Le Surréalisme, un romantisme du XXème siècle

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Matrok » 27 Oct 2007, 17:51

(El convidado de piedra @ samedi 27 octobre 2007 à 08:08 a écrit :La lutte entre le classicisme et le romanticisme peut se comparer à la lutte entre la Raison et l'Irrationalisme. C'est le reflet dans le domaine de l'art de la decadence revolutionnaire de la bourgeoisie; elle tourne le dos à la réalité (héroique dans sa période de jeneusse) pour s'approcher de...la Mort.

Les courants esthetiques actuels ne sont qu'une forme très poussé du Romanticisme.

Même si je ne suis pas complètement d'accord avec cette formulation du convive sur le fil "Schubert" (sur lequel j'ai fait part de mes objections), je pense qu'il y a quand même du vrai là dedans, à savoir que l'art à partir du romantisme et jusqu'à nos jours est très souvent irrationaliste.

Ceci pour introduire le sujet : le surréalisme. Le groupe surréaliste, c'est des romantiques purs et durs : ils sont tellement irrationalistes qu'ils poussent le vice jusqu'au mysticisme de pacotille (tarots, chiromancie, etc...), et ils excluent tout discours rationnel de leur art au profit de la "toute puissance du rêve". Voila comment Breton définit le surréalisme dans le "Premier Manifeste du Surréalisme" :
a écrit :...automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie...


On pourrait dire que c'est mal barré, que ça devait forcément donner un courant extrêmement réactionnaire. Comme en plus ils n'hésitaient pas à faire l'éloge du fanatisme et de la violence, ils auraient pu entièrement virer au fascisme comme les "futuristes" italiens avec lesquels ils avaient plus d'un point commun... Mais ce n'est pas ce qui arriva. L'adoption par les surréalistes du marxisme comme référence (deuxième manifeste) aurait pu être aussi stérile que le mariage de la carpe et du lapin, mais dans leur domaine artistique le mélange Marx + Freud + Rimbaud semble avoir fonctionné. Tous les surréalistes n'ont pas eu un parcours exemplaire, certains comme Aragon sont devenus staliniens, d'autres comme Dali ont fait l'éloge du fascisme, mais dans l'ensemble, et sous la direction parfois autoritaire d'André Breton, ils ont été plutôt progressistes en politique : Breton les avait tous poussé à adhérer au parti communiste dans les années 20, ils ont pris collectivement parti contre le colonialisme lors de la guerre du Rif (voir ici le tract qu'ils ont alors diffusé ), et Breton va même se rapprocher de Trotsky et co-signer avec lui et Diego Rivera un texte qu'on ne présente plus.

Voila, qu'est-ce que vous en pensez ? Pour ma part quand je vais dans un musée d'art moderne, tout me paraît fadasse à part les œuvres des surréalistes, ou celles qui y sont plus ou moins liées. Mais je reconnais qu'il y a des aspects du surréalisme passablement irritants, tout le côté mystique en particulier, et parfois incroyablement prétentieux...
Matrok
 
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Message par Bolchevizma » 27 Oct 2007, 18:33

A lire : La Révolution et les Intellectuels de Pierre Naville

Le Surréalisme de Walter Benjamin

A part ça, Michael Löwy sur le romantisme dans un entretien :
a écrit :L’une des sources d’inspiration de Benjamin est le romantisme. Or, ce dernier est traditionnellement considéré comme une idéologie réactionnaire, opposée aux "Lumières" de la modernité. Comment Benjamin transforme-t-il le romantisme en doctrine révolutionnaire?

C’est à tort que le romantisme est considéré comme une idéologie réactionnaire. Comme toute idéologie, le romantisme comporte deux versants: l’un conservateur, l’autre révolutionnaire. Le romantisme est une vision du monde opposée à la civilisation moderne au nom de valeurs du passé. Un auteur comme Rousseau s’inscrit parfaitement dans cette tradition. Or, on ne peut pas dire que Rousseau était un réactionnaire, c’était au contraire un démocrate. On trouve également un courant romantique en économie politique. Prenez Sismondi, qui rêvait d’un retour à une production de type artisanal. Marx, dans le Manifeste communiste, critique le romantisme économique de Sismondi, mais cela ne l’empêche pas de s’en inspirer. Walter Benjamin est très influencé par le romantisme. L’idée, là encore, est de critiquer le "désenchantement" du monde moderne au moyen de catégories pré-modernes. Il ne s’agit évidemment pas de prôner un simple "retour au passé", mais d’actualiser la charge révolutionnaire contenue dans certaines valeurs pré-capitalistes.


http://www.solidarites.ch/journal/print.php?id=376
Bolchevizma
 
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Message par Harpo » 27 Oct 2007, 18:55

Et surtout : HISTOIRE DU SURRREALISME de Maurice Nadeau (collection Points du Seuil).

Et pendant qu'on y est, du même auteur : GRACES LEUR SOIENT RENDUES (Albin Michel).
Harpo
 
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Message par Bolchevizma » 27 Oct 2007, 19:40

Un article plus complet dudit Löwy dans Inprecor, suite à un autre article de Hendrik Patroons très intéressant par ailleurs .

a écrit :Lumières du romantisme socialiste

Michael Löwy, militant de la IVe Internationale, philosophe, a publié de très nombreux ouvrages. Citons ici « la Pensée de Che Guevara », « la Théorie de la révolution chez le jeune Marx », « Dialectique et révolution », « Marxisme et théologie de la libération », « Patries ou Planète ? — nationalismes et internationalismes de Marx à nos jours », « la Guerre des dieux », etc.

L'article de Hendrik Patroons (HP), « L'Anti-socialisme des Anti-Lumières — Du romantisme au postmodernisme » (1) est un apport très intéressant au débat sur les rapports entre culture et politique. Je partage beaucoup de ses remarques — par exemple, le marxisme comme dépassement dialectique des Lumières — et ses critiques contre le romantisme réactionnaire et le postmodernisme. Cependant, j'ai aussi quelques désaccords importants que je voudrais argumenter.

Tout d'abord, un mot sur l'histoire du romantisme. Selon HP « le romantisme était dans un certain sens une adaptation aux bouleversements survenus en Europe à la suite de la Révolution française ». Cette chronologie me semble discutable : quelques-uns des « fondateurs » du romantisme — comme Herder ou Rousseau — sont bien antérieurs à 1789. HP semble définir le romantisme comme étant fondamentalement un mouvement anti-Lumières ; il cite Rousseau comme exemple typique de la pensée des Lumières et mentionne les polémiques de l'historien conservateur Jacov Talmon contre Rousseau comme exemple de romantisme anti-Lumières. Or, la plupart des historiens de la culture sont d'accord pour considérer Jean-Jacques Rousseau comme un des fondateurs du romantisme, tant du point de vue littéraire que politique. S'il n'était pas systématiquement hostile aux Lumières, il n'en critiquait pas moins, assez durement, certains aspects. Ainsi, certains thèmes romantiques que dénonce Patroons, « l'émotion contre la raison… la subjectivité contre l'objectivité… la culture idéaliste contre la civilisation matérielle… l'art comme expression la plus individuelle de l'émotion la plus individuelle » se trouvent, à quelques nuances près, dans l'œuvre de Rousseau. Talmon, un libéral bourgeois typique, définit Rousseau comme un « démocrate totalitaire » et un des fondateurs du « messianisme politique » dont les héritiers au XIXe siècle sont… les romantiques. Deux livres seront dédiés par Talmon au combat contre le romantisme messianique (« totalitaire »), catégorie à laquelle appartiennent selon lui tous les socialistes et révolutionnaires du XIXe, Marx y compris ! (2) Il est impossible de mobiliser Talmon pour démontrer le caractère anti-socialiste et anti-révolutionnaire du romantisme… Il témoigne plutôt de la profonde aversion du libéralisme bourgeois pour toute forme de romantisme, en particulier dans ses manifestations socialistes et/ou révolutionnaires.

Le cas Rousseau — mais aussi celui de Hölderlin, le jeune Schlegel, Schelley, Blake, Hugo, jusqu'aux surréalistes — montre que le rapport du romantisme aux Lumières est complexe. En fait, c'est une simplification abusive de définir le romantisme comme « anti-Lumières » : je proposerais plutôt, en partant de certains commentaires de Marx et du jeune Lukacs, de le considérer comme une révolte culturelle contre la civilisation capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé. Certes, il est souvent réactionnaire, passéiste, rétrograde — là je ne peux qu'être d'accord avec Patroons —, mais il existe aussi un romantisme de gauche, qui n'aspire pas à un retour au passé, mais plutôt à un détour par le passé vers un avenir utopique. HP affirme que « la critique des Lumières par le romantisme… était irrecevable pour les marxistes ». Mais il finit par reconnaître le contraire : la critique romantique des Lumières « a même suscité parmi des marxistes une sympathie pour certains aspects de l'anticapitalisme romantique, dont le dernier avatar esthétique en France a été le surréalisme » (3). Il cite aussi Henri Lefebvre, qui se réclamait du « romantisme révolutionnaire », ainsi que l'École de Francfort (Adorno, Horkheimer). On pourrait ajouter William Morris, Ernst Bloch, Walter Benjamin, José Carlos Mariategui, et beaucoup d'autres. Bref, l'équation : « romantisme = anti-socialisme » ne tient pas la route. Ajoutons que ces socialistes, ou marxistes, romantiques, ne sont pas « anti-Lumières » mais développent, sous des formes très diverses, un rapport critique et « dialectique » aux Lumières. Ce sont, par ailleurs, quelques-uns parmi les penseurs critiques les plus radicaux et les plus intéressantes du XXe siècle, et leur filiation romantique n'est peut-être pas étrangère à ces qualités politiques et intellectuelles…

On pourrait d'ailleurs montrer que Marx et Engels eux-mêmes, sans être en rien romantiques, n'ont pas moins intégré dans leurs travaux les apports de la critique romantique de la civilisation capitaliste, depuis Sismondi et Carlyle, jusqu'aux écrivains Balzac et Dickens.

Selon Patroons, le romantisme « cosmologique » allemand a « marqué de son sceau toute la pensée conservatrice et réactionnaire du XXe siècle ». Je ne pense pas que le social-darwinisme, le racisme biologique, le colonialisme, le libéralisme bourgeois et le néo-libéralisme actuel, soient particulièrement marquées par le « romantisme cosmologique allemand ». Quant au nazisme : notre ami pense que « les idées les plus rétrogrades de ce romantisme-là-là se sont matérialisées dans la barbarie des années 1940-45 ». Cela n'est pas faux, mais ce n'est que la moitié de l'histoire : le fascisme allemand a été un amalgame pervers d'éléments romantiques, et de certains aspects très « modernes » de la rationalité instrumentale capitaliste. Cette démonstration a été esquissée par Adorno et Horkheimer dans « La dialectique des Lumières » — ouvrage discutable, mais qui, comme le reconnaît Patroons, ne doit pas être rejeté pour autant. Elle a été développée, d'un point de vue sociologique, dans « Modernité de l'Holocauste », de Zygmunt Bauman, un ouvrage incontournable pour une analyse marxiste du nazisme, qui montre comment le IIIe Reich a mis en place un système d'« industrialisation de la mort », fondé sur les acquis techniques et administratifs les plus « rationnels » de la modernité capitaliste. En ignorant cet aspect fondamental du nazisme, et en le réduisant à un épisode de la « destruction de la raison » inaugurée par Schelling, Nietzsche, etc., Georges Lukacs — dans un ouvrage de sa période stalinienne qui sert de référence à Patroons — est incapable de rendre compte de la véritable généalogie du phénomène nazi.

Encore un exemple dans le même sens : selon HP, « la raison analytique se prête mal aux concepts romantiques et leurs dérivées populistes et antisémites ». Cette défense de la « raison analytique » me semble contradictoire avec ce que dit l'auteur au début de son article : le marxisme est un dépassement des Lumières, et il met en œuvre une « autre raison », une raison matérialiste et dialectique. En fait, la raison analytique — c'est-à-dire non dialectique — est parfaitement compatible avec un discours antisémite pseudo-scientifique, « biologique », « anthropologique », « hygiénique » ou « socio-économique ». Un bel exemple est « Le Juif international » (1921) de Henry Ford — un des livres de chevet d'Adolf Hitler et Heinrich Himmler — un livre qui ne doit rien au « romantisme cosmologique allemand » et relève d'un discours réactionnaire parfaitement « moderne » — comme son auteur, l'inventeur de la chaîne de montage !

Pour conclure : je pense que l'article de Henrik Patroons pose beaucoup de questions intéressantes, mais son argumentation est trop unilatérale. Le marxisme et la théorie révolutionnaire doivent développer une approche dialectique aussi bien envers les Lumières qu'envers le romantisme.

1. Cet article de Hendrik Patroons a été publié dans Inprecor n° 521/522 de novembre 2006.
2. J.L. Talmon, « Political Messianism. The Romantic Phase », London, Secker & Warburg, 1960 qui contient un chapitre sur le « totalitarisme communiste » (au XIXe siècle !) et « Romanticism and Revolt. Europe 1815-1848 », London, Thames and Hudson, 1967, qui contient le chapitre : « Socialism ».
3. Après cette phrase, dans une note en bas de page, HP a eu la politesse de citer mon livre (avec Robert Sayre), « Révolte et Mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité », Paris, Payot, 1992, mais il ne semble pas avoir été convaincu par notre thèse (l'opposition du romantisme à la civilisation capitaliste)…

Michael Löwy
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Message par Gaby » 28 Oct 2007, 00:28

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