Les ampoules basse conso

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par com_71 » 02 Fév 2012, 15:08

Mais alors il s'agirait, -et je ne discute pas du bien-fondé ou pas cette thèse- de la nécessité sociale de mettre un frein à la consommation d'énergie. Mais que vient faire la notion de prix là-dedans ?
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Matrok » 02 Fév 2012, 16:52

(com_71 @ jeudi 2 février 2012 à 14:08 a écrit :Mais alors il s'agirait, -et je ne discute pas du bien-fondé ou pas cette thèse- de la nécessité sociale de mettre un frein à la consommation d'énergie. Mais que vient faire la notion de prix là-dedans ?

De prix... ou de coût.

Pour résumer à l'extrême, ce qui est rare est cher. Le pétrole, c'est pas très cher, et depuis le début de la révolution industrielle jusqu'à la fin des années 1970 c'était même de moins en moins cher. Mais c'est fini, ça ne sera pas monotone, ça oscillera encore un peu sans doute mais fatalement, à (pas si long) terme ça sera de plus en plus cher. Et ce n'est pas qu'une question de spéculation capitaliste, c'est inéluctable : quand le pétrole sera plus rare que le diamant, il sera très cher. Et on va y arriver, on s'en rapproche petit à petit.

Et le même phénomène va forcément se produire à terme pour toutes les ressources non renouvelables et trop exploitées par rapport aux ressources existantes, donc notamment aussi pour les autres ressources énergétiques finies : gaz, charbon, mais aussi uranium... Pour le charbon le délai est plus long car les ressources sont plus abondantes, mais à quel coût humain ! Pour le nucléaire, il existe des moyens techniques envisageables pour prolonger de beaucoup leur durée d'exploitation en diminuant voire en éliminant quasiment la consommation d'uranium, mais cela nécessiterait une si longue et coûteuse période de recherche et de développement technologique qu'on n'évitera pas une crise de l'énergie entre temps. Les énergies renouvelables (hydroélectrique, solaire, éolien, géothermique, marémoteur etc.) ne permettent pas non plus de surmonter cette crise sans consommer moins, pour des raisons techniques essentiellement et parce qu'elles ne sont pas encore très développées - sauf pour l'hydroélectrique où au contraire elle est développée déjà beaucoup et n'a plus grand chose à promettre de plus.

À cela s'ajoute l'épée de Damoclès du changement climatique, car brûler des hydrocarbures envoie du CO2 dans l'atmosphère, ce qui augmente l'effet de serre et modifie le climat partout sur la planète. Cela aussi à un coût, difficile à évaluer mais sans doute important. Quelle répercussion sur le prix ? La justification (réalité ou prétexte) des différentes formes et variantes de "taxe carbone" est celle-là : faire payer les dégâts aux pollueurs en considérant les émissions de CO2 comme de la pollution coûteuse à la collectivité ; et pour tout dire je ne suis pas sûr que la dictature du prolétariat à venir devra abolir toute forme de "taxe carbone" !

Voila pour le coût de l'énergie. Est-ce que ça justifie une politique poussant à faire disparaître les vieilles ampoules énergivores au profit des ampoules dites "à économie d'énergie", j'avoue que je n'en suis pas sûr, je n'ai pas toutes les données de ce problème là. Mais il semble bien, quand même, qu'elles permettent réellement des économies d'énergie (cf. la facture de roudoudou). Alors évacuer cet aspect là alors que c'est quand même leur raison d'être, c'est pas très sérieux.
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Message par quijote » 02 Fév 2012, 17:46

il y a quand même une chose que tu n 'abordes pas ( du moins ici ) , c'est le gaspillage du fait que nous vivons dans un système capitaliste orienté vers le profit exclusivement . Ex :le pétrole : ne pourrait pas envisager un formidable développement des transports en commun , améliorer l 'habitat , sans parler du gâchis que représente l 'armement et tous les faux frais liés à la gestion capitaliste de l 'économie ...le charbon est certes dangereux mais il faut voir les conditions dans lesquelles il est exploité. quant au réchauffement climatique ( tous les savants ne sont pas d'accord là dessus) il est aussi le résultat de l 'anarchie économique . Je suis donc moins pessimiste : je pense que la science va nous permettre de nous en sortir , à condition de l 'arracher des mains des capitalistes .. et nos futures générations auront largement les moyens de pourvoir largement à leurs besoins d'énergie... Peut -être trouverons -nous d'autres sources d'énergie , ou saurons nous tirer un meilleur parti de celles existantes.....enfin c'est mon opinion étant optimiste de nature..
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Message par com_71 » 02 Fév 2012, 17:53

(Matrok @ jeudi 2 février 2012 à 16:52 a écrit : À cela s'ajoute l'épée de Damoclès du changement climatique, car brûler des hydrocarbures envoie du CO2 dans l'atmosphère, ce qui augmente l'effet de serre et modifie le climat partout sur la planète. Cela aussi à un coût, difficile à évaluer mais sans doute important. Quelle répercussion sur le prix ? (...) et pour tout dire je ne suis pas sûr que la dictature du prolétariat à venir devra abolir toute forme de "taxe carbone" !
Tu ne peux vraiment pas raisonner au niveau de l'utilité sociale, traduite par une planification rationnelle, et dégagée des "lois du marché" ?
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Message par roudoudou » 02 Fév 2012, 18:00

a écrit :Ecrit le mercredi 1 février 2012 à 22:00 zorglub
  Ce n'est pas sur l'économie possible qu'il y a supercherie, même si elle semble moindre que ce qu'elle pourrait être, ne serait-ce que sur la durée de vie bridée. Ce n'est d'ailleurs pas ce qui préoccupe les écolos en premier, le portefeuille du consommateur.


Salut Zorglub ;)
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Message par Matrok » 02 Fév 2012, 19:06

@ quijote :
Sur le gaspillage qu'induit le capitalisme, évidemment d'accord.

Quant au changement climatique, je ne connais pas un seul scientifique sérieux qui le nie. Pas un seul non plus qui nie l'augmentation énorme de la teneur en gaz à effet de serre dans l'atmosphère et notamment du CO2 depuis la révolution industrielle. Après, il y a bien quelques gugusses "climato-sceptiques" qui vont raconter que ces deux points n'ont rien à voir, ou bien qui chicanent (pas forcément à tort) sur des détails par-ci par-là, mais globalement il y a bel et bien un consensus sur la réalité de ce phénomène : brûler des hydrocarbures modifie le climat de façon dangereuse.

Je ne suis pas pessimiste, sinon je ne serai pas communiste, mais j'essaie d'être lucide. Le capitalisme nous entraîne dans le mur, ne serait-ce "que" du point de vue énergétique (et "que" ça c'est déjà beaucoup). Mais croire que la science débarrassée du capitalisme produira des miracles qui vont à l'encontre de ce qu'elle dit aujourd'hui, non ! Ce n'est pas de la magie. La transition énergétique, des ressources rapidement épuisables aux plus pérennes, devra se faire quand même : alors peut-être que dans ce paquet il y aura des choses aujourd'hui hypothétiques ou expérimentales, la fusion nucléaire par exemple. Mais même si la révolution mondiale commence demain à onze heures, il faudra un certain temps avant d'arriver à relever un défi aussi colossal. Alors que la crise énergétique, c'est maintenant, pas dans un avenir indéterminé.

Donc développer des technologies qui permettent d'économiser de l'énergie, ce n'est pas critiquable en soi. Après, ces ampoules là ou d'autres, je ne sais pas !
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Message par quijote » 02 Fév 2012, 20:39

Parmi les scientifiques qui dénoncent l 'affolement concernant le réchauffement climatique,il y a Claude Allègre. je suis persuadé quant à moi que l 'humanité saura faire face, comme elle a su faire face dans le passé : au fond bien des choses ont paru impossibles dans le passé et se sont avérées possibles par la suite et tu reconnais que la transition ( si transition il y a ) sera difficile mais elle est possible , dis-tu . C'est bien mon avis . Nous ne pouvons supputer l 'avenir à moins d'être Nostradamus , ni de quelle manière ça se fera , selon quelle modalité, selon quel rythme . En fait , je crois que cette campagne alarmiste est surtout là pour nous amener à penser qu 'il faudra bien se serrer la ceinture d 'une façon ou de l 'autre ...c 'est du moins mon avis.
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Message par Matrok » 02 Fév 2012, 21:09

(quijote @ jeudi 2 février 2012 à 19:39 a écrit : Parmi les scientifiques qui dénoncent l 'affolement concernant le réchauffement climatique,il y a Claude Allègre. je suis persuadé quant à moi que l 'humanité saura faire face, comme elle a su faire face dans le passé : au fond bien des choses ont paru impossibles dans le passé et se sont avérées possibles par la suite et tu reconnais que la transition ( si transition il y a ) sera difficile mais elle est possible , dis-tu . C'est bien mon avis . Nous ne pouvons supputer l 'avenir à moins d'être Nostradamus , ni de quelle manière ça se fera , selon quelle modalité, selon quel rythme . En fait , je crois que cette campagne alarmiste est surtout là pour nous amener à penser qu 'il faudra bien se serrer la ceinture d 'une façon ou de l 'autre ...c 'est du moins mon avis.
Claude Allègre ou Nostradamus, c'est pas tout à fait le même calibre : dans trois siècles on aura oublié Claude Allègre ! Ce type est un mandarin indétrônable dans sa discipline (la géophysique) et un ex-ministre ami de plein de journalistes, ce qui a permis à son délire de receviur une publicité démesurée.

Ce n'est pas souvent qu'un "scientifique" réussit à recueillir contre ses falsifications, boniments et dénigrements une pétition de 600 de ses collègues... C'est pourtant ce qui lui est arrivé. Le pauvre.

Un conseil de lecture si tu t'es fait avoir par le bouquin "L'imposture climatique" du sieur Allègre : "L'imposteur c'est lui !" de Sylvestre Huet, un journaliste scientifique à Libération qui connait suffisamment bien le sujet.
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Message par quijote » 02 Fév 2012, 22:13

Admettons : Claude Allègre ...je voulais dire qu 'il n' y a pas unanimité .. ceci dit tu ne répond guère à les arguments .. je suis convaincu que l 'homme n'a jusqu'à ce jour exploité qu 'une toute petite partie des ressources naturelles .. d'ailleurs , on parle de remplacer l 'uranium par le thorium , qui serait liquide et ne poserait pas de problèmes de déchets et je suis persuadé qu ' au delà d 'une certaine "vérité "scientifique , on cherche à créer un climat alarmiste , destiné à nous habituer à l 'idée que nous devrons nous restreindre , c'est à dire accepter des privations .
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Message par luc marchauciel » 03 Fév 2012, 09:09

(canardos @ mercredi 1 février 2012 à 15:45 a écrit : à propos d'ampoules qui a vu le documentaire "prêt à jeter l'obsolescence programmé"?

Ce docu montre notamment comment dès les années 1910 si je me souviens bien le cartel Phoenix réunissant les principaux fabricants d'ampoules a passé un accord que ses membres devaient respecter sous peine de lourdes amendes. Cet accord prévoyait que la durée de vie des ampoules à incandescence devait être ramenée de 2500H à 1000H alors que l’évolution des techniques permettait de porter leur durée de vie à 100000H. Ce cartel a toujours existé sous des noms divers et jusqu'à actuellement la durée de vie des ampoules à incandescence reste de l'ordre de 1000h. l'accord aura été respecté jusqu'au bout et au remplacement des ampoules à incandescence par les ampoules basse consommation au détriment des consommateurs qui se sont  fait voler comme au coin d'un bois pendant un siècle.



J'ai pas vu le docu, mais j'ai lu ce papier sur le site des Econoclastes :

http://econoclaste.org.free.fr/dotclear/in...ence-programmee


a écrit :
Le mythe de l'obsolescence programmée
Alexandre Delaigue  mardi 8 mars 2011

Arte a récemment diffusé un documentaire intitulé "prêt à jeter", consacré à l'obsolescence programmée. Le documentaire a apparemment eu un grand succès public, et la critique l'a unanimement recommandé (Telerama-Le Monde-Le Figaro). Vous pouvez visionner le documentaire en vod en suivant ce lien, et pouvez (pour l'instant) le trouver sur youtube.

Comme il m'avait été recommandé par diverses personnes, je l'ai visionné. Ce documentaire est hélas d'une nullité intégrale. Parfois hilarant de bêtise, parfois nauséabond de complotisme, en tout cas, jamais informatif.

"L'obsolescence programmée" est l'idée selon laquelle si les produits que vous achetez se dégradent rapidement (contrairement aux bons vieux produits inusables de nos grands-parents), ce n'est pas un hasard : c'est une machination ourdie par les entreprises industrielles, qui ont trouvé là un moyen de nous obliger à racheter régulièrement leurs produits. C'est une de ces idées qui tient une bonne place dans la conscience populaire, mais qui ne convainc guère les économistes, pour plusieurs raisons.

La première, c'est que l'idée du "c'était mieux avant, tout était solide, maintenant on ne fait plus que des produits de mauvaise qualité qui s'usent vite" est tellement intemporelle qu'on se demande bien quel a été cet âge d'or durant lequel on faisait des produits durables. (à l'époque de ma grand-mère bien entendu : sauf qu'à son époque, elle disait aussi que les produits de sa grand-mère étaient plus solides). Il y a là un biais de perception, le "biais de survie" : vous avez peut-être déjà vu un frigo des années 50 en état de fonctionnement (j'en connais un, pour ma part); vous n'avez certainement jamais vu les dizaines de milliers de frigos des années 50 qui sont tombés en panne et ont terminé à la décharge. Nous avons par ailleurs tendance à idéaliser le passé : je suis par exemple toujours très étonné par les fanatiques qui me racontent, des trémolos dans la voix, à quel point la 2CV Citroen était une voiture "increvable". Dans celle de mes parents, il fallait changer les plaquettes de frein tous les 10 000 km, le pot d'échappement tous les 20 000, et elle était tellement attaquée par la corrosion (au bout de deux ans) que dès qu'il pleuvait, on avait le pantalon inondé par une eau noirâtre et gluante. Je préfère de très loin les voitures actuelles et leurs pannes d'électronique récurrentes.

Mais il n'y a pas que ces biais de survie et d'idéalisation du passé. Si les économistes sont sceptiques vis à vis de l'obsolescence programmée, c'est que cette stratégie apparemment subtile n'a en réalité aucun sens. Prenons un exemple utilisé dans le documentaire, celui des collants féminins qui filent très vite, au point qu'il faut les changer toutes les deux semaines. Si un collant coûte 4€ et dure deux semaines, à l'issue desquelles les clientes en rachètent un, elles montrent à l'entreprise qu'elles sont disposées à dépenser 104€ par an en collants. Or, fabriquer un collant très solide coûte peut-être un peu plus cher à l'entreprise, mais certainement pas autant que de fabriquer 26 collants vendus 104 euros. Elle pourrait donc réaliser un profit largement supérieur, en vendant par exemple un collant garanti un an (avec remplacement gratuit s'il se file entretemps, pour rassurer les clientes) pour une centaine d'euros.

Bien sûr les choses ne sont pas si simples, et en pratique, beaucoup des produits que nous achetons ne sont pas particulièrement durables. Il peut y avoir deux raisons à cela. La première tient aux contraintes de la production. La durabilité est une qualité désirable; mais il y a d'autres, nombreuses qualités désirables, comme un faible coût de production, ou des caractéristiques spécifiques. Pour rester sur l'exemple des collants, on a supposé au dessus que faire un collant de durée de vie d'un an ne coûte pas cher. Ce n'est pas certain : si faire 26 collants durant deux semaines coûte au total moins cher qu'un seul collant durant un an, alors, il est préférable de fabriquer les produits moins durables - et les consommatrices soucieuses de leur pouvoir d'achat pourront préférer ceux-ci. Si pour que les collants soient durables, il faut qu'ils aient l'apparence de bas de contention, je connais beaucoup de femmes qui préféreront d'autres modèles moins solides.

Un fer à vapeur sous pression est moins durable que le vénérable fer en fonte qui ornait la cuisinière de mon arrière-grand mère; faire passer de la vapeur sous pression dans des pièces métalliques provoque une usure bien plus rapide. Il est aussi nettement plus pratique à utiliser. Une poele recouverte de téflon est moins durable qu'une casserole en cuivre massif; elle est aussi moins coûteuse, et bien plus commode. Comme nous sommes des enfants gâtés par la société de consommation, nous voudrions que tout soit à la fois durable, esthétique, pratique, et peu cher. A la fin du 19ième siècle, les marines européennes avaient cherché à produire des bâtiments de guerre à la fois rapides, dotés d'une énorme puissance de feu, et d'un gros blindage. Mais qui dit blindage et armements dit poids élevé, ce qui nuit à la manoeuvrabilité et à la vitesse. Tout problème d'ingéniérie nécessite d'optimiser entre différentes qualités incompatibles. Bien souvent, la réparabilité ou la durabilité passent au second plan, derrière d'autres qualités, comme le prix. Produire en grande série standardisée permet de réduire considérablement les coûts; réparer est un artisanat qui coûte très cher, parce que dans nos pays développés le travail coûte cher.

A côté de produits peu durables, il est également possible de trouver des produits très durables, mais chers. Un costume sur mesure fait chez un tailleur sera plus beau, conçu avec des tissus de bien meilleure qualité que le bas de gamme que vous trouverez dans le premier magasin venu: il sera aussi beaucoup plus cher. Certaines marques ont fait de la durée de vie élevée leur principal argument commercial (briquets Zippo garantis à vie, piles Duracell et leur lapin qui dure longtemps, voitures japonaises ou coréennes garanties 5 ans, chaussures Church qui durent toute une vie...) ce qui montre que faire des produits à longue durée de vie n'est certainement pas rédhibitoire pour les profits, bien au contraire. Simplement, la durée de vie n'est pas l'unique qualité désirable dans un produit.

Et cette optimisation entre des qualités concurrentes rencontre les aspirations, elles-mêmes variées, des consommateurs. Une observation modérée de mes semblables de sexe féminin m'a ainsi permis de constater que nombre d'entre elles changent très régulièrement de tenue vestimentaire, et qu'elles semblent y attacher beaucoup d'importance. Dès lors, il ne me semble pas absurde d'envisager qu'elles préfèrent acheter 26 paires de collants dans l'année - ce qui permet d'en avoir des différentes - plutôt que de porter toujours les mêmes à longueur d'année. Ce sont peut-être des dindes écervelées qui ont le cerveau lavé par la presse féminine et les diktats de la mode; plus probablement, elles font de leur tenue vestimentaire une façon de manifester leur goût et leur charme.

Et c'est la seconde raison qui explique pourquoi les produits ne sont pas toujours très durables; soumis au choix entre des produits durables et des produits rapidement obsolètes, nous avons souvent tendance à préférer les seconds. Nous aimons la variété et la nouveauté. Consommer n'est pas seulement satisfaire un besoin utilitaire; c'est aussi une source de satisfaction, de démonstration de diverses qualités personnelles à notre entourage. On peut qualifier ces sentiments de frivoles, se moquer de ces gens qui vont se ruer sur un Ipad 2 dont ils n'ont rien à faire; mais constater aussi que les sociétés qui ont voulu substituer à ces caractéristiques humaines la stricte austérité (ha, le col Mao pour tout le monde) n'étaient pas particulièrement respectueuses des libertés, ou de la vie humaine. Et noter que jamais personne ne vous a obligé à acheter quoi que ce soit. Il y a évidemment une pression sociale; et parce que le marché ne peut pas toujours satisfaire tout le monde, nous sommes obligés parfois de nous conformer aux modes de consommation de la majorité, à contrecœur.

Comme vous le voyez, il y aurait largement de quoi nourrir un excellent documentaire, instructif, autour de la question de la durée de vie des produits. Hélas, vous ne trouverez strictement rien de tout cela dans le documentaire d'Arte.

Le documentaire commence par un vieux canard qui ressort à intervalles réguliers : les ampoules électriques. Dans les années 20, un cartel entre producteurs d'ampoules aurait cyniquement établi une entente pour réduire la durée de vie des ampoules électriques à 1000 heures de fonctionnement, alors qu'auparavant, il n'était pas rare de fabriquer des ampoules de durée de vie largement supérieure. Un cartel, voilà qui éveille tout de suite l'attention de l'économiste. Comment fonctionnait-il? Comment empêchait-ils ses membres d'adopter un comportement opportuniste (par exemple, en vendant des ampoules de plus longue durée que les autres, ou des ampoules moins chères)? Le documentaire est muet sur cette question. Tout au plus est-il question d'amendes pour les membres fautifs et de "partage de technologies". Et d'interminables minutes sur un bâtiment public au fin fond des USA dans lequel une ampoule brille sans discontinuer depuis un siècle, d'une lueur un peu pâlotte, mais qui fait l'admiration des habitants qui organisent des fêtes anniversaire de l'ampoule (on se distrait comme on peut).

Un commentateur chez Aliocha permet de trouver la clé du mystère. Concevoir une ampoule électrique est un problème d'optimisation entre diverses qualités : la luminosité, la consommation, la durée de vie, la couleur. On pourrait ajouter qu'il y a de nombreux problèmes de standardisation : les culots d'ampoule doivent être identiques pour pouvoir passer d'une marque à l'autre; les couleurs doivent être identiques (un lustre avec des ampoules de luminosité différente est très laid et inconfortable, comme chacun peut le constater depuis que le Grenelle de l'environnement nous impose des ampoules à basse consommation qui n'éclairent pas), etc. Il n'est donc pas absurde que les entreprises du secteur aient coopéré pour établir des normes.

Mais comme on le sait depuis Adam Smith, des gens du même métier se rencontrent rarement sans que cela ne se termine par une conversation sur les moyens d'augmenter les prix; et le cartel en question, en plus d'établir des normes, a aussi réparti les zones géographiques entre producteurs, afin de s'assurer à chacun de confortables rentes de monopoles. Le cartel en question a donc fait l'objet de sanctions des autorités antitrust; on peut noter que si le rapport sanctionne les accords sur les prix, il montre que la durée de vie de 1000 heures est un compromis technique entre diverses qualités, et pas une tentative pour escroquer les consommateurs. Une information que bien entendu, le documentaire n'évoque pas.

Poussant vers les années 30, le documentaire nous fait le portrait d'un américain, Bernard London, présenté comme le "père spirituel" de l'obsolescence programmée, pour avoir écrit un pamphlet en 1932 intitulé "sortir de la crise par l'obsolescence programmée". La lecture de ce document, en fait, n'indique rien sur l'opportunité d'une stratégie des entreprises pour inciter les consommateurs à remplacer leurs produits; la préconisation de l'auteur est celle d'une vaste prime à la casse obligatoire, portant sur tous les produits manufacturés, l'Etat rachetant de façon obligatoire tous les produits à partir d'une certaine durée prévue à l'avance. Une idée économique stupide, mais dans le désarroi provoqué par la déflation et 25% de chômeurs en 1932, celles-ci étaient légion. Alors qu'un quart de la population américaine ne parvenait pas à se nourrir, le gouvernement américain payait les fermiers pour qu'ils abattent leurs troupeaux de vaches, afin de faire remonter le prix du lait. Nous savons aujourd'hui qu'il suffisait de sortir de l'étalon-or et d'appliquer une politique monétaire non-suicidaire pour se sortir de la crise; à l'époque, on ne le savait pas, et on assistait au grand concours des idées farfelues. Nous n'avons pas tellement changé, mais nous avons moins d'excuses.

Surtout, après de longues minutes à interviewer la fille de l'associé du Bernard London en question, le documentaire nous explique que ses brillantes idées n'ont jamais été appliquées, ce qui conduit à se demander pourquoi diable on nous en a parlé. Surtout, pourquoi le documentaire insiste aussi lourdement sur le fait que Bernard London était juif, pour conclure mystérieusement sur "nous ne saurons jamais s'il voulait aider les gens ou simplement faire du profit". C'est vrai, quoi, les juifs, ils ont toujours des arrière-pensées; Et puis, une bonne théorie du complot qui n'a pas son juif de service ne sera jamais totalement satisfaisante. (22ème à la 25ème minute).

Poursuivant dans les années 50, le documentaire nous montre les débuts de la société de consommation, plaçant l'obsolescence programmée au coeur du système. Il montre une école de design dans laquelle on explique aux étudiants que les produits n'ont pas forcément vocation à être durables (ce qui, si vous avez lu ce qui précède, tombe sous le sens : c'est le métier de designer que de concevoir des produits qui optimisent les différentes caractéristiques) pour s'indigner de ce comportement "non éthique". Les designers sont opposés aux ingénieurs, que l'on présente comme scandalisés parce qu'on les obligeait à concevoir des produits moins durables que ce qu'ils auraient pu faire.

Ce passage m'a irrésistiblement rappelé cette phrase de J.M. Folz, ancien PDG de Peugeot, qui a déclaré un jour "qu'il y a trois façons de se ruiner : le jeu, les femmes et les ingénieurs. Les deux premières sont les plus agréables, la troisième est la plus sûre". Il entendait par là que ce que les ingénieurs aiment concevoir n'est pas toujours ce que les clients désirent, et qu'à trop suivre les ingénieurs, on finit par faire des produits hors de prix et qui n'intéressent pas les clients (ayant dirigé Citroen, il savait de quoi il parlait). Etant donnée la mentalité des ingénieurs dans les années 50, il est fort probable qu'ils n'ont pas apprécié de perdre une partie de leur pouvoir dans les grandes entreprises industrielles au profit des services de design et de marketing, et regretté de ne plus pouvoir fabriquer ce qui leur plaisait. Il est certain que tout le monde, consommateurs et entreprises, y a gagné.

C'est vers la 45ème minute que le reportage nous offre son plus beau moment surréaliste. C'est qu'il y avait une alternative à la consommation jetable caractéristique de nos sociétés modernes; elle se trouvait derrière le rideau de fer. Là bas, on trouvait des ingénieurs soucieux de produire de la qualité, des produits éternels. Une entreprise d'électricité est-allemande avait même conçu une ampoule électrique de bien plus longue durée que ce que l'on trouvait à l'Ouest; dans le bloc communiste, on produisait pour durer. J'ai eu du mal à réprimer mon hilarité, me souvenant des multiples blagues de la RDA, dont les habitants ne manquaient pas de moquer la piètre qualité de leur production nationale (vous savez comment doubler la valeur de revente d'une trabant? En faisant le plein). Je me souviens aussi que la meilleure façon de faire pleurer un habitant des pays de l'Est, à l'époque, était de lui faire visiter un supermarché occidental (expérience vécue). Etrangement d'ailleurs, lorsque le rideau de fer est tombé, la première chose que les allemands de l'Est ont faite a été de se ruer sur les biens de consommation fabriqués à l'Ouest; l'horrible société consumériste leur semblait manifestement plus attrayante que leurs propres produits. Quant aux usines Est-Allemandes, elles étaient tellement efficaces qu'elles ont toutes dû fermer. Le documentaire suggère à demi-mot que les industriels de l'Ouest ont voulu se débarrasser de ces compétiteurs redoutables, peu au fait du grand complot pour obliger les consommateurs à acheter sans cesse.

A ce stade, on se demande s'il faut rire ou pleurer face à ce spectacle lamentable. Le reportage se termine sur les problèmes de durée de vie des premiers Ipods, dont la batterie (impossible à changer) avait fâcheusement tendance à tomber en rade au bout de 18 mois de fonctionnement. Là encore, aucune autre explication qu'un sinistre complot pour exploiter le consommateur n'est fournie. Il est fort possible qu'Apple ait négligé la durée de vie au profit du design et de contraintes de fabrication; ils sont coutumiers du fait, mais les acheteurs de produits Apple semblent vouloir obstinément acheter leurs produits hors de prix, mais tellement jolis. Le principal plaignant, après qu'une avocate lui ait fait bénéficier d'un système judiciaire américain toujours prêt à faire payer des indemnités par les grandes entreprises pour tout et n'importe quoi, ne s'est d'ailleurs pas privé de se racheter un Macbook à 2000 dollars par la suite (son cerveau ayant été probablement lavé pour qu'il ne voie pas les ordinateurs portables concurrents, vendus deux fois moins cher et avec des batteries amovibles).

Le fil rouge du reportage se termine - un espagnol ayant essayé, très difficilement, de réparer son imprimante à jet d'encre parce qu'il ne voulait pas en changer, suivant les conseils des vendeurs lui suggérant plutôt d'en acheter une neuve pour une trentaine d'euros. Sa situation est mise en abîme avec celle du Ghana, qui reçoit par containers entiers du matériel informatique jeté dans les pays développés. Le documentaire insiste lourdement sur le parallèle entre ces africains sages qui ne gaspillent pas, par opposition à ces occidentaux gaspilleurs qui mettent leur matériel à la poubelle à la moindre occasion. Là encore, l'explication économique est simple. Comme le montre l'exemple de l'espagnol essayant de réparer son imprimante, réparer certains matériels consomme énormément de temps; au Ghana, récupérer des choses utilisables dans le matériel informatique jeté prend aussi énormément de temps de travail, occupant des familles entières sur des décharges. cela ne représente aucune sagesse africaine particulière; dans nos pays développés, les produits fabriqués en grande série ne coûtent pas cher, parce que nous disposons d'un immense capital productif; par contre, le travail est très cher. La situation est inverse dans les pays en développement. Résultat? Chez nous il est bien moins coûteux de racheter du matériel neuf que de consacrer du temps de travail à le réparer. Au Ghana, le travail est abondant et ne coûte (et ne rapporte) presque rien. Le documentaire se garde bien de demander à ces gens qui passent leurs journées à farfouiller dans des ordures quelle existence ils préféreraient : la réponse n'aurait pas cadré avec le ton général.

A la fin de ce document manipulateur, complotiste, qui n'explique rien, on se demande comment on en arrive à réaliser une chose pareille. L'explication est en filigrane dans le document, qui nous montre avec des trémolos dans la voix off des conférences sur la décroissance, et qui donne la part belle à Serge Latouche, le grand prêtre du mouvement. On comprend alors que nous ne sommes pas face à une entreprise d'information, mais à une entreprise de morale, selon le concept défini par le sociologue Howard Becker. Le but du documentaire n'est pas d'informer, mais de convertir les mécréants. C'est ce qui conduit la réalisatrice à nous vanter les collants indestructibles, sans une seconde confronter son propre comportement de consommatrice à son discours.

Ce qui est plus étonnant, c'est de voir l'unanimité de la critique journalistique et des responsables d'Arte, qui ont gobé sans sourciller et applaudi à un documentaire qui est une énorme faute professionnelle. De journalistes, de documentaristes, on attend qu'ils nous informent de la façon la plus intègre possible. Que l'objectivité absolue soit impossible à atteindre, soit; mais elle est le standard d'éthique professionnelle qui devrait guider ceux qui nous informent. A préférer les entreprises de morale aux entreprises d'information, il est à craindre que la profession journalistique soit en bonne voie d'obsolescence programmée.

luc marchauciel
 
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Inscription : 12 Avr 2008, 18:37

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