par Inna » 21 Juil 2006, 22:03
Un vieil article du monde, toujours d'actu bien sûr :
La lutte contre l'obésité se heurte au lobby agroalimentaire
Article paru dans l'édition du 30.04.05
Un paquet de chips pourra-t-il être considéré un jour comme "bon pour la santé" ? Boutade ? Pas vraiment. En vidant de sa substance, jeudi 21 avril, la proposition de règlement sur les allégations nutritionnelles et de santé, les membres de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire du Parlement européen ont suscité la colère des associations de consommateurs. Celles-ci dénoncent la victoire des intérêts du lobby agroalimentaire au détriment de la santé publique.
Alors que les pays européens sont de plus en plus confrontés à la question de l'obésité, le projet de règlement interdisait aux fabricants de produits trop gras, trop sucrés ou trop salés de mettre en avant, sur leur emballage, des messages vantant de prétendus bienfaits comme : "Riche en calcium et magnésium" ou "Enrichi en vitamines" de ceux qui fleurissent sur les paquets de biscuits et autres boîtes de céréales.
Las ! Les parlementaires européens ont rejeté le principe selon lequel toute allégation devait reposer sur les qualités nutritionnelles réelles du produit. Pour justifier leur position, ils ont repris le même argument que les industriels, qui combattaient depuis de longs mois cette disposition : il n'y a pas de "mauvais" ou de "bons" produits, mais seulement de bons ou de mauvais régimes alimentaires.
De plus, les membres de la Commission ont remplacé par une simple notification la procédure d'autorisation préalable que prévoyait le texte pour utiliser des allégations de santé. Concrètement, les fabricants ne seront donc pas obligés d'apporter la preuve scientifique de la véracité de leurs allégations avant de mettre leur produit sur le marché. L'Union des fédérations de consommateurs UFC-Que Choisir et le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) estiment "essentiel" que le Parlement européen "revienne sur ces décisions" lors du vote en session plénière, le 25 mai.
EFFETS DU MARKETING
"Certains industriels surfent sur la vague de l'obsession "santé" sans se soucier réellement des effets de leur marketing sur la santé publique et notamment celle de nos enfants" , souligne Jim Murray, directeur du BEUC. Les agences sanitaires européennes, et notamment l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), reconnaissent aussi que la pression commerciale est un élément sur lequel il faut agir pour lutter contre l'obésité.
En France où 16 % des 6-15 ans présentent un excès pondéral (contre 5 % en 1980), dont 3,8 % d'obèses , l'obésité est qualifiée d'"épidémie" par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Obtenues de haute lutte face à la pression de l'industrie agroalimentaire, deux mesures, inscrites dans les articles 29 et 30 de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, devraient bientôt être appliquées.
Tout d'abord, à compter du 1er septembre, les distributeurs automatiques de sodas et de barres chocolatées seront interdits dans les établissements scolaires. "Il est acquis que cette disposition sera maintenue, il ne faut pas que les jeunes soient tentés" , insiste-t-on au cabinet du ministre de la santé, Philippe Douste-Blazy.
Le ministère de l'éducation, chargé de relayer l'information, confirme que cette interdiction sera rappelée dans la circulaire de rentrée, bientôt publiée au Bulletin officiel. "A priori, il n'y a pas de problème, nous pourrons appliquer la loi et enverrons une lettre recommandée aux distributeurs pour résilier nos contrats" , explique Philippe Guittet, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN).
"GRANDES MANOEUVRES"
La seconde mesure prévoit d'imposer, dès le 1er janvier 2006, un message sanitaire dans les publicités télévisées ou radiodiffusées pour des boissons sucrées et des produits manufacturés. S'ils refusent ce message, les annonceurs devront verser une taxe, correspondant à 1,5 % des sommes investies dans la diffusion des spots, au profit de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes) une taxe jugée "scandaleuse" par l'Association nationale des industries alimentaires.
Pour être effective, cette mesure nécessite un décret et une validation interministérielle. "Le décret est techniquement prêt, maintenant il s'agit d'une décision politique" , résume Serge Hercberg, vice-président du comité stratégique du Programme national nutrition santé (PNNS). Le message à diffuser a été rédigé et validé par l'Afssa et les professionnels de la nutrition. Reprenant les préconisations du PNNS, il devrait indiquer : "Pour protéger sa santé, manger au moins cinq fruits et légumes par jour, pratiquer une activité physique régulière, éviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé." "Tout devrait être prêt pour le 1er janvier 2006" , assure le ministère de la santé.
En attendant, "les grandes manoeuvres ont commencé" , déplore un spécialiste de santé publique. Pour preuve, la publicité du confiturier Andros, publiée sur une pleine page du Figaro du 20 avril, avec comme slogan : "Pour votre santé, le PNNS vous recommande de manger cinq fruits et légumes par jour."
Au cabinet de M. Douste-Blazy, on ne cache pas que cette stratégie de récupération par l'industrie alimentaire des messages du PNNS, "pose problème" et constitue un sujet "très vif" . "La confiture c'est plus de sucre que de fruits, il faut des règles déontologiques" , résume le ministère. Face au risque de voir les industriels se servir de la caution du programme national lancé par les pouvoirs publics pour vanter les mérites de leurs produits, le groupe de travail chargé de rédiger les règles et la charte d'utilisation des messages du PNNS a été appelé à "accélérer sa réflexion" . Jusqu'à présent, le PNNS était identifié comme une information émanant des pouvoirs publics, validée par des scientifiques et indépendante du secteur économique. "Si rien n'est fait, demain, McDonald's pourra dire que le PNNS recommande de manger des salades McDo" , résument certains nutritionnistes.
Pendant ce temps, dix villes françaises, dont Beauvais, Béziers, Evreux, membres du programme Epode (Ensemble, prévenons l'obésité des enfants), tentent depuis un an de sensibiliser les 5-12 ans à l'importance d'une alimentation équilibrée. "Le but est de stabiliser le taux d'obésité. Cela peut paraître un objectif limité, mais on part de très haut" , explique le docteur Jean-Michel Borys, coordinateur d'Epode. A Beauvais, 22 % des enfants sont en surpoids et 5 % sont obèses.
Sandrine Blanchard
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Une proposition de loi pour agir sur l'épidémie
A l'occasion de la sortie de son livre Obésité, le nouveau mal français (Ed. Armand Colin, 284 p., 21 euros), le député (PS) Jean-Marie Le Guen a déposé, mardi 29 mars, une proposition de loi destinée à lutter contre l'obésité. Considérant que le politique doit "agir sur l'environnement pathogène des consommateurs" , le parlementaire qui fut, à l'Assemblée, le promoteur acharné de l'interdiction des distributeurs automatiques dans les collèges et les lycées et de la taxation de la publicité alimentaire propose la création d'un "haut comité de lutte contre l'obésité" et d'un "observatoire" de l'épidémie. Il préconise d'obliger l'industrie agroalimentaire à fournir une information "compréhensible pour le consommateur" sur "la densité calorique, la teneur en sucre, en acides gras et en sel" et suggère que le ministre de la santé puisse "imposer un message d'éducation sanitaire sur les produits ne respectant pas les normes minimales de réglementation nutritionnelle" .