Pour le debat, deux articles qui étaient parus dans Rouge:
("Rouge" a écrit : Euthanasie
Le droit de mourir
L'actualité relance le débat sur l'euthanasie. Jean-Michel Krivine revient ici sur son évolution au cours des dernières années. La semaine prochaine, nous publierons un argumentaire de Christian Bensimon.
L'euthanasie est bien à l'ordre du jour avec les deux affaires récentes qui ont fait la une des journaux et de la télévision : celle de Vincent Humbert et celle de l'infirmière Christine Malèvre. Vincent Humbert est ce jeune tétraplégique (paralysé des quatre membres), muet et aveugle de 21 ans, qui avait écrit à Jacques Chirac pour lui demander de lui accorder le droit de mourir. Suite à son refus, la mère de Vincent a injecté une bonne dose de barbituriques à son fils, qui l'ont seulement rendu comateux. Il a été transféré au service réanimation du centre hélio-marin de Berck où, finalement, l'équipe soignante a décidé d'arrêter les soins. Quant à Christine Malèvre, c'est une infirmière de Mantes-la-Jolie qui avait été accusée en 1998 d'avoir "tué 30 fois par compassion". En octobre 2003, elle réapparaissait devant les assises des Yvelines pour avoir "aidé" sept malades à mourir.
Euthanasie passive, euthanasie active
Dans les deux cas c'est l'accusation d' "euthanasie" qui est formulée. Il convient donc d'abord de bien la définir. L'expression date du xiiie siècle et vient du grec eu (bien) et thanatos (mort). Primitivement, elle signifiait la mort heureuse et sans souffrance. Son sens s'est modifié au cours des siècles et actuellement on lui donne cette définition : "geste ou omission du geste qui provoque délibérément la mort du malade qui souffre de façon insupportable ou vit une dégradation insoutenable." On voit donc qu'il convient de distinguer l'euthanasie active et l'euthanasie passive. La première suppose le geste d'un tiers fournissant ou administrant au mourant une substance létale. La deuxième consiste en l'arrêt de la réanimation ou du traitement d'une maladie fatale quand on est convaincu que le cas est désespéré.
Au regard du droit français actuel, l'euthanasie active peut être qualifiée d'assassinat (meurtre avec préméditation) et la passive, d'omission de porter secours à personne en péril. La discussion ne date pas d'aujourd'hui et, en cette matière, l'hypocrisie a longtemps régné. Il a cependant fallu attendre les années 1980 pour que le débat devienne vraiment public. En 1980 a été créée l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui allait regrouper des dizaines de milliers de personnes. En 1984, un manifeste signé par des dizaines de médecins, affirmait qu'il fallait réfléchir avec les malades "au moyen de leur assurer une fin aussi dépourvue de souffrance et d'angoisse que possible". Par ailleurs les signataires reconnaissaient "avoit été amenés [...] à aider des malades en phase terminale à achever leur vie dans les conditions les moins mauvaises possibles". Le mot d'euthanasie n'était cependant pas prononcé.
En juillet 1990, l'Ordre des médecins d'Île-de-France suspendait, pour un an, de ses fonctions médicales le professeur et cancérologue Léon Schwartzenberg en raison des déclarations qu'il avait faites trois ans auparavant au Journal du Dimanche. Lui non plus n'avait pas utilisé le terme d'euthanasie, mais il en avait défendu le principe avec son mordant et sa verve habituels : "Ils me font bien rigoler ceux qui font une différence entre ouvrir un robinet, l'euthanasie active, et le fermer, l'euthanasie passive. Ne plus alimenter un tuyau de perfusion ou se servir d'une seringue, le résultat n'est-il pas le même ?" En 1990, sans demander obligatoirement une loi qui pourrait être "dangereuse", il propose "qu'un grand débat au moins réunisse malades, médecins, infirmières, politiques, magistrats, avocats, pour répondre à la plus grave des questions : le droit de vivre avec dignité jusqu'à la dernière minute de son existence".
Par la suite, le débat sur la dépénalisation de l'euthanasie est resté ouvert, mais l'élection de Chirac en 2002 a mis fin aux premières tentatives qu'avait notamment entamées le secrétaire d'Etat à la Santé de l'époque, Bernard Kouchner...
Indiscutablement, en ce qui concerne les pays développés, la mort survient dans de meilleures condition qu'auparavant : au XIXe siècle, 90 % des gens mouraient chez eux, loin des soins médicaux ; depuis les années 1980, 70 % des décès ont lieu à l'hôpital ou en institution. On sait maintenant beaucoup mieux traiter la douleur et s'occuper activement des plus mal en point dans les "unités de soins palliatifs" (dont le nombre est certes insuffisant). Mais il n'en demeure pas moins vrai que persistent des cas désespérés où la lutte contre la mort est perdue d'avance et où le patient en a assez de supporter le semblant d'existence qu'il subit. Tous les médecins hospitaliers sont confrontés un jour ou l'autre à ce problème et la plupart agissent dans le plus grand secret, avec ou sans l'accord des familles (et parfois, malheureusement, sans discussion préalable dans l'équipe soignante).
Tous les pays ont dû aborder la question et, en ce qui concerne nos voisins européens, seules la Hollande et la Belgique s'en tirent avec honneur : la loi néerlandaise en vigueur depuis le 1er avril 2002 et la loi belge, depuis septembre 2002, dépénalisent clairement l'euthanasie, mais sous certaines conditions. Il faut qu'elle soit pratiquée par un médecin et que celui-ci respecte quelques "critères de minutie" : claire demande d'un malade atteint de maladie incurable provoquant des souffrances insupportables, information du patient, consultation d'un confrère, etc. Dans ces deux pays le médecin devra établir un rapport transmis à une commission ad hoc qui vérifiera si l'euthanasie a bien été réalisée dans les conditions fixées par la loi. Signalons qu'au Danemark, l'aide au suicide est tolérée et que l'euthanasie passive pour les malades en phase terminale vient d'être légalisée.
Législation
Que conclure ? Selon un sondage Ifop, 88 % des Français se déclarent favorables à ce que la loi autorise l'euthanasie. L'ADMD tente de faire évoluer la législation afin d'éviter tout acharnement thérapeutique. Elle souhaite également que l'euthanasie soit légalisée pour éviter tout pratique secrète (voire, parfois, lucrative...). On peut penser que dans une démocratie socialiste autogérée, chacun serait à même de choisir sa vie, sans texte de loi pour faire respecter ce droit. Mais dans notre société il paraît indispensable d'au moins suivre l'exemple de la Hollande et de la Belgique (une royauté pourtant !) afin de répondre à l'attente de tous ceux qui ne veulent pas que leur fin de vie soit livrée au hasard ou prolongée jusqu'au délabrement. On ne peut que remercier le docteur Frédéric Chaussoy, chef du service de réanimation (nommé dans Le Monde "docteur Courage") d'avoir osé prendre publiquement la responsabilité de la mort du jeune Vincent Humbert en affirmant que c'était lui qui avait fait débrancher le respirateur artificiel. Son geste devrait devenir un geste habituel dans de telles circonstances...
docteur Jean-Michel Krivine,
chirurgien hospitalier retraité
Rouge 2035 16/10/2003
("Rouge" a écrit : Euthanasie
Choisir sa vie, choisir sa mort
Dans le "Rouge" du 16 octobre, Jean-Michel Krivine a replacé le débat sur l'euthanasie dans son contexte historique et juridique. Cette semaine, Christian Bensimon insiste sur l'urgence de "resocialiser la mort".
Vincent Imbert demandait le choix de mourir. Sa mère l'a "aidé" à abréger ses souffrances en lui administrant un produit létal. En dénonçant l'acharnement thérapeutique et en s'élevant contre la clandestinité des pratiques qui conduisent à la mort médicalisée, l'équipe de réanimation de l'hôpital de Berck a débranché le respirateur artificiel et revendiqué publiquement la responsabilité de sa mort. Le droit ne prévoyant pas, en France, l'exception d'euthanasie, ils sont aujourd'hui poursuivis et jugés devant une cour d'assises.
Cette loi caduque, dépassée, doit être revue et de tels actes doivent être dépénalisés comme aux Pays-Bas, en Belgique ou en Suisse où "l'aide au suicide assistée" est tolérée. L'euthanasie doit cependant être codifiée et encadrée pour fermer la porte aux dérives d'une société dans laquelle la marchandisation est en marche.
L'arbre qui cache la forêt
Dans un sondage Ifop récent, 88 % des Français se déclarent favorables à une loi autorisant l'euthanasie, tout comme 78 % des généralistes. L'affaire semble entendue, le Parlement doit légiférer ! Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Derrière un nombre de cas milités d'euthanasie, se profile la question centrale de la mort. Le problème de l'euthanasie n'est qu'un effet de la médicalisation de la mort.
Généraliste depuis vingt-cinq ans, la mort s'invite souvent dans ma pratique : annoncer une maladie grave ou mortelle, faire comprendre que la fin est proche, accompagner les derniers moments, apaiser les souffrances et les angoisses des malades et de leurs proches... Mais une société qui laisse crever ses anciens (15 000) par temps de canicule n'a pas de temps à perdre à les accompagner jusqu'à la fin de leur vie dans la dignité.
A l'hôpital comme en ville, la productivité domine, les soins sont réduits à la portion congrue de l'acte technique. En ville, le paiement à l'acte est un frein à la prise en charge globale ; à l'hôpital, le déficit en personnel qualifié ne permet pas d'atteindre cet objectif.
Autant les seniors valides sont courtisés, représentant un marché de consommateurs actifs et rentabilisant le bénévolat et le travail associatif, autant les grands malades, les handicapés profonds, les mourants, ne sont pas "rentables". Ils deviennent un poids "mort", ils sont déjà morts...
Il est donc important de resocialiser la mort tout en posant le problème de la fausse égalité devant elle. Les inégalités sociales reproduisent une inégalité d'espérance de vie et même des pathologies. Nous ne sommes pas non plus à égalité au moment de choisir le cadre où l'on veut - ou peut - finir ses jours : services de soins actifs, long séjour, maison de retraite ou encore le domicile.
A chacun selon son porte-monnaie. Mais le forfait hospitalier qui augmente, le marché des maisons de retraite médicalisées aux mains des groupes privés, les budgets publics qui fondent, les aides pour le maintien à domicile amputées, ces inégalités ne feront que se creuser. Il est temps d'arrêter le rouleau compresseur libéral avant qu'il ne casse la Sécurité sociale et amplifie encore la situation.
D'un point de vue philosophique, la seule question qui doive être posée est celle de l'exercice de la liberté jusqu'à la fin. Albert Camus écrivait, dans Le Mythe de Sysiphe : "Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide." Il voulait dire que si la liberté est bien le pouvoir que l'on exerce sur soi, alors ce pouvoir est illimité et le suicide est légitime.
Exercer sa liberté jusqu'à la fin
Vivre libre jusqu'à son terme pose la question de la liberté de mourir. B. Proust, professeur de philosophie, concluait ainsi un article dans la revue du syndicat de la médecine générale, Pratiques : "Je demande que ma liberté soit respectée dans l'acte de mourir. Lorsque ma conscience vacille, lorsque la déraison l'emportera, quand je n'aurai plus aucune liberté, aucun exercice du pouvoir que j'exerçais tant bien que mal sur moi, quand je n'aurais plus aucune liberté de décider quoi que ce soit, alors, que d'autres, que j'aurai choisis, décident pour moi ! Mais je veux que ce soit ce que j'aurai décidé pour moi auparavant, que ce soit non par leur volonté, mais par la mienne."
L'acharnement thérapeutique est un déni de liberté et un abus de pouvoir. Le pouvoir des mandarins n'avait été que peu ébranlé par la tempête de Mai 68. Le panneau symbolique "Hôpital silence !" s'adresse toujours aux familles, aux victimes, mais aussi aux soignants et surtout aux malades et aux agonisants. Ce n'est qu'avec l'épidémie du sida dans les années 1985-1990 que des associations comme Aides ou Act Up ont obtenu le droit à la parole et à l'écoute. Elles ont bousculé les rapports soignants-soignés et démontré quel bénéfice, face à la maladie, pouvait être tiré d'une véritable considération du malade et de la reconnaissance d'un savoir partagé sur sa maladie.
Les traitements palliatifs représentent une avancée majeure. Ils ont permis de soulager la douleur et de montrer que les soins n'étaient pas finis quand la guérison n'était plus envisageable. Mais leur confiscation par l'hôpital, la création d'unités où la mort est devenue une spécialité, mettent en exergue la faiblesse voire l'absence d'accompagnement dans les autres phases de la maladie. A isoler les malades par spécialité, il devient de plus en plus difficile d'avoir une vision d'ensemble que nécessite la considération du malade dans sa totalité, corps et esprit intimement liés, indissociables de son environnement.
La fin de vie à la maison ou à l'hôpital dépend, pour beaucoup, de la prise de position intime de chacun face à sa vie et à sa mort, au travers de la qualité de relation et des liens qu'il a pu tisser tout au long de sa vie ou tisse encore jusqu'au bout. C'est toute l'importance de l'accompagnement dont le but est de faciliter "une belle mort". C'est-à-dire un cheminement nécessaire pour régler ses comptes, dire ses regrets, ses joies, ses échecs, vivre ses dernières tendresses avant de partir. L'accompagnement vers la sérénité de mourir ne peut se faire seul. Il implique les autres, la famille, les amis et la qualité de l'éthique des soignants. Encore faut-il, à domicile, comme à l'hôpital, trouver le personnel suffisant, compétent, lui-même accompagné pour accompagner. Car si vivre seul est difficile, mourir seul est plus terrible encore et l'expérience montre que le désir du mourant est de ne pas être abandonné à sa solitude.
Cet objectif implique de réintégrer la mort dans nos sociétés, de cesser de l'occulter parce qu'elle serait un échec. Ce n'est probablement pas la mort qu'il faut vaincre. C'est notre incapacité à nous accompagner les uns et les autres. Si la société portait un autre regard sur la vieillesse et la fin de vie, elle porterait un autre regard sur les conditions de vie tout court. Il faut la changer !
Christian Bensimon
(médecin généraliste)
Rouge 2036 23/10/2003