par Danielle Charest » 24 Jan 2008, 21:51
Le tabac n'est pas un sujet secondaire. La montée de la stigmatisation des fumeurs participe activement à la destruction des droits des humains ou de la personne, si vous préférez. Vous verrez vers la fin du texte que l'Organisation mondiale de la santé n'embauche plus depuis 2005 les personnes qui fument où que ce soit dans la vie.
Si j’ai écrit « Haro sur les fumeurs – Jusqu’où ira la prohibition », c’est que j’en avais plus que marre de voir se répéter en France la diffusion de la propagande anti-fumeurs que j’avais déjà vécue (subie) au Québec dix ans auparavant (de nationalité canadienne, je vis en France depuis quinze ans) et les catastrophiques stratégies d’infantilisation programmée de la population afin de la rendre bien sage et surtout pour briser toute velléité de contestation. Le projet étant, comme on le sait, de détruire par un matraquage à la fois idéologique et tout à fait concret, les quelques acquis sociaux obtenus de haute lutte.
En apparence, la stigmatisation des fumeurs, car c’est bien de cela qu’il s’agit, semble bien loin des politiques que le vieux gouvernement en place défend. Mais le lien est bel et bien là.
En fait, en nous servant à pleines louches le discours de la « modernité », les Entreprises et gouvernements s’acharnent à nous ramener à la fin du XIX° siècle, période où pour lutter contre les avancées sociales, les ligues de tempérance états-uniennes (au discours typique de «l’ordre morale au service de la famille, le patrie et la religion) ont obtenu la prohibition de l’alcool. Mais on ignore généralement qu’à la même période ils ont aussi imposé une prohibition du tabac dans plus d’une dizaines d’états de ce pays. Et qu’en France, les moralistes se sont aussi acharnés contre cette plante que fumaient les « dégénérés » (sic).
Comment peut-on croire un seul instant que le gouvernement a instauré le décret (ce n’est pas une loi, simplement un décret, donc qui n’a pas été l’objet d’un vote à l’assemblée nationale) interdisant de fumer dans les entreprises et, maintenant, dans les commerces « conviviaux » pour améliorer l’état de nos santés au moment même où il montre à quel point il la méprise, sinon il ne serait pas en train de mettre la hache dans le système de santé publique ?
Comment expliquer que d’un côté, le gouvernement met en miettes le système social et stigmatise les grévistes, encourage les entreprises à réduire le personnel comme lui-même diminue le nombre de fonctionnaires, ce qui multipliera les maladies des travailleurs ployant sur le fardeau du travail et des chômeurs, malades de ne pas avoir d’emploi et que de l’autre côté, ce même gouvernement et les autres forces néo-libérales nous enjoignent d’avoir des comportements sains ? C’est que sa stratégie est de rendre les individus coupables de tout (la santé, la qualité de l’environnement, le soi-disant manque de performance, etc., etc. etc.) afin de disculper les Entreprises de toute responsabilité quant au salaires de plus en plus bas qu’il versent, quant à la santé de leurs travailleurs (plus de travailleurs meurent des mauvaises conditions de travail que du tabac, mais ça on le cache bien) et de leurs droits à s’insurger. En fait, les fumeurs servent de paravent pour faire oublier la détérioration des droits sociaux.
La guerre au fumeur réussit tellement bien à cacher le reste et à passer pour une cause noble qu’à peu près personne ne s’est insurgé lorsque l’Organisation Mondiale de la Santé a décidé de ne plus embaucher de fumeurs — que ces fumeurs fument au travail, à la maison, dans la rue, en sautant en parachute ou où que ce soit sur notre bonne vieille terre souffreteuse. Autrement dit, l’OMS a créé en toute connaissance de cause un précédent extrêmement dangereux en « légalisant » une discrimination dans le droit AU travail. Le fait a suffisamment inquiété le Bureau International du Travail qu’il a dénoncé cette politique de l’OMS dans son rapport de 2007 et il s’inquiète aussi du développement de nouvelles formes de discrimination, axées sur le non accès au travail des personnes aux conduites jugées « malsaines ». Morale quand tu nous tiens. Et c’est sans compter sur le come-back foudroyant des religions, soutenues par l’enfant gâté qui nous sert de président. Il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, les mormons étaient en tête des haïsseurs de fumeurs dès le début des années 1980 comme ils l’étaient à la fin du XIX° siècle.
Comme l’Europe en est venue à copier tout ce qu’il y a de plus horrible dans le système états-unien (mais comme par hasard sans jamais tirer parti de ce que ce pays a à nous offrir sur le plan des contestations), il est évident qu’on en viendra à permettre aux propriétaires de louer des appartements aux personnes qui fument, comme c’est déjà le cas là-bas et comme c’est en train de devenir le cas au Québec. Et ce n’est que le début de la victoire de la morbide alliance morale-santé en parfait accord avec l’idéologie néo-libérale.
Bon, j’arrête ici sinon je recopierais tout mon livre, mais je tiens à dire que j’ai passé deux ans à faire les recherches qui ont abouti au livre et que les détracteurs du tabac, dont j’ai étudié les livres (médecins, psychologues, etc., entre autres sur les dangers tout relatifs du tabac), sont ceux qui, sans le vouloir ni s’en rendre compte, m’ont fourni des arguments en or livrés sur des plateaux d’argent et ont enrichi mon analyse des dessous truqués de la guerre aux fumeurs, qui a déjà d’ailleurs commencé à produire un phénomène prévisible : la délation. C’est que plus nous sommes délestés de nos droits, plus certains pensent acquérir du pouvoir en s’attaquant aux individus, ici les fumeurs. Charmant programme pour un futur de type « Le Meilleur des mondes » de Huxley ou de la nouvelle « Matin brun », de Franck Pavlof