par Ratus » 22 Fév 2005, 23:00
La désérotisation de la vie sociale
Le second aspect de cette tendance lourde de marchandisation des corps et des esprits, c'est la désérotisation de la vie sociale.
C'est paradoxal parce que le cul, le sexe s'étalent partout sur les écrans du spectacle, à la télévision, dans la publicité, dans le Minitel ou la pub pour les serveurs érotiques. Pour vendre une voiture on l'associe à l'image de la femme, c'est une saturation massive, une incitation permanente.
Mais dans le même temps, comme l'analysait Baudrillard à propos de "L'économie du signe et la symbolique de la mort", le corps est devenu un objet de consommation.
Il y a une association entre la gym, la forme, la jeunesse et le corps objet. Il faut traquer la cellulite, les bourrelets michelins. L'injonction normative ordonne : "soyez désirables!".
Cette mise en spectacle de l'érotisme va de pair avec une désérotisation du lien social. La sexualité tend à être réduite à la sphère privée ou à n'être autorisée que si elle est privative.
On sait maintenant que le lien social est organisé autour de la libido. Le lien dans les groupes sociaux est fondé sur la sublimation et l'échange libidinal.
Le lien social est-il basé seulement sur l'échange rationnel, ou comme l'affirment les structuralistes sur uniquement l'échange de signes ?
Ces deux explications sont insuffisantes, on doit accepter une troisième approche qui explique le lien social par la sublimation dans les groupes sociaux. Sublimation en particulier d'un désir homosexuel.
Les sociétés ne peuvent perdurer que s'il y a un lien érotique entre les composantes du groupe.
Au contraire de cela la pulsion de mort tend à la désagrégation. C'est ce qui se passe dans le capitalisme. La pulsion d'Eros fonde, quant à elle, la tendance à l'agrégation.
Nous assistons actuellement au triomphe de la désagrégation, du mortifère. Il y a une absence de projet érotique, le plaisir est absent et il n'y a pas de projet libidinal.
L'érotisation publique et spectaculaire est liée à l'appauvrissement massif du lien social et ce sur fond de surdétermination par l'épidémie du Sida.
Les militants astucieux pourraient interroger les campagnes de prévention actuelle sur les préservatifs.
L'injonction est de "sortir couvert". Quel est le signifié de tout cela ?
Est-ce seulement une mesure d'hygiène ou une mise sous cellophane ?
Du point de vue symbolique il aurait lieu de s'interroger sur cette asepsie plastifiée.
Quel est le rapport à l'autre dans ce cadre ?
La montée de l'irrationalisme
Passons sur une autre donnée du monde contemporain: la montée massive de l'irrationalisme.
Partout se développent la religion, l'intégrisme ou la lutte contre les impies. La religion met en place un lien social. Il faut souder le corps social autour d'une identité. L'expression "corps social" est en elle-même significative.
Cette soudure autour d'un monothéisme au nom d'une "vraie" religion a un effet délétère profond et puissant.
Les victimes sont toujours dans l'ordre: premièrement les femmes, puis les personnes homosexuelles, les intellos, les communistes, les anarchistes, etc....
Il faut relire "Psychologie de masse du fascisme du fascisme" de Wilhelm REICH. Cette psychologie était basée sur une désérotisation des corps pour intégrer l'esprit au fascisme. Il fallait s'emparer des âmes par les corps.
Regardez ce qui s'est passé à la conférence du Caire. Il y a eu une alliance entre les mollahs et le pape contre la maîtrise du corps par les femmes elles-mêmes.
A chaque fois il y a un reflux pour les femmes. Le cannibalisme religieux s'attaque toujours en priorité aux femmes et aux intellos.
On peut aussi se référer à une étude que j'ai faite sur les textes catholiques : les encycliques, les catéchismes, les directives de l'épiscopat.
Il y a un soin maniaque à vouloir codifier ce qui relève du sexe. Ce n'est pas dans l'antiquité, c'est actuel. C'est typique de ce que décrivait Foucault sur la microphysique du pouvoir.
L'interdit de penser va de pair avec la répression sexuelle.
C'est un bout d'une intervention de Jean-Marie Brohm, sociologue.
Je crois qu'il y a des choses assez justes dans ce texte, notamment sur l'absence de projet libidinal qui est pourtant intimement lié avec un projet sociétal.