par piemme » 23 Nov 2013, 07:07
Comme tous les outils, Twitter n'est utile qu'à condition de savoir l'utiliser pour le rendre utile. Rejeter Twitter absolument n'a aucun sens. A moins de trouver normal de réduire un outil à quelques aspects révoltants inévitables dans une société aussi débile que la société capitaliste.
Twitter sert à publier des messages de 140 caractères. Des messages susceptibles d’être lus par tous : non seulement lorsqu’ils sont publiés à la cantonade, bien sûr, mais également lorsqu’ils sont destinés à une personne ou plusieurs personnes en particulier – l’échange personnalisé, ici, est public, la communication personnelle donc en quelques sortes "socialisée" (on s’adresse peut-être à quelqu'un en particulier, mais, de fait, on parle assez fort pour que les voisins ou tous ceux qui se trouvent derrière la porte puissent entendre). C'est là sa principale différence avec Facebook : des tweets accessibles aux abonnés de votre compte (ils apparaissent dans ce qu’on nomme la "timeline", "TL"), mais également accessibles – lisibles – sur la page résultat d’un moteur de recherche (Google par exemple, pour ne pas le nommer) ou par les internautes qui naviguent plus ou moins par hasard ou effectuent une recherche bien précise directement sur votre page "profil".
A sa naissance, les concepteurs de la plateforme avaient choisis de présenter Twitter comme un outil de communication interpersonnelle permettant aux usagers d’échanger sur leur activité du moment en direct – "en temps réel", comme on dit. Une conception dont témoignait alors le slogan initial : "what are you doing ?". Twitter, a priori, n'avait donc aucun intérêt pour des militants révolutionnaires...
Mais c’était sans compter sur les usagers eux-mêmes qui ont été au-delà de cette injonction superficielle et qui se sont emparés de Twitter pour en faire, peu à peu, un média à part entière – un lieu pour 1) s’informer et 2) diffuser de l’information.
Cette transformation de Twitter en "réseau social" s’explique pour plusieurs raisons. La première tient dans la forme elle-même, dont je viens de parler : Twitter offre la possibilité à chacun d’extérioriser qch, non plus seulement en projetant celui-ci en direction de son seul réseau familial, amical ou professionnel, mais, à l’instar des médias traditionnels, en direction d’un public. Une perspective, par définition, qui mènera les utilisateurs à relativiser la seule dimension relationnelle (qui caractérise un réseau comme Facebook) pour se concentrer plus spécifiquement sur les contenus. Non seulement je dois faire attention à ce que je dis (car on m'écoute) ; mais, à l’instar des autres médias, je m’adresse à un large public dont je dois susciter l’intérêt et capter l’attention…
Autre raison de cette transformation : le moment particulier où elle intervient. Le temps est fini où, pour s’informer le rôle des intermédiaires classiques étaient prégnant. Dorénavant, avec l’internet, l’information est encore dispo sur les sources traditionnels, mais elle le devient aussi, voire surtout, en ces lieux parallèles que sont les blogs, portails d’info, par le biais des agrégateurs de flux RSS, puis ce qu’on va nommer les réseaux sociaux. On ne s’informe plus seulement via un ou quelques médias traditionnels ; dorénavant, l’internaute, aussi bien préoccupé par l’actualité du monde que focalisé sur ses thématiques de prédilection, pourra composer avec une centaine, voire plusieurs centaines de sources d’information.
Ce qui pose de plus en plus le problème du le tri : comment réguler ce flux d’information ? Précisément, Twitter facilite le travail. Un travail qui, jusqu’ici, était la prérogative des professionnels de l’information, et en particulier les médias traditionnels – et qui le demeure encore dans une certaine mesure : face au flux, voire au sur-flux, ces médias demeurent encore un repère nécessaire. Mais Twitter commence à changer la donne : sur cet espace émergent, et toujours plus vaste, de l’information sur le web, les médias traditionnels sont de plus en plus impuissants à eux seuls à effectuer la veille, la sélection et la hiérarchisation nécessaires. Même les outils de recherche, aussi performants soient-ils, paraissent impuissants à effectuer ce travail de manière toujours pertinente…
C’est à ce moment, à la fin des années 2000, que les réseaux sociaux, à l’instar de Facebook mais surtout de Twitter, vont s’imposer comme un biais possible. Une solution qui ne déroge pas au fameux principe selon lequel on n’est jamais mieux servi que par soi-même : les réseaux sociaux sont animés par des milliers d’internautes qui, chacun, mènent leur veille, sélectionnent et diffusent des liens dans tous les domaines imaginables ; en s’abonnant – la confiance établie – à ceux et celles que l’on juge les plus pertinents, on peut en quelque sorte séparer le bon grain de l’ivraie : face au bruit, révéler le plus pertinent. Ce ne sont plus les journalistes, mais la collectivité de ces nouveaux propulseurs de liens que sont les usagers de Twitter qui disent ce qui compte, ce qui mérite le détour sur la toile. L’observation, la collecte et la distillation des nouvelles par tous devient, ainsi, la condition, pour chaque utilisateur, de sa propre découverte. La participation active de tous devient la base de la veille de chacun.
On comprend dès lors que l’équipe de Twitter ait finalement décidé d’abandonner son premier slogan pour celui-ci, plus adapté : "Découvre ce qui se passe maintenant, partout dans le monde". Il ne s’agit pas seulement – ou plus seulement – d’exposer publiquement sa petite personne, mais bien surtout d’exposer son regard sur le monde, ses réactions sur l'actu, les infos pertinentes. Et chacun d’en bénéficier pour s’informer à son tour.
Donc j'interviens sur Twitter depuis octobre 2008 sous le pseudo @recriweb et de @pressecom (diffusion automatique de nos liens, y compris internationaux, depuis 2009).
J'y suis connu en tant que militants LO. Qui diffuse tous les liens de notre presse (brèves, LO, LDC, CLT, etc.). Qui réagit à bien d'autres choses et fait part de toutes ses heureuses découvertes dans les domaines suivants : traitement médiatique de l'information, astronomie, nouvelles technologie, littérature (polars en particulier), musique (via Spotify), etc. Le tout sous le mode humoristique quand c'est possible, ne serait-ce que pour pour montrer que les militants LO, en dépit du couteau entre les dents, savent s'amuser et peuvent être des gars vraiment trop cools.
On me le rend bien car @recriweb a aujourd'hui 7000 abonnés et @pressecom 850.
Au départ, l'outil était juste le moyen pour moi (qui passe l'essentiel de mon temps à l'étranger) de continuer à défendre mes idées et à réagir à l'actualité (et à son traitement médiatique) sans devoir me contenter de mon seul miroir comme "interlocuteur"... Il s'avéra qu'à la longue l'outil est rapidement devenu pour moi une plateforme indispensable. D'abord en raison des sollicitations dont je fais l'objet : des jeunes et moins jeunes qui m'interrogent sur les ouvrages marxistes à lire et qui veulent discuter publiquement des idées (depuis, un jeune militant FG a pris contact avec nous et milite désormais chez nous) ; des militants NPA, PCF, POI ou PG qui m'interpellent ; et tous les autres qui, sans être militants, acceptent néanmoins de me suivre, de me questionner, de s'intéresser à notre manière de comprendre le monde.
Quelques principes à respecter : aucun insulte, ni irrespect, mais bloquer tous ceux qui nous insultent. Prendre le temps de répondre à toutes les questions ou polémiques nous concernant, y compris en détail (il existe des outils pour faire des longues réponses : TwitLonger et bigbigtweet). Prendre le temps de présenter nos idées, clairement et patiemment (en mettant un "." devant le nom de notre interlocuteur en début de tweet afin que tous nos abonnés profitent de l'échange). Faire des listes pour rassembler les meilleurs abonnements. Utiliser un outil comme TweetDeck…
Au fil du temps, connu pour être révolté, curieux, partageurs et... fiable, on gagne un public qui t'apprécie sincèrement, est impatient de connaître ton point de vue et s'intéresse de plus en plus à tes idées. Par les temps qui courent, ce n'est pas luxe.
Et ce n'est donc pas une perte de temps.
Je ne dis pas que tous les copains doivent s'y mettre. C'est une activité d'écriture qui demande parfois un peu de temps (et de discipline !) et avec laquelle il importe de se sentir à l'aise. Mais je suis sûr que nous gagnerions à ce que nombre d'entre nous soient plus présent sur Twitter et y partagent leurs sentiments sur la période, leurs espoirs et découvertes (dans la presse, dans les romans ou livres théoriques qu'ils lisent, sur la toile et... dans leur boîte) et permettent à beaucoup de dépasser leurs préjugés en faisant mieux connaissance avec nous et notre activité militante. (Notez que Twitter peut simplement être utilisé pour s'informer. A condition de suivre les meilleurs comptes, évidemment).
Ce n'est évidemment pas ainsi militer, au sens traditionnel du terme, mais c'est aussi une manière de défendre, de faire connaître nos idées, nos manières de penser et de les défendre. L'outil est nouveau et peut paraître déroutant, mais je crois, au final, qu'il a le mérite d'exister.
A ne pas mépriser donc. Et à ne pas négliger.