Rouge du 18 septembre
Champ Libre
Jean-Marc Priez
Réduire les risques
Jean-Marc Priez a été président de l'association TechnoPlus, qui travaille pour la réduction des risques auprès des usagers de drogues de synthèse, de 1998 à 2002. Il fait l'objet d'une plainte portée par le procureur du tribunal de grande instance de Paris pour avoir, dans le cadre de ses fonctions, "facilité et provoqué l'usage de stupéfiants" et sera jugé le 23 septembre prochain. Il risque dix ans d'emprisonnement.
- Qu'est-ce que la réduction des risques ?
Jean-Marc Priez - La réduction des risques a commencé en France au début des années 1990. Ça a été une réponse face à l'épidémie de sida. On était jusque-là dans une guerre à la drogue. On ne peut pas dire que ça marchait énnormément, mais il n'y avait pas d'alternative : "Il ne faut pas prendre de drogues, sinon tu vas en prison." Donc il n'y avait aucune information. Et il a fallu attendre 1987 pour qu'on ait au moins l'autorisation de donner des seringues. C'était déjà une alternative. Le discours de la réduction des risques, au départ, c'est " si tu prends de la drogue, essaie d'avoir un rituel qui t'évite d'avoir des accidents sanitaires qui sont graves".
Puis, petit à petit, c'est allé un peu plus loin puisqu'aujourd'hui on a des programmes de produits de substitution - métadone, etc. -, c'est-à-dire que l'on met des personnes sous le protocole de produits qui sont pharmacologiquement organisés et tolérés. Donc on passe de quelque chose d'illégal à quelque chose de légal. Ça peut permettre à la personne d'avoir une autre vision sociale de sa vie. Ça peut l'aider par rapport à la recherche du produit et surtout à la clandestinité qui est souvent cause de dérapages et d'accidents.
- Quel rôle joue TechnoPlus dans ce cadre ?
J.-M. Priez - TechnoPlus s'est créé en 1995 et travaille autour des drogues de synthèse. Jusque-là on est face à une politique sanitaire, avec le sida comme ligne de mire, et par rapport aux drogues de synthèse on retrouve une politique d'interdit qui fait l'impasse sur le minimum d'information. Quand TechnoPlus se crée, l'ecstasy provoque de nombreux accidents dus à l'hyperthermie - augmentation de la chaleur du corps et perte d'eau. Et quand on consomme des ecstazys, il faut boire régulièrement de l'eau pour régénérer... Ce type d'information n'existait pas et les accidents qu'on voyait sur le terrain étaient toujours associés à ce genre de malaise. Nous nous sommes créés pour diffuser ces informations. Et la première que nous avons fait circuler a été "si tu prends de l'ecstazy, boit régulièrement de l'eau". Tout de suite, quand le message est passé, les gens on commencé à adopter ce rituel de prise, le nombre d'accidents a radicalement baissé.
Puis nous avons élargi cette démarche à l'ensemble des drogues de syntèse.
- C'est une politique assez subversive par rapport à la loi...
J.-M. Priez - Oui. Mais c'est une démarche pragmatique que tout le monde aujourd'hui met en place. Alors nous sommes subversifs, sauf qu'on est financés par le ministère de la Santé depuis 1997, que c'est la droite qui a commencé à le faire et que ça ne s'est jamais arrêté.
Un certain nombre de pays sont en train de changer la loi. L'un des pays les plus avancés en Europe sur cette question est la Suisse, qui a vraiment une politique extrêmement libérale et pragmatique. Certaines personnes ont accès à des programmes de substitution ou à de l'héroïne pure. La consommation et l'autoproduction de cannabis sont tolérées, les problèmes essentiels étant ceux liés aux trafics et à la mafia plutôt que celui de la consommation. Les usages sont dépénalisés. Les politiques sont centrées sur les personnes et leur bien-être et non sur le bien-être moral d'une société.
La France ne veut pas faire évoluer sa loi dans ce sens, certainement parce que le problème de la drogue fait consensus. Il touche à la morale et à l'affectif, et c'est bien pratique. Quand le gouvernement fait une politique qui peut être remise en cause par la société, il reprend un sujet qui fait consensus. D'autant que les gens se disent "et si c'était ma fille ou mon fils" : ils feraient mieux de se dire "et si c'était moi". En même temps, quand un père ou une mère voit que son gamin de vingt ans se tape deux ou trois mois de taule, qu'il paume ses études parce qu'il avait du shit sur lui, d'un seul coup il s'aperçoit qu'en fait la loi broie les vies beaucoup plus que les drogues et que le pointage sur eux-mêmes en tant que père ou mère de drogué fait mal. Et qu'il ne faut plus avoir honte. Il faut relever la tête. Il suffit de changer les lois.
- Tu vas passer en procès. De quoi es-tu accusé ?
J.-M. Priez - J'ai distribué des flyers de prévention : l'un, "Sniff propre", fait la promotion des pailles individuelles pour éviter les hépatites, et l'autre, "Drug mix", parle des dangers des mélanges incompatibles de certaines drogues. Pour les avoir diffusés, entres autres sur Internet, je suis accusé d'avoir "favorisé et provoqué l'usage de stupéfiants" en France. Pour avoir "favorisé" l'usage de drogues je risque cinq ans de taule au titre de la loi sur la santé publique. "Provoqué" signifie que je risque dix ans au titre du Code pénal.
C'est la première fois qu'un militant associatif de la réduction des risques se retrouve devant le tribunal pour le travail qu'il fait. C'est une guerre d'arrière-garde et une remise en cause de ce que peuvent être les politiques de réduction des risques.
- Il y a un paradoxe entre ces accusations et la provenance des financements de TechnoPlus...
J.-M. Priez - Il y a une sorte d'incohérence. Les politiques sont persuadés que la réduction des risques doit fonctionner parce que c'est la seule solution. En même temps, ils ne veulent pas changer la loi. On te dit qu'il est interdit de te droguer et en même temps on te donne des seringues pour que tu le fasses.
- Qu'en est-il de la mobilisation autour de ton procès ?
J.-M. Priez - Le 23 septembre - jour du procès -, on appelle à une présence à 13 heures devant le palais de justice de Paris. Mais le mieux, c'est que les gens témoignent par mail de comment, à un moment donné, ils se sont retrouvés, eux, leurs enfants, leurs amis, face à la loi, et comment par rapport à cette consommation de drogues, la loi les a attaqués et déstabilisés.
J'ai le témoignage d'un étudiant qui a vingt ans, qui a fait six mois de taule et a donc dû arrêter l'université. Qu'est-ce que ça signifie de venir arrêter les gens pour consommation de drogue sur leur lieu de travail ? Comment socialement ça détruit quelqu'un ? Au printemps 2004, le gouvernement veut réviser la loi de 1970. Il faut que d'ici là on aie de nombreux témoignages à lui présenter.
Propos recueillis par Charlotte Daix
Rouge 2031 18/09/2003
[/quote]
voilà une société qui crée la misère et qui entretient le trafic de drogues, et qui répond aux malaises par le procès des gens qui veulent contribuer à la reconnaissance des toxicomanes comme étant des personnes à part entière, en esseyant de prévenir les risques qu'ils encourent.
morale bien hypocrite que de condamner l'usage de drogues illicites sans lutter contre les véritables responsables. sans oublier le nombre de prescriptions de drogues licites (alcool, valium et autres prozac) que bien des travailleurs ingurgitent pour ne pas craquer au boulot...
