par gerard_wegan » 26 Mai 2004, 23:35
Je crains que Caupo ne se soit laissé emporter... En effet, dans une discussion sérieuse, il ne suffit pas de partir de quelques considérations générales (même, ou peut-être surtout, si elles sont justes) ; il s'agit aussi de ne pas finir dans le décor après quelques virages rhétoriques mal négociés !
Ainsi, Caupo commence par répondre par l'affirmative à la question qu'il pose lui-même : "On n'a pas toujours vu pendant les périodes révolutionnaires une "atténuation" de l'importance donnée à la sexualité sous toutes ses formes ?"
Désolé, mais c'est une affirmation péremptoire que ne suffisent pas à étayer la comparaison entre les moeurs de Robespierre et de Marie-Antoinette ou les références à la décadence de l'Empire romain ! S'il s'agit de dire qu'en pleine prise du Palais d'hiver, "les gens avaient d'autres chats à fouetter", certes... mais c'est loin d'être vrai de la période révolutionnaire alors ouverte en Russie qui a, au contraire, vu une réelle libération des moeurs et de la sexualité -- dont certains "débordements", en particulier dans la jeunesse, semblent avoir quelque peu effrayé le pudique Lenine -- qui tranchait singulièrement avec l'ordre moral qui régnait alors dans les pays d'Europe occidentale [1]. Ce n'est pas pour rien que des gens comme Reich (quoi qu'on puisse en penser par ailleurs) ont alors suivi avec intérêt cet aspect de l'expérience soviétique [2].
Autre affirmation péremptoire : "la décadence d'une époque sociale [est] toujours accompagnée par [...] une montée et une apparition publique de l'homosexualité".
A quoi Caupo fait-il allusion ? Que je sache, l'homosexualité "antique" n'a pas spécialement accompagné une période de décadence (ou alors la décadence a vraiment duré très longtemps !), et le fait qu'elle puisse surtout concerner les couches les plus oisives de la société n'y change rien (la réalité étant d'ailleurs, pour la plupart des périodes historiques, qu'on connaît fort peu de choses de la sexualité de couches sociales auxquelles les historiens ou les chroniqueurs ne s'intéressaient pas !) Quant aux périodes plus récentes, "l'apparition publique de l'homosexualité" s'est manifestée, initialement en Allemagne comme mouvement pour la reconnaissance des droits des homosexuels contre la législation répressive en vigueur (le tristement célèbre paragraphe 175 du Code pénal), à partir de la fin du XIXème siècle et en liaison avec l'essor du mouvement socialiste allemand, autrement dit dans une période qui était celle d'un essor économique du capitalisme entrant dans sa phase impérialiste -- période qu'aucun marxiste n'a qualifié de décadente avant la première guerre mondiale !
... et je ne parle là que de l'aspect "apparition publique" ; celui concernant une hypothétique "montée [...] de l'homosexualité" me semble encore plus problématique !
Quant à dire : "Défendre les homosexuels des attaques portées contre eux, d'accord ; qu'ils aient les mêmes droits qu'à tout le monde aussi ; mais comprendre que faire de cela le centre de l'activité des partis communistes, c'est complètement se fourvoyer, aussi"... je ne vois pas le rapport ! Le sujet de ce fil concernait la position politique des communistes vis-à-vis de la question homosexuelle ; personne n'a suggéré (du moins ici) de faire de cette question "le centre de l'activité des partis communistes" !
Caupo dénonce plus loin, comme "courants réactionnaires à la mode", "une tendance à la sexualisation, l'exibitionnisme et le voyeurisme comme produit culturel de consommation des masses promu par ceux qui voudraient "occuper" la jeunesse à autre chose que la politique"... ça pourrait se discuter, mais admettons ! Je crains cependant qu'il faille ramener Caupo à la réalité sur un point : ce n'est pas parce que la parole et la visibilité homosexuelles sont aujourd'hui (dans certains pays démocratiques !) plus libérées qu'elles ne le furent par le passé qu'on peut y parler d'"homophilie qui cache mal le suivisme le plus complet face aux courants réactionnaires à la mode" ! Non pas que certains milieux gays ne donnent pas, au même titre que d'autres évidemment, dans "l'exibitionnisme et le voyeurisme comme produit culturel de consommation" ; mais voir dans une prétendue "homophilie" ambiante (!?) un alibi justifiant ces pratiques, c'est quand même se tromper singulièrement de perspective ! Que je sache, le consumérisme à connotation sexuelle n'a vraiment pas besoin d'alibi homophile pour prospérer... surtout qu'il joue très largement sur les registres hétéro et machiste (même l'homosexualité féminine qui fait partie de certains fantasmes machistes y occupe une place marginale... films X hétéros mis à part, bien sûr !)
Finalement, il n'y a qu'un point sur lequel je suis d'accord avec Caupo, c'est quand il écrit qu'"en fait, cette société qui parle à tout bout de champ de sexualité, la réprime dans les faits"... mais ce serait une autre discussion !
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[1] Sur l'Angleterre, la France et l'Allemagne, voir par exemple "Histoire de l'homosexualité en Europe - Paris-Londres-Berlin - 1919-1939" - Florence TAMAGNE - 2000
[2] Voir en particulier la seconde partie de "La révolution sexuelle" - Wilhelm REICH... et bien sûr les écrits d'Alexandra KOLLONTAI.