a écrit :"Le 21 janvier nous trouva en gare de Tiflis, en route vers Soukhoum. J'étais avec ma femme dans le compartiment de travail de mon wagon et, comme toujours, en cette période, j'avais de la fièvre. Après avoir frappé, mon fidèle collaborateur Sermux, qui m'accompagnait jusqu'à Soukhoum, entra. A sa façon d'entrer, à sa face d'un gris verdâtre, à ses yeux vitreux qui m'évitaient, à la façon dont il me tendit un papier, je pressentis une catastrophe. C'était un télégramme déchiffré de Staline, m'annonçant la mort de Lénine. Je passai le papier à ma femme qui avait déjà eu le temps de comprendre tout...
Les autorités de Tiflis reçurent bientôt le même télégramme. La nouvelle de la mort de Lénine se répandait rapidement par ondes. J'obtins la liaison par fil direct avec le Kremlin. J'eus cette réponse: «Funérailles samedi, de toutes façons n'arriverez pas, conseillons suivre traitement.» Il n'y avait donc plus à choisir. En réalité, les obsèques n'eurent lieu que le dimanche et j'aurais pu parfaitement arriver à temps à Moscou. Si invraisemblable que cela puisse paraître, on me trompa sur la date des funérailles. Les conspirateurs avaient justement calculé qu'il ne me viendrait pas à l'idée de vérifier leurs dires et que, plus tard, on pourrait toujours inventer une explication. Je rappelle que je ne fus informé de la première crise de maladie de Lénine que le surlendemain. C'était une méthode. Le but était de gagner du temps.
Les camarades de Tiflis me demandaient de dire immédiatement mon mot sur la mort de Lénine. Mais je n'avais plus qu'un seul besoin : celui de rester seul. Je ne pouvais prendre la plume en main. Le texte bref du télégramme de Moscou bourdonnait dans ma tête. Les camarades qui s'étaient réunis attendaient, cependant, un écho. Ils avaient raison. J'écrivis des lignes d'adieu: Lénine est mort. Lénine n'est plus... Je transmis par fil direct ces quelques lignes écrites à la main."
Trotsky, Ma Vie
Discours et message de
