CITATION
Débats pétainistes à la mairie de Compiègne
Le maire UMP a fait voter l'attribution à une rue du nom du médecin eugéniste Carrel.
«Des réformes utiles ont été mises en place par Vichy.» Michel Woimant, adjoint au maire de Compiègne
Compiègne vient d'adresser un bras d'honneur à la République. «Nous prenons le risque d'être montrés du doigt par le reste de la nation», avait prévenu un élu. Peine perdue : mercredi soir, son conseil municipal, sous la houlette du sénateur-maire (UMP) Philippe Marini, a voté l'attribution à une rue du nom d'Alexis Carrel, théoricien de l'eugénisme, partisan de «classes biologiques [où] chacun occupe sa place naturelle», proche du régime de Vichy. Mais aussi chirurgien hors pair durant la Première Guerre mondiale. Un personnage controversé à la Pétain, selon que l'on retienne la période 14-18 ou 39-45. Sauf qu'aucune commune ne songe à baptiser une rue au nom du maréchal.
Compiègne est une ville particulière. S'y trouvait le camp du Royallieu, dont certains des prisonniers ne sont jamais revenus des camps de concentration. Une rue Alexis-Carrel longe ce camp. Sous la pression de la Licra et d'associations de déportés, Marini avait fini par accepter de la débaptiser, pour mieux la renommer un peu plus loin (Libération de jeudi). Compiègne est aussi une ville très à droite, longtemps gérée par le CNI et toujours sensible au lepénisme. Les détracteurs d'Alexis Carrel, héros local, sont taxés de stalinisme.
«Contexte». Marini surfe sur ce sentiment, mais préfère laisser ses adjoints monter au créneau. Michel Woimant s'est particulièrement lâché, mercredi, au conseil municipal : «Des réformes utiles ont été mises en place par Vichy.» Quant à l'idée de Carrel de gazer les indésirables, il ne s'agirait que d'une «large application de la peine de mort», à «resituer dans le contexte de l'époque». Joël Dupuy de Méry, ancien d'Occident et d'Ordre nouveau, s'en prend au «diktat intellectuel» d'une gauche qui, croit-il savoir, «n'a pas dénoncé une seule fois» les fréquentations vichystes de Mitterrand. Et de conclure, sous les applaudissements : «Ce qui nous importe, c'est d'honorer nos morts.»
«Dr Mengele». Le marais municipal peut alors embrayer sur ce bon Dr Carrel, si précieux durant la Première Guerre, dont le comportement sous la Seconde ne saurait effacer le souvenir. Seuls deux élus de droite osent briser ce pétainisme ambiant. Matthieu Quétel : «Il ne nous appartient pas, à Compiègne, pour des raisons familiales et plus obscures, de proposer une hiérarchisation de l'Histoire ou des valeurs de la République.» François-Michel Gonnot, député, dénonce, lui, une «décision moralement suspecte et politiquement incompréhensible». Laurence Rossignol, chef de file PS, s'en prend aux non-dits : «Bien entendu, tout cela n'a rien à voir avec ce qui se passait à quelques kilomètres de là, quand les nazis sélectionnaient la race aryenne.»
A l'issue du scrutin (32 pour Carrel, 11 contre), les socialistes lâchent, dans des rires dépités : «Il paraît que le Dr Mengele avait soigné la grippe de la petite Greta...»[/quote]
Libération,18 octobre 2003
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