Une autre école?

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par emma-louise » 13 Oct 2003, 13:21

Education : Un "grand débat" mort-né ?, par Samuel Johsua LE MONDE La nécessité de refonder un pacte éducatif entre le pays et son école ne fait guère de doute. Le grand mouvement du printemps qui a exprimé d'une manière éclatante la crise scolaire qui va s'approfondissant en est la manifestation exemplaire. Malheureusement, les choix du gouvernement Raffarin pour l'organisation du "grand débat" sur l'éducation donnent déjà tous les signes de son échec prévisible.

A la bienveillance des syndicats (malgré la dureté du traitement infligé aux grévistes, malgré les conditions encore dégradées de la rentrée) répond leur exclusion pure et simple de la commission présidée par Claude Thélot. Au motif de leurs préjugés ? Que, bien entendu, ne manifestent ni les anciens ministres ni les parlementaires, esprits objectifs et ouverts s'il en est ? Sur quels critères de représentativité ont été choisis les fameux "acteurs de terrain" ? Plus généralement, combien parmi les membres de la commission étaient en grève au printemps, dans l'éducation ou ailleurs ?

Dans ces conditions, le "grand débat" sera hémiplégique, et on lui souhaite bien du plaisir quand il entrera dans les salles de professeurs. Il lui est assigné l'objectif de parvenir dans un premier temps à un "diagnostic partagé". Entre gens de bonne volonté, à l'exemple du débat entre Jack Lang et Luc Ferry à la Sorbonne, rivalisant sur la paternité des mêmes orientations ? Quelle curieuse conception de la démocratie qui exclut d'emblée le désaccord possible !

Les réponses que donnera la commission dépendront des questions qu'elle se posera. Luc Ferry veut clore l'épisode du printemps et revenir au bon vieux débat entre "pédagogistes" et "républicains". Le problème est que ce clivage n'intéresse plus guère. Aucune assemblée générale dans l'éducation, aucun des innombrables débats organisés avec les parents ou dans les réunions interprofessionnelles n'en ont montré la moindre trace.

De leur côté, les porte-parole de ces deux camps traditionnels sont restés muets, ou ont soutenu le gouvernement, en tout ou partie. Les uns parce qu'en sociolibéraux conséquents ils soutenaient les projets de décentralisation et d'éclatement des statuts. Les autres parce qu'ils sympathisaient avec les charges contre la "pensée 68", la glorification de l'autorité, la sélection accrue, et qu'ils étaient révulsés par ce mouvement plébéien qui mêlait des professeurs des écoles, des professeurs de l'enseignement général ou professionnel, des postiers et des cheminots.

Avec un maigre espoir d'être entendu, proposons donc à Claude Thélot quelques autres questions sortant de ce cadre convenu.

Il semble que tout le monde désormais communie dans le refus de la marchandisation de l'école. Pascal Lamy, au nom de l'Europe, n'a soumis aucune proposition de mise en concurrence dans ce secteur dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). Mais les Etats-Unis l'ont fait, avec d'autres. Puisque tout le monde semble d'accord en France, pourquoi ne pas retirer définitivement l'éducation de l'AGCS ?

La commission pourrait-elle contrebalancer l'affirmation, répétée de toutes parts quant à l'augmentation inconsidérée des moyens attribués à l'éducation, par cette autre, issue des services du ministère : "Depuis 1996, la dépense intérieure d'éducation croît constamment plus lentement que le PIB" ?

Nombre de commentateurs jugent paranoïaques les craintes des altermondialistes quant à l'avancée du libéralisme scolaire (Xavier Darcos les aurait même jugées "infantiles" dans son débat avorté avec Philippe Meirieu). Il est postulé, en particulier, que les déclarations si manifestement libérales des organismes internationaux n'ont aucun effet concret en France. Pourquoi alors continuer à siéger dans ces organismes ? La commission pourrait réaliser un audit sur l'influence directe ou indirecte de ces délibérations, orientations, recommandations, et sur l'effet des évaluations (si contestables) que financent lesdits organismes. Elle pourrait aussi proposer des bilans sur l'influence des critères d'adaptation aux besoins de l'économie concurrentielle, aux divers niveaux de l'enseignement. Et un autre bilan sur les effets délétères de la différenciation systématique des contenus et des exigences selon les publics d'élèves, ceux de l'autonomie et de la mise en concurrence des établissements.

Le Conseil d'orientation des retraites, dans un souci d'objectivité louable, avait chiffré la proposition provenant des secteurs anticapitalistes visant à maintenir le régime des fonctionnaires et à revenir sur les dispositions Balladur de 1993. Ce chiffrage avait constitué un argument majeur contre la loi Fillon et les orientations de Michel Rocard. La commission aura-t-elle le courage de vérifier la faisabilité, financière et pédagogique, d'un projet de collège véritablement unique, sans sélection (ouverte ou déguisée en "parcours" et "options") ? Tiendra-t-elle compte des données européennes, qui lient l'existence de filières réellement communes jusqu'à 16 ans à la fois à une plus grande équité et à des meilleurs résultats (comme en Finlande ou en Scandinavie) ? Et qui montrent l'échec patent des systèmes ségrégatifs (comme en Allemagne) ?

Enfin, il faudrait, en bonne logique, pousser le diagnostic sur l'école jusqu'à un jugement sur la société. Si la poussée libérale en éducation fait débat, son existence dans la société est difficilement contestable. La commission pourra-t-elle expliquer que les inégalités, les déchirements sociaux, la précarité, le chômage, le racisme, la ségrégation urbaine, la montée du consumérisme qui en découle sont incompatibles avec un projet d'école solidaire ? Dira-t-elle qu'une autre société doit correspondre à une école réformée et plus égalitaire, ou jugera-t-elle cet espoir "infantile" ?

Ne faisons pas à Claude Thélot l'injure de juger impossible qu'il tienne compte de ces questions, exclues pourtant dans l'immédiat par la composition de la commission qu'il préside. Mais il est indispensable, dans ces conditions, que le mouvement social se donne ses propres cadres de débat et d'élaboration. Comme il sait le faire dans les forums sociaux, il serait bon qu'aux débats biaisés impulsés par le gouvernement il oppose les siens. Ayant désigné clairement la ligne de démarcation d'avec les politiques libérales, il s'attacherait à dessiner les conditions d'un nouveau pacte pour une école émancipatrice. Un autre défi, loin d'être gagné d'avance. Mais s'y confronter est indispensable.

Samuel Johsua , membre de la LCR 13 , est professeur en sciences de l'éducation à l'université de Provence (c'est à ce titre qu'il interviendra à l'iufm de La Seyne- sur -mer , mercredi à 18H à l'invitation de la FSU 83 dans le cadre des initiatives de préparation du FSE de Saint Denis )
emma-louise
 
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