L'atelier du Non-Faire est en sursis

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par emma-louise » 13 Août 2005, 19:45

a écrit :Lieu de psychiatrie alternative, l'atelier du Non-Faire est en sursis
LE MONDE  Mis à jour le 13.08.05





Comme les patients de l'hôpital psychiatrique de Maison-Blanche, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), il faut déambuler dans le parc immense de l'institution, naviguer entre les pavillons désaffectés, avant de se laisser guider par le son d'instruments qui perce le calme environnant. Il faut alors pousser la porte éclaboussée de couleurs du pavillon 53 et se laisser happer par ce site hors norme, qui tient autant de la cathédrale de peinture que du capharnaüm. Nous sommes à l'atelier du Non-Faire, un espace d'expression libre destiné au soin et à la réhabilitation des malades mentaux, qui a accumulé, en plus de vingt ans d'existence, plusieurs milliers d'oeuvres de patients.

Un projet de musée à Neuilly-sur-Marne
Accrochées aux cimaises, jonchant le sol ou remplissant les box du pavillon, des milliers de toiles qui constituent la mémoire de l'atelier du Non-Faire, certaines témoignant d'une vraie recherche picturale, pourraient être vouées à la destruction. La direction de l'hôpital de Maison-Blanche a d'abord pensé vider les locaux avant de les transmettre à leur futur propriétaire, la commune de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis).

Afin de sauver tout ou partie de cette oeuvre collective, la commune de Neuilly réfléchit à un partenariat financier avec d'autres collectivités territoriales. "On pourrait penser à un musée du Non-Faire ou à un musée du Non-Faire et de la psychiatrie, mais il nous faut une collectivité territoriale en appui, car nous sommes parmi les plus pauvres communes du département" , explique Jacques Maheas, sénateur et maire (PS) de Neuilly-sur-Marne.


A Suresnes, un "espace d'expression libre"
A l'instar de l'atelier du Non-Faire, une poignée de structures offrent des espaces d'expression artistique aux malades mentaux, indépendamment de toute démarche thérapeutique. L'atelier de Jean-Wier, animé par un artiste-peintre, Eric Pays, s'est constitué, il y a près de trente ans, comme atelier d'art autonome au sein de l'hôpital de jour Jean-Wier, àSuresnes (Hauts-de-Seine). Il accueille deux après-midi par semaine une vingtaine de patients, la plupart psychotiques.

"L'atelier est un espace d'expression libre, sans lien avec l'espace soignant , explique le docteur Martin Reca, médecin responsable à l'hôpital de jour. La seule contrainte qu'il implique est de se placer dans une démarche artistique. Du coup, le patient rentre dans un espace autre." L'atelier expose régulièrement sa production et vient de publier un ouvrage d'art réunissant une centaine d'oeuvres linogravées.




 

Menant une expérience thérapeutique originale, à la marge de la psychiatrie traditionnelle, l'atelier du Non-Faire est aujourd'hui menacé de fermeture : il est appelé à quitter le site de Maison-Blanche avant la fin de l'année, et son équipe n'a reçu de la direction de l'hôpital aucune assurance réelle de pouvoir poursuivre son activité dans un autre lieu.

Le projet thérapeutique de l'atelier du Non-Faire est simple : ici, chaque visiteur est libre de prendre ou pas les pinceaux et les instruments qui s'offrent à lui, de faire quelque chose ou... de ne rien faire. Pour comprendre l'esprit du lieu, il faut revenir, au début des années 1980, à l'itinéraire d'un soignant atypique, Christian Sabas.

Fraîchement diplômé de l'école d'infirmiers psychiatriques, peintre et musicien, Christian Sabas se heurte très vite au fonctionnement institutionnel de l'hôpital, qu'il juge trop rigide. Le jeune trublion refuse de mettre une blouse, rechigne à distribuer des doses massives de médicaments aux patients, joue au ping-pong et se balade dans le parc, parmi les malades. Pire, il amène ses instruments de musique à l'hôpital.

On lui reproche de "ne pas être solidaire de l'équipe médicale" , il n'en a cure. De guerre lasse, le chef de service de l'époque lui confie, en 1983, les clés d'un pavillon désaffecté : "L'atelier était comme une exigence, quelque chose qui s'est imposé comme une nécessité de survie dans l'asile" , estime rétrospectivement Simonetta Di Girolamo, psychologue, qui a rejoint l'équipe en 1999.

Les débuts du Non-Faire sont épiques : sans budget ni matériel, Christian Sabas et les patients manquent de tout, mais peignent avec frénésie. "On volait les draps des autres pavillons pour faire des toiles, on piquait les rouleaux de papier, les sacs à pain" , se souvient Joëlle, une ancienne malade. Le soir, l'infirmier se bat pour que les toiles réalisées ne soient pas détruites.

En 1985, l'atelier devient officiellement le service d'ergothérapie (traitement par un travail physique ou manuel) du secteur, mais les heurts continuent avec l'institution : Christian Sabas refuse toujours de répertorier les patients, se moque des diagnostics et boude les réunions institutionnelles.

Ces tracasseries cessent en 2000, quand l'ancien directeur de l'hôpital, Patrick Mordelet, affranchit l'atelier de la tutelle médicale en le rattachant directement à la direction. C'est la période faste pour le Non-Faire : l'atelier, dont la renommée dépasse les frontières, multiplie les expositions et les concerts en France et à l'étranger.

Le changement de direction a sonné le glas de ce fonctionnement. Au début de l'année, la nouvelle directrice de Maison-Blanche, Nicole Pruniaux, demande des précisions sur ce lieu qui échappe à tout contrôle. Elle réclame et obtient le rattachement de l'atelier à une tutelle médicale, puis, estimant le lieu dangereux, envoie le comité d'hygiène et de sécurité del'établissement au pavillon 53. L'équipe de l'atelier se soumet sans barguigner à ce nouveau régime, mais les événements s'accélèrent : début juin, stupéfaite, elle apprend que la direction lui laisse jusqu'à la fin du mois pour quitter le site.

"Jusqu'alors, nous avions confiance dans l'administration, car ce lieu existe depuis vingt-deux ans, et il y a un sens à le conserver , explique Simonetta Di Girolamo. On s'est senti trahi, sans considération des aspects thérapeutiques de notre travail et du patrimoine artistique qu'ont laissé les patients." La fermeture a finalement été repoussée à la fin de l'année, après une réunion de crise avec la direction.

Pour l'équipe du Non-Faire, il ne s'agit que d'un sursis. L'atelier devra, de toute façon, fermer ses portes. Comme l'hôpital du Perray-Vaucluse (Essonne), Maison-Blanche appartient à ces grands ensembles asilaires qui ferment peu à peu. Courant 2006, la quasi-totalité des activités soignantes du site de Neuilly-sur-Marne sera délocalisée sur les arrondissements du Nord-Est parisien.

L'atelier est d'autant plus menacé que trouver, à Paris, un local de grande dimension, suffisamment insonorisé pour ne pas gêner le voisinage, n'est pas chose facile. Ce genre de site coûte cher et l'hôpital, qui n'est pas prêt à en assumer la charge, n'a effectué aucune démarche concrète pour faire déménager l'atelier. La direction estime qu'elle doit d'abord clarifier le statut juridique du Non- Faire : "Personne ne dément l'existence de l'atelier, mais il faut que cette structure évolue vers une situation institutionnelle normalisée" , affirme ainsi Mme Pruniaux.

Pour la direction, une porte de sortie constituerait à transformer l'atelier du Non-Faire en un "club thérapeutique" , sur le modèle préconisé par le plan santé mentale du ministère de la santé. Petite structure associative réunissant des patients, les clubs permettent des financements croisés Etat-collectivités territoriales-hôpitaux. Mais, en attendant que le ministère établisse un cahier des charges les concernant, les clubs n'ont pas encore d'existence officielle et aucune démarche ne peut être engagée.

Cette situation inquiète l'équipe du Non-Faire, d'autant que les solutions alternatives, type centres d'accueil thérapeutique à temps partiel, impliquent un encadrement strict des activités menées avec les patients, incompatible avec la philosophie de l'atelier. En filigrane, c'est la question de la capacité de l'hôpital psychiatrique à tolérer des structures alternatives qui est posée.

"Si le club n'est pas créé, je m'engage au niveau de l'institution Maison-Blanche à trouver d'autres solutions pour que le Non-Faire ne disparaisse pas" , assure Jean Vuillermoz, élu (PCF) du 19e arrondissement et président du conseil d'administration de l'hôpital.

L'équipe de l'atelier, elle, ne demande qu'un local pour poursuivre son activité. "Je porte toujours le même dynamisme en moi , assure Christian Sabas. Mon rêve, c'est de créer un lieu, à Paris, pour une psychiatrie ouverte à tous dans la ville, pour que les gens qui ont besoin de venir puissent y déverser quelque chose."

Cécile Prieur




Je dédie ce mesage à Emmanuelle et Christelle...du Plateau d'Assy , sans lesquelles je serais pas là ce soir
emma-louise
 
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