "Ecoute, ça m'intéresse..."»

«Un film de conversations»

Commencé à la fin du mois de janvier, le tournage a duré huit semaines, et installé ce Mitterrand de fiction dans des décors «vraisemblables». L'Elysée, ses intérieurs, son petit salon, son grand bureau, sa bibliothèque, et même une scène sur les marches du palais, tout fut mimé en deux semaines au château de Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), «un lieu unique, qui a déjà servi pour des films (1), puisque ce bâtiment est de la même époque et du même architecte. On s'y croirait...» C'est là que Guédiguian a reconstitué en quelques traits les derniers voeux et la sortie de l'ultime Conseil des ministres de l'ère mitterrandienne, le 3 mai 1995. Ensuite, quelques jours à Oignies, dans le Pas-de-Calais, sur le carreau d'une mine désaffectée, pour tourner le discours de Liévin (novembre 1994), l'une des dernières sorties officielles d'un Président miné par les métastases pour rendre hommage aux mineurs. Et de beaux lieux de balades, pour retracer l'histoire d'un marcheur qui s'adonna à ce plaisir, rarement solitaire, presque jusqu'au bout. Soit, des sous-bois à Rochefort-en-Yvelines, à 40 kilomètres de Paris, un restaurant en bord de mer près de Gravelines et de nombreux plans au Champ-de-Mars, à Paris, lieu privilégié du vieil homme qui habitait alors seul dans l'appartement du 7, rue Frédéric-Le-Play, près de la tour Eiffel, Danielle gardant celui de la rue de Bièvre. Le tournage, «plutôt heureux», s'est achevé le 15 mars.

Du livre de Georges-Marc Benamou, qui a participé à l'écriture du film avec le scénariste Gilles Taurand, Guédiguian n'a pas conservé énormément de choses. Il était clair dès le début «qu'on était dans une recréation du personnage Mitterrand». Ni le détail du jeu politique, ces stratégies tortueuses, vachardes, parfois virtuoses, élaborées par le vieux Président pour préparer sa sortie et l'échéance de 1995 (ni Balladur, ni Delors...) ; ni le verbatim mitterrandien tel que rapporté par son chroniqueur. Guédiguian est parti sur une autre piste, plus fictionnelle : retracer une histoire à travers une «langue si particulière, à la fois très littéraire et pleine de sous-entendus». Ce que dit Mitterrand dans le film, et il parle beaucoup («C'est un film de conversations»), est reconstitué à 80 % à partir de ses discours, de ses lettres, de ses écrits. Le cinéaste et ses scénaristes ont fait un gros travail d'archives sur le verbe mitterrandien.

Une affaire d'allure et de stature

De là, deux thèmes centraux. La mort, qu'il prépare d'une façon incroyablement minutieuse, telle une cérémonie des adieux pensée, commentée, jouée, ritualisée. Et le socialisme : comment maintenir l'idée du socialisme une fois au pouvoir, comment marquer la transition vers un modèle de société qui ne serait plus seulement capitaliste ? Avec pour ligne d'horizon mélancolique, chez l'homme qui se sait jugé par l'Histoire, cette question : ai-je trahi un idéal ? «Mitterrand a incarné, pendant la décennie qui précède sa prise de pouvoir et jusqu'au tournant de 1983, l'idée d'un socialisme en Occident. Il y avait un espoir dans le monde entier, c'est pour cela que son élection a eu un si fort retentissement», dit le cinéaste qui, comme militant politique, citoyen communiste, se «reconnaît toujours dans le programme commun et la rupture qu'il proposait avec le capitalisme».

C'est tout autant le film de Michel Bouquet. Le comédien, 78 ans, est dans le projet dès l'origine. Il y voit «l'un de [ses] plus beaux rôles». «C'est le plus grand acteur actuel, renchérit le cinéaste, car il n'est jamais naturaliste. Comme s'il savait qu'il joue et le montre. C'est l'acteur majeur de la théâtralité, ce qui est important pour incarner un personnage qui a fait de sa vie une cérémonie publique, une majesté rituelle. Mitterrand savait lui-même toujours qu'il était en représentation, et maîtrisait cela à la perfection. Une tenue, une stature, une manière de se poser, de se tenir, de placer ses mains... Un port aristocrate et rustique, terrien. Tout ce que Bouquet partage avec Mitterrand.» S'il existe une certaine ressemblance physique entre l'acteur et l'homme d'Etat, elle est d'abord affaire d'allure, de stature. Bouquet n'a pas travaillé le mimétisme, sauf exception, «plutôt pour me faire rire, avoue Guédiguian, notamment en profil dos. Ils ont le même, c'est frappant !» Ils ont surtout une même façon d'être absents d'eux-mêmes : une opacité et un aspect quasi translucide. «Ce sont des mystères, et ils le savent. Mais Bouquet est probablement moins distant, plus attachant, sans doute parce qu'il est plus enfantin.»

Le costume, la chemise et le manteau

Le cinéaste et l'acteur en sont arrivés à traduire une certaine idée de Mitterrand et se sont détournés de la chronique de fin de règne. On ne trouvera pas dans le film, par exemple, la plus célèbre page du livre de Benamou : le dernier réveillon à Latche et la dégustation des ortolans, ultime repas du roi mourant. «Les ortolans, les ortolans, tout le monde m'en a parlé et va m'en parler ! Il n'y a pas d'ortolans, je ne veux pas être trop dans le détail, s'emporte le cinéaste. Il y a peu de jeu politique dans le film, pas non plus de personnages réels entourant Mitterrand. C'est très stylisé. Avec quelques recompositions : un toubib, une femme de ménage, trois motards ou deux gardes du corps lors des promenades. Je ne voulais surtout pas de reconstitution à l'Elysée, cela m'ennuyait d'avance. Il fallait juste deux ou trois signes forts du jeu politique : on a soigné le costume, la chemise et le manteau.»

Après avoir vécu près d'un an avec son Mitterrand, Guédiguian, qui a toujours été un sceptique, peut lâcher un dernier jugement sur le personnage : «Il y a dans le film une certaine sympathie, mais pas d'idolâtrie. On peut légitimement admirer Mitterrand, quand il parlait par exemple. Aujourd'hui, quand j'essaye d'écouter Sarkozy à la télé, au bout de dix minutes je me lève et je vais chercher un Coca. Avec Mitterrand, je restais.»

Un nouvel âge de la mémoire

Mais déjà ce Mitterrand n'appartient plus au cinéaste, et va s'offrir aux jugements des autres. Ainsi du premier cercle mitterrandien, qui avait tant protesté contre le livre de Benamou en janvier 1997, et va soupeser le film et l'image donnée du «grand homme». Michel Charasse, sénateur le plus fidèle et le plus excessif, parlait déjà de «fadaises» à l'époque, et reste sur le même registre : «Tout ça, ce sont des salades...» Les autres proches semblent plus nuancés, Lang disant surtout «beaucoup aimer Guédiguian» et Emmanuelli ayant «hâte de juger le film sur pièces». S'il ne faut donc pas attendre de scènes d'hystérie en Mitterrandie à la sortie du Promeneur du Champ-de-Mars, c'est aussi que le temps a passé. Et le signe de l'avènement d'un autre âge de la mémoire de l'homme et de l'événement.

François Mitterrand a très vite, même de son vivant, été une figure littéraire. Un an après sa mort, le «portrait de Mitterrand» autrefois genre politique, s'apparentait déjà à un véritable genre littéraire, illustré coup sur coup par Giesbert, Adler, Duhamel, Benamou, Orsenna, Daniel, Debray... Désormais, l'ancien Président a quitté les chroniques et les souvenirs pour entrer dans les histoires réécrites à partir de l'Histoire. Les romans de Daniel Rondeau et de Jean-Paul Dubois en cette rentrée littéraire. Et le film de Guédiguian, métamorphosant volontairement le Président en une figure fictionnelle jouée par un acteur qui n'est pas un sosie. Le cinéaste, très conscient de ce phénomène, l'explique d'abord par le caractère propre du personnage : «C'est le dernier homme politique en France à avoir eu du discours, à avoir développé un tel sens de la mise en forme, à chaque fois entre mystique et politique. Il possédait une croyance en la nécessité de la politique. On est sûrement en manque de ce côté-là, et il me semble normal que ce manque revienne par la fiction.»

On peut voir également dans ce passage vers la fiction un besoin de marquer les souvenirs de chacun pour qu'ils deviennent ceux de tous, un phénomène historique de constitution d'une identité collective, un travail de la mémoire où quelques générations partagent ainsi une sorte de «pot commun» rempli d'histoires. Mitterrand ou le sens incarné d'une époque.




Ah, cette sinistre et satanée mode pour la fripouille de 1981 !
Guédiguian, qui par ailleurs soutient l'horrible Brard à Montreuil, y sombre lui aussi...
Mais, vous, qu'en pensez-vous ?
Enjolras
 
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Inscription : 08 Oct 2004, 15:41

Message par Enjolras » 08 Oct 2004, 17:12

Au fond, oui, tu as raison... Voir puis juger...
Mais l'article est-il si anodin ?
Guédiguian ne dit-il pas son espèce de fascination pour Mitterrand ? Certes, il émet des réserves... Mais, perso, je n'émets aucune réserve sur ce type qui fut un éminent réactionnaire.
C'est cela que je juge pour le moment...
Le côté Mitterrand, il savait causer... Foutaises ! Truc d'élève appliqué mais borné !
Comme si l'on pouvait distinguer fond et forme...
Qu'on s'émeuve du "Vive le Paris ouvrier !" de Blum, soit... mais des fourberies de Mitterrand, non !

Bon, et à part ça, Combattre pour le socialisme, c'est justien, c'est ça ?
Vos positions m'intéressent.
Notamment sur la question de la République et de la nation... :huh:
Enjolras
 
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