LO a-t-elle pris une position sur l'autisme?

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Zelda » 03 Avr 2012, 21:42

Juste pour signaler que le magazine Science et Avenir d'avril comporte un long article sur l'autisme d'Hervé Ratel, article très engagé et très remonté contre les psychanalystes. Les lecteurs réguliers de ce forum ne découvriront rien de neuf, mais reconnaîtront toutes les idées développées ici par Canardos et Luc.
Zelda
 
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Message par luc marchauciel » 04 Avr 2012, 06:19

(Jacquemart @ mardi 3 avril 2012 à 21:39 a écrit : Eh bien, ne réponds pas.
Jacquemart, je voudrais quand même te répondre, juste pour dire qu'il ne faut pas répondre à ceux qui appellent à ne pas répondre.
Ha ha, que vas-tu répondre à ça, hein ? :wacko:
luc marchauciel
 
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Message par Jacquemart » 04 Avr 2012, 06:29

Je cause pas aux scientistes productivistes anti-marxistes.
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Message par Zelda » 04 Avr 2012, 22:51

Il y a un petit encart spécifique.
Bon, je suis bonne pour le retaper ici (mon scanner est en panne).


(Science et avenir d'avril 2012 a écrit :LE PACKING SUR LA TOUCHE
Très violemment critiqué par les parents qui y voient une forme de torture, le packing, cette méthode d'inspiration psychanalytique consistant à envelopper les enfants durant 45 ' dans des linges humides et froids, n'est pratiquement plus utilisée en France. Peut-être plus pour très longtemps.
Dans son dernier rapport, la HAS conclut y être "formellement opposée". Du moins "en dehors de l'étude clinique en cours" lancée par le Pr Pierre Dellon au CHRU de Lille.
Une position mi-chèvre mi-chou qui pourrait se résoudre d'elle-même, l'étude clinique en question n'ayant pas encore démarré, faute de participants. En février 2011, 18 experts internationaux de l'autisme s'étaient prononcés contre le packing qu'ils jugeaient "non éthique".
Zelda
 
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Message par canardos » 05 Avr 2012, 12:57

(Zelda @ mercredi 4 avril 2012 à 23:51 a écrit :


(Science et avenir d'avril 2012 a écrit :LE PACKING SUR LA TOUCHE
Très violemment critiqué par les parents qui y voient une forme de torture, le packing, cette méthode d'inspiration psychanalytique consistant à envelopper les enfants durant 45 ' dans des linges humides et froids, n'est pratiquement plus utilisée en France. Peut-être plus pour très longtemps.
Dans son dernier rapport, la HAS conclut y être "formellement opposée". Du moins "en dehors de l'étude clinique en cours" lancée par le Pr Pierre Dellon au CHRU de Lille.
Une position mi-chèvre mi-chou qui pourrait se résoudre d'elle-même, l'étude clinique en question n'ayant pas encore démarré, faute de participants. En février 2011, 18 experts internationaux de l'autisme s'étaient prononcés contre le packing qu'ils jugeaient "non éthique".

c'est quand même marrant, le collectif des 39 accuse les associations de parents d'enfants autistes qui critiquent le packing de ne pas etre représentatives et insiste sur le fait que de nombreux parents sont derrière le professeur Delion, mais il ne semble pas trouver assez de volontaires pour expérimenter les effets du packing...faut croire que c'est un soutien à distance...
canardos
 
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Message par luc marchauciel » 05 Avr 2012, 21:30

Dans Lutte Ouvrière cette semaine :

a écrit :
La prise en charge de l'autisme : les carences de l'Éducation nationale


Après la « Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme » du 2 avril, force est de constater ce que les familles d'enfants ou d'adultes autistes vivent au quotidien : la prise en charge de ce handicap, qui touche des dizaines de milliers de personnes, est très insuffisante.

Un collectif de parents, Autisme, précisait en 2011 que 30 % des jeunes autistes ont pu trouver une place en institut médico-éducatif ou en hôpital de jour où, selon ces parents, un accompagnement éducatif est rarement proposé. Plus de la moitié de ces jeunes ne serait accueillie nulle part.

Pourtant cette pathologie du système nerveux central, selon des spécialistes, n'empêche pas forcément les apprentissages et beaucoup d'enfants ne souffriraient d'aucun déficit intellectuel. Un pédopsychiatre du CHU de Rennes signalait récemment l'importance de la scolarisation des enfants autistes dans l'établissement de leur quartier, ce que la loi impose, en principe, comme pour tout élève handicapé, depuis 2005. Ayant du mal à fixer son attention, un enfant autiste devait selon lui bénéficier d'un AVS -- un auxiliaire vie scolaire -- dédié, suffisamment formé, prêt à le recentrer sur son travail, adaptant le rythme d'apprentissage jusqu'à ce que le niveau des autres élèves soit atteint voire dépassé.

Mais, en France, seuls 20 % de ces enfants étaient scolarisés en 2011, contre 80 % en Italie. Des établissements privés voient le jour, comme ces deux « Futuroschools » ouvertes à l'initiative d'une association de parents, mais dans l'Éducation nationale la suppression catastrophique de personnel entraîne la disparition de l'enseignement en petits groupes d'élèves et le tarissement de la formation des enseignants. L'accueil des jeunes handicapés, et singulièrement des autistes, est donc freinée.

À quoi bon alors une journée par an, où l'on inonde les monuments du monde de lumière bleue -- symbolique de l'autisme -- si en même temps on diminue les possibilités de la prise en charge scolaire susceptible d'aider les jeunes à s'adapter et à apprendre.

Viviane LAFONT


"cette pathologie du système nerveux central,"..... encore du scientisme biologisant réductionniste insupportable !
luc marchauciel
 
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Message par canardos » 08 Avr 2012, 13:36

Une conférence relative au dépistage de l'autisme chez le tout-petit s'est réunie à Marseille dans les locaux du tout nouvel hôpital psychiatrique dans l'ensemble de l'Hôpital de la Conception au sein de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille. Elle réunissait divers professionnels de l'enfance amenés à recevoir des enfants qu'il s'agisse de consultations de pédiatrie, de pédo-psychiatrie, de psychomotricité ou encore de psychanalyse pour enfants. Marie-Christine Laznik est venue présenter les résultats de sa recherche. Marie-Christine Laznik est docteur en psychologie, psychanalyste, membre de l'Association lacanienne internationale.

volia comment les travaux de Marie-Christine Laznik sont présentés sur le site de l'Association lacanienne internationale.

j'ai mis en gras les passages qui reprennent la théorie de la mere responsable de l'autisme, un peu habillée pour ne pas faire trop culpabilisante, ça la fout mal ces temps ci...

et j'ai rajouté la réponse de Franck Ramus directeur de recherches au CNRS, au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d'Etudes Cognitives, Ecole Normale Supérieure à Paris dont les recherches portent sur l'apprentissage du langage par l'enfant et ses troubles (dyslexie développementale, trouble spécifique du langage, autisme).

a écrit :

Marie-Christine Laznik est docteur en psychologie, psychanalyste, membre de l'Association lacanienne internationale. Elle fait partie du groupe de psychiatres, psychologues et psychanalystes, tous praticiens de l'autisme, qui, en 1998, ont fondé l'Association PREAUT dont les recherches visent à valider des signes très précoces de troubles de la communication pouvant présager un trouble grave du développement de type autistique.

La recherche PREAUT s'adresse aux pédiatres et médecins de la petite enfance qui reçoivent les bébés dès la naissance. Depuis 1999, l'équipe PREAUT a formé environ 600 médecins dans 12 départements de France métropolitaine et d'outre mer à l'identification des signes de risque autistique qui font l'objet de la recherche.

Cette recherche est en grande partie fondée sur un postulat théorique :

Il y aurait, chez le bébé à risque d'évolution autistique, un ratage du troisième temps du circuit pulsionnel, c'est-à-dire une non-apparition de la capacité à initialiser les échanges sur un mode ludique et jubilatoire. La non mise en place de ce troisième temps du circuit pulsionnel oral risquant de ne pas être dépistée par les professionnels qui interviennent en pédiatrie. La possibilité de former les professionnels de la consultation pédiatrique à ce dépistage étant un des points que cette recherche tend à établir.

Comment se manifestent ces trois temps du circuit pulsionnel, éléments théoriques que l'on retrouve dans les travaux de Jacques Lacan relecteur de Sigmund Freud ?

Il y a un premier temps actif : le bébé accroche sa mère, dans une adéquation besoin-satisfaction. Il s'agit d'une dimension orale, incarnée par les moments de satisfaction des besoins, essentiellement l'allaitement, depuis le fouissement à la naissance jusqu'au geste de se laisser donner un biberon par exemple.

Le deuxième temps de la pulsion est auto-érotique. L'enfant ainsi satisfait dans ce qui relève du premier temps, va se prendre comme objet de satisfaction, en jouant avec son propre corps. Il joue avec ses doigts, sa tétine, son pied. Il prend son pied tout seul !

Le troisième temps est celui de la passivation pulsionnelle. Le bébé se fait objet de satisfaction de son être familier. C'est-à-dire, et c'est là que se joue la possibilité d'échange avec l'autre, qu'il se donne la place de l'objet dont l'Autre tirerait sa jouissance pulsionnelle. Comment cela peut-il être observé ? Le bébé lors du change par exemple se met à instaurer un jeu avec la personne qui prend soin de lui : donne ses pieds à boulotter, cherche le regard pour rire. Le bébé, depuis son parc, appelle par la musicalité de son babil, la personne qui le regarde, se montre, rigole, se cache, essaie de susciter surprise et joie chez son interlocuteur. Voilà les éléments que la conférencière a tenté de mettre en exergue, en commentant des films qui montrent plusieurs scènes de bébés qui ne témoignent pas de cette capacité relationnelle relevant du troisième temps du circuit pulsionnel.

Il faut donc, pour que le jeu pulsionnel soit moteur du développement qu'un certain quantum de jouissance y soit présentifié : la jouissance dont il est dit qu'il en faut un tout petit peu pour que le bébé devienne sujet. D'après Lacan, dans le séminaire : l'envers de la psychanalyse, "la mère donne à la jouissance d'oser le manque de la répétition".

Mais la question de la régulation de cette jouissance se pose avec insistance : en effet, la jouissance entre la mère et l'enfant peut aller "de la chatouille jusqu'à la flambée à l'essence". Si la jouissance de la mère était sans limite l'enfant serait dans une voie passive, en position d'objet d'une dévoration orale d'un érotisme brûlant.

Par contre dans la voie réflexive, la voie moyenne de Benveniste, l'enfant n'est pas dans le "se laisser" dévorer mais plutôt dans le "se faire" sucer, "se donner à" sucer.

Dans la jouissance offerte à l'autre, c'est donc la mère qui donne la limite, elle se dégage, comme on le voit au cours de certaines scènes filmées, si l'enfant s'excite trop.

L'enfant, pour devenir l'objet qui fait jouir la mère, se doit d'entrer dans la parade narcissique, qui se substitue alors à la pure jouissance érotique. Dans la limite que la mère lui a donnée, l'enfant a appréhendé la loi du père, qui amène la mère à faire baisser l'excitation érotique. On évite donc la surchauffe, et ce manque guide l'enfant vers une identification phallique. Marie-Christine Laznik insiste sur la différence entre le partage indéfini de la jouissance entre la mère et l'enfant, et ce que sera la place du fantasme et du désir après une opération de perte au moment du sevrage, drame fondateur.

Dans le développement d'un enfant autistique, il arrive que même quand la mère fait la supposition du sujet, le bébé ne se situe pas au lieu où il est mis en position par sa mère.

La mère dit à l'enfant "fait-moi voir", mais il n'y a pas d'appel chez l'enfant à "se faire voir". Il n'y a pas de voie moyenne entre actif et passif, alors que c'est cette forme qui inclut grammaticalement le fait que l'autre soit désirant.

L'enfant semble renoncer à une jouissance qui serait étrangère à la mère, la jouissance narcissique phallique. Il reste prisonnier de la jouissance de l'Autre en position non pas de "se faire" met en position de "se laisser".


Marie-Christine Laznik insiste par ailleurs sur la différence structurale entre le bébé déprimé et le bébé qui va devenir autiste, ce qui n'est pas sans conséquences pour la façon de les aborder dans la thérapeutique.

L'enfant doit pouvoir se souvenir d'avoir été la source d'une jouissance primordiale d'un autre, il doit pouvoir garder comme des traits, notamment du visage et de la voix, traits qui sont les coordonnées du plaisir de l'autre et qui ont à voir avec la lettre de son chiffrage inconscient. Mais il doit aussi passer de la position de "se laisser" manger à celle de la parade, du "se faire" regarder. Ce passage à un narcissisme phallique est un progrès.

Inversement dans les formes d'autisme tardif l'enfant serait dans la parade dès la première année, sans une dimension érotique, sans ce grain de sable qu'est la jouissance érotique dans le circuit des pulsions.

Marie-Christine Laznik insiste également sur la différence d'approche clinique entre le cas d'un enfant déprimé et celui d'un enfant à risque autistique :

Pour elle, la clinique de la dépression du nourrisson est très différente de la clinique de l'autisme. Dans la clinique de la dépression on peut s'adresser au bébé avec un langage adulte, on peut lui réexpliquer son histoire à la manière de Françoise Dolto, on peut dégager la place symbolique qu'il occupe.

Si on fait ça avec un enfant autiste il se ferme encore plus car il est hypersensible et va ressentir les émotions de sa mère notamment.

Pour les bébés à devenir autistique, la question est plus celle de la régulation de la jouissance, que celle de la reconnaissance de la place du sujet. Pour eux la jouissance orale dévorante serait hyper discriminée et entraînerait une fuite. Il s'agirait de dégager la place d'une possible jouissance phallique.

Marie-Christine Laznik, loin de fustiger tel ou tel comportement parental, ou de certifier une étiologie claire, témoigne d'une démarche intéressante en psychanalyse. Appuyant sa recherche sur les films familiaux, elle décortique tout un matériel fourni par les familles : autant d'indices qui lui permettent de voir quand et comment l'enfant a présenté des troubles. Elle collabore ensuite avec des psycholinguistes et utilise finement le matériel vocal et sonore : par le biais des enregistrements de scène, par le biais de l'observation du babil du bébé, et par l'utilisation de sa propre voix comme support de travail avec le bébé. Ce travail sur la voix est extrêmement intéressant, car il part du principe que quelque chose s'est peut-être décroché par la voix, et que quelque chose pourra peut-être se raccrocher par elle. Lorsqu'elle s'adresse à l'enfant, avec une prosodie très marquée, Marie-Christine Laznik a le sentiment de faire de la réanimation psychique Il faut que l'enfant soit pour elle une source de jouissance orale, elle doit réaliser que la girafe que porte l'enfant est en chocolat. Lorsque l'enfant est intéressé, elle doit faire basculer petit à petit l'échange vers la mère ; il faut lui permettre de dire que le bébé la fait jouir oralement. Cela revient à inoculer de la pulsion orale.

En se positionnant dans la surprise et la joie du mamanais, la thérapeute occupe la place de la tierce personne. Elle joue de ce que Trevarthen appelle la musicalité communicative : les premiers signifiants se dégagent au niveau de l'énonciation, et non pas au niveau des énoncés. Il s'agit d'une narrativité mère bébé, la mère lance la conversation mais le bébé y contribue.

Il s'agit du développement de la pulsion invoquante. La voix humaine est d'abord perçue plutôt à droite du cerveau puis l'activation va basculer à gauche. Le mamanais attire le regard de l'enfant et sa participation par de l'émotion.

Marie-Christine Laznik soutient que le sillon temporal supérieur ne marche pas après l'échec de cette prise dans le mamanais.

Que ce ne serait pas le cas au début, que ce ne serait pas un déficit cognitif. Elle va même jusqu'à dire que la non utilisation de la fonction aboutit à un déficit de fonctionnement dans les aires dédiées à cette fonction.

Elle insiste sur l'hyper perception, sur une sensibilité extrêmement mal placée notamment vis-à-vis du visage.

Sur le plan thérapeutique, l'intérêt de la démarche de Marie-Christine Laznik est de permettre un dépistage extrêmement rapide de la situation de risque, mais aussi d'intervenir rapidement. Son travail consiste à instaurer un transfert triangulé traditionnel en psychanalyse de l'enfant (analyste-parent-enfant) qui a pour originalité de mettre en oeuvre une interaction claire entre l'analyste et le bébé. L'analyste développe une discussion tonale avec le bébé, se situant dans une tessiture aigue. Ce parlé, intitulé le "mamanais" a pour intérêt de susciter l'accroche avec le bébé. Elle fait ainsi le pari d'une possibilité de travail efficace avec le bébé, dans une période de plasticité épigénétique. On peut voir ici les éléments d'une collaboration possible avec les disciplines neurologiques.



la réponse de Franck Ramus:

a écrit :

vendredi 6 avril 2012
Le troisième temps du circuit pulsionnel
Certains commentaires à la suite de mon entretien sur le Cercle Psy ont attiré mon attention sur une hypothèse intéressante: celle selon laquelle le bébé à risque d'évolution autistique souffre d'un "ratage du troisième temps du circuit pulsionnel". Cette hypothèse émane de Marie-Christine Laznik et est décrite notamment dans l'article suivant.

Pour le non-initié que je suis, la notion de "ratage du troisième temps du circuit pulsionnel" peut paraître nébuleuse au premier abord. Heureusement, les auteurs traduisent immédiatement: "c'est-à-dire une non-apparition de la capacité à initialiser les échanges sur un mode ludique et jubilatoire." On commence à mieux voir ce dont il s'agit. De fait la suite de l'article décrit de manière assez claire les comportements du bébé en question: "Le bébé [normal] lors du change par exemple se met à instaurer un jeu avec la personne qui prend soin de lui : donne ses pieds à boulotter, cherche le regard pour rire. Le bébé, depuis son parc, appelle par la musicalité de son babil, la personne qui le regarde, se montre, rigole, se cache, essaie de susciter surprise et joie chez son interlocuteur. Voilà les éléments que la conférencière a tenté de mettre en exergue, en commentant des films qui montrent plusieurs scènes de bébés qui ne témoignent pas de cette capacité relationnelle."

Autrement dit, ce qu'avance Marie-Christine Laznik, c'est qu'alors que les bébés humains ont normalement une tendance spontanée à essayer de communiquer et à rechercher l'interaction avec leurs congénères, c'est peut-être moins le cas des bébés qui vont devenir autiste. Sans préjuger des données de Mme Laznik (que je n'ai pas regardées en détail mais qui sont basées sur des analyses rétrospectives de vidéos familiales), on peut dire que cette hypothèse est parfaitement plausible, et elle est d'ailleurs compatible avec les résultats d'études expérimentales longitudinales, dans lesquelles on étudie des enfants depuis la naissance, on effectue toute une série de tests cognitifs au cours des premières années de vie, et on peut ainsi analyser les précurseurs du diagnostic d'autisme (pour ceux qui le deviennent). Donc jusque là, rien à dire, Mme Laznik est à la pointe de la recherche.

Là où nous divergeons, c'est sur l'interprétation théorique qui est plaquée sur ces observations. L'interprétation directe, simple, compatible avec toutes les données connues sur l'autisme, serait simplement de dire que chez le bébé à risque autistique, les capacités de cognition sociale (reconnaissance des visages et de la voix, perception du langage, motivation pour les stimulations et les interactions sociales) sont déficitaires ou déviantes. C'est en fait à peine une théorie, juste une reformulation cognitive des observations comportementales. Quel est l'intérêt additionnel d'invoquer un "ratage du troisième temps du circuit pulsionnel"? Et en premier lieu, quelle est la validité scientifique (le pouvoir explicatif de données empiriques) de cette théorie des trois temps du circuit pulsionnel? Qu'est-ce que cela apporte à l'explication de l'autisme de plaquer sur des observations finalement très simples (un bébé qui ne cherche pas à communiquer et à interagir) des interprétations aussi alambiquées que celles-là? Si on s'autorise de telles interprétations, pourquoi ne pas en proposer de plus extravagantes encore? Pourquoi ne pas émettre plutôt l'hypothèse que ces bébés ne cherchent pas à communiquer parce que leur âme est la réincarnation de personnes qui ont pâti d'être trop bavardes dans une vie antérieure? Et surtout, par quels critères pourrait-on départager toutes ces interprétations? Comment les prouver, comment les réfuter?

Bref, on est dans une situation typique où le principe de parcimonie doit s'appliquer. Toute situation, toute observation, peut faire l'objet d'une infinité d'interprétations. Parmi celles-ci, il faut choisir la plus simple qui parvienne à expliquer l'ensemble des données, la plus parcimonieuse, celle qui fait appel au moins de concepts indépendants de l'observation (qui demanderaient eux-mêmes à être justifiés). L'hypothèse du ratage du troisième temps du circuit pulsionnel illustre donc l'un des grands problèmes de la psychanalyse, sa tendance à plaquer sur des situations ou des observations banales tout un appareillage théorique complexe qui n'est pas nécessaire à expliquer ces observations, et que rien ne justifie par ailleurs (autre que la vénération des textes des maîtres Freud et Lacan).

Je conclurai par cette réflexion des auteurs qui me fait frémir: "La non mise en place de ce troisième temps du circuit pulsionnel oral risquant de ne pas être dépistée par les professionnels qui interviennent en pédiatrie. La possibilité de former les professionnels de la consultation pédiatrique à ce dépistage étant un des points que cette recherche tend à établir." Et pour faire quoi après? Pour mettre les parents en analyse?

Attirer l'attention des pédiatres sur les bébés qui ne cherchent pas à communiquer et à interagir, oui! Et on peut leur donner un certain nombre d'éléments et d'outils pour faire cela de manière fiable. Mais abstenons-nous de les embrigader dans des conceptions théoriques fumeuses qui ne sont nullement nécessaires à cet exercice.

canardos
 
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Message par com_71 » 08 Avr 2012, 13:54

(canardos @ dimanche 8 avril 2012 à 14:36 a écrit : j'ai rajouté la réponse de Franck Ramus directeur de recherches au CNRS, au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, Département d'Etudes Cognitives, Ecole Normale Supérieure à Paris.

Réponse trouvée également sur le site de l'Association lacanienne internationale ?
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par canardos » 08 Avr 2012, 13:55

Sur le site du Cercle Psy j'ai trouvé un entretien très intéressant avec Franck Ramus. Cela répond assez bien à l'article cité par Abou évoquant notamment l'épigénétique pour mettre en cause le rôle de la mère maltraitante dans l'autisme.

a écrit :

Franck Ramus : Pourquoi l’hypothèse neurodéveloppementale s’impose pour l’autisme

Propos recueillis par Jean-François Marmion
Article publié le 04/04/2012

Comment expliquer l’autisme ? L’hypothèse la plus crédible aux yeux de la communauté scientifique internationale pointe diverses anomalies dans la structure et le fonctionnement du cerveau des personnes autistes. Mais de nombreuses zones d’ombre persistent. Explications de Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS, au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l’Ecole Normale Supérieure, qui réagit par ailleurs à la polémique sur la prise en charge psychanalytique de l’autisme.

Que sait-on aujourd’hui de la structure et du fonctionnement du cerveau des personnes autistes ?

Des observations ont été faites à plusieurs niveaux de description. Le résultat le plus connu porte sur la croissance du cerveau : à la naissance, il est plutôt un peu plus petit que la moyenne, mais sa croissance est anormalement rapide. Vers deux ans, il est devenu plus gros que la moyenne. On ne connaît pas les mécanismes sous-jacents. Il y a plusieurs hypothèses : augmentation anormale du nombre de synapses ou de dendrites, défaut de l’élagage des synapses… Il est très difficile de les tester. Indépendamment du volume, on a repéré des propriétés microscopiques. Les études de dissection, basées sur des dons de cerveaux, montrent un cortège d’anomalies de différents ordres affectant de multiples régions, le cervelet notamment. Mais les cerveaux disséqués ainsi sont peu nombreux, les données sont donc limitées. Ce qui plus abordable, quoique avec une résolution bien moindre, c’est l’imagerie cérébrale, à la fois anatomique et fonctionnelle. Elle montre que selon les régions il y a plus ou moins de matière grise que chez les personnes témoins, et que la connectivité, via la matière blanche, est atypique. On observe aussi une sous-activation de certaines régions impliquées dans la perception, en particulier celle des stimuli sociaux comme les visages ou les voix, ou encore dans la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité d’attribuer des états mentaux à autrui. L’organisation du cortex cérébral est différente. Mais attention : tout ce qu’on observe à l’IRM, en particulier les activations fonctionnelles, montre que les cerveaux des personnes autistes fonctionnent différemment, mais cela n’établit jamais la cause. C’est pour cette raison que les données de croissance cérébrale précoce et de dissection ont un poids très important quand on parle de causalité : les phénomènes observés au microscope peuvent être parfois précisément datés dans les étapes précoces du développement cérébral, quelquefois même in utero. Sur la base de ces données, on peut se permettre d’affirmer qu’effectivement une déviation extrêmement précoce du développement cérébral exclut d’autres hypothèses, alors que celles obtenues à l’IRM n’excluent aucune cause.

Peut-on savoir si ces dysfonctionnements surviennent dès la grossesse ?

Ca dépend. Les perturbations de la migration neuronale, par exemple, se déroulent chez l’humain entre 12 et 24 semaines de gestation uniquement. D’autres malformations peuvent être plus ou moins bien datées, quelquefois avant la naissance, quelquefois après. La trajectoire de croissance du cerveau des enfants autistes n’est pas établie de façon extrêmement précise, mais semble dévier dès la naissance, autant qu’on puisse en juger. Mais tout cela est hétérogène entre les personnes autistes : les observations varient avec chaque cerveau.

Il n’y a pas de signe prédictif biologique indiquant qu’un enfant va développer l’autisme ?

Non, absolument pas. Si on arrivait à mesurer toutes les propriétés pertinentes du cerveau après la naissance d’un enfant, on pourrait, à la limite, calculer une probabilité que cet enfant devienne autiste. Mais la précision du calcul serait à l'heure actuelle trop faible pour avoir de l’intérêt.

Parlons des causes possibles. Les malformations cérébrales observables dès la grossesse sont-elles d’origine génétique ?

Il y a plusieurs manières d’aborder la question. Les études de jumeaux suggèrent une part très prépondérante de facteurs génétiques, ce qui n’exclut pas pour autant des causes environnementales. Il est effectivement prouvé que certains facteurs environnementaux augmentent la susceptibilité à l’autisme, par exemple l’exposition prénatale à des toxiques comme la thalidomide ou l’acide valproïque, ou à des infections virales comme la rubéole ou le mégalocytovirus. La souffrance à la naissance, avec un manque d’oxygène dans certaines parties du cerveau, le poids de naissance, sont aussi des facteurs qui ont au moins une influence modérée sur la probabilité de devenir autiste. Ils accroissent les problèmes du développement du cerveau de manière générale, et en particulier la susceptibilité à l’autisme. Mais les déclenchent-ils, c’est très difficile à dire. On n’est jamais capable de le dire, pour un individu précis. Ce qu’on peut faire de mieux, c’est d’effectuer des statistiques sur des groupes.

On ne peut pas espérer trouver aujourd’hui « le » gène de l’autisme. Celui-ci impliquerait plutôt une constellation de gènes très variés ?

C’est vrai dans toute la génétique psychiatrique, qui de manière générale ne répond pas à la logique de la génétique mendélienne, mais plutôt à celle des maladies génétiques complexes (telles que le diabète, l'hypertension artérielle…). Une multitude de gènes influencent la susceptibilité à chacun des troubles. Et ce qu’on trouve varie d’un patient à l’autre. Il y a d’ailleurs plusieurs types de mécanismes génétiques, d'une part les effets cumulés d’une combinaison de nombreux gènes présents dans une version défavorable (que l’on appelle les allèles de susceptibilité), d'autre part, plus rarement, des mutations délétères de certains gènes qui ont alors un impact plus important sur la synthèse ou la fonction des protéines. Une seule mutation sur le mauvais gène peut entraîner une série de troubles. Mais une mutation peut se trouver sur un gène chez un patient, sur un autre gène chez un autre. Même si elle est dans le même gène, ce n’est pas exactement le même endroit de la séquence qui a été muté d’un patient à l’autre. C’est aussi ce qui rend les recherches très difficiles. En quelque sorte, on en arrive à ce que les généticiens appellent des mutations privées : chaque patient a sa propre mutation. Malgré tout, des analyses de grandes populations permettent de remarquer que ce sont souvent les mêmes gènes qui reviennent, et convergent vers certaines fonctions physiologiques. Thomas Bourgeron, de l’Institut Pasteur, a par exemple trouvé des mutations dans la neuroligine 3 et la neuroligine 4, ce qui a été répliqué dans d’autres études : ces protéines sont impliquées dans l’adhésion synaptique entre les neurones pré et post-synaptiques, et la formation même des synapses au cours du développement. Plusieurs altérations de gènes liés aux neuroligines ont également été identifiées par des équipes indépendantes. Tout cela converge vers des mécanismes moléculaires très voisins, qui font que les synapses se forment d'une manière anormale, ce qui a certainement quelque chose à voir avec la croissance anormale du cerveau.

Mais si cette hypothèse génétique n’exclut pas l’influence de facteurs environnementaux, exclut-elle l’hypothèse psychanalytique ?

Il est difficile de savoir ce qu’est l’hypothèse psychanalytique, puisque l’hypothèse standard portait sur le rôle de la mère, mais que maintenant tous les psychanalystes disent qu’ils n’y croient plus. On ne sait plus trop à quoi ils croient, c'est d'ailleurs l'objet de la série de questions que j'ai posées à la CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes avec Autisme ). Dans les cas où une étiologie claire est identifiée, la mère n'y est évidemment pour rien, ni quoi que ce soit dans l'environnement familial. Néanmoins les psychanalystes semblent entretenir l'idée que le mécanisme causatif pourrait être une combinaison d'une vulnérabilité génétique et d'une mauvaise attitude de la mère en réponse au comportement anormal de son bébé. Dans ce cas, on peut tester l’hypothèse : nous disposons de données épidémiologiques sur les enfants autistes, les caractéristiques des pères, des mères, leurs attitudes, leurs maladies, etc. A-t-on observé des tendances statistiques confirmant que les mères avec telle attitude ont plus de risques d’avoir des enfants autistes ? Les mères dépressives pendant la grossesse ou après la naissance courent-elles aussi ce risque ? Aucune donnée publiée ne permet de l'affirmer. Les hypothèses psychanalytiques traditionnelles ont donc été testées, et rien n’est venu les confirmer. Un facteur comme la dépression peut bien avoir une influence sur le développement de l’enfant, et peut constituer un facteur de risque pour d’autres troubles du développement comme les troubles émotionnels, du comportement, de l’attention, etc. Mais jusqu'à preuve du contraire, pas pour l’autisme.

A défaut d’influer sur le génome lui-même, l’attitude de la mère peut-elle influer sur l’expression de certains gènes ?

On suppose que c’est effectivement le mécanisme principal de l’effet de la dépression maternelle sur certains troubles du développement, soit in utero avec des hormones sécrétées par la mère qui vont influencer la physiologie du nourrisson via l’expression de certains gènes dans ses neurones, soit d’une façon plus sociale et comportementale qui va être internalisée par l’enfant. C’est bien identifié chez la souris, et on a toutes raisons de penser que ça doit aussi exister chez l’humain. On a donc des données compatibles avec l’hypothèse de l’influence maternelle sur certains troubles du développement… mais pas sur l’autisme !

Mais les psychanalystes pourraient vous rétorquer que puisqu’on n’a pas trouvé « le » gène de l’autisme ni « la » cause de ce trouble, l’hypothèse neurodéveloppementale n’est pas absolument prouvée.

Il y a quand même beaucoup de données convergentes, qui ont un poids énorme à des niveaux différents de description : celui du génome, des cellules, du cerveau… Evidemment, le scénario est très incomplet. Mais en face, qu’est-ce qu’on a comme éléments en faveur de l’influence de la mère ? Zéro. Absolument zéro. Pas une seule étude à l’appui. Quand il s’agit de se prononcer pour l’hypothèse la plus probable, il n’y a donc pas un seul instant d’hésitation.

Que vous inspire la polémique récurrente sur la prise en charge psychanalytique de l’autisme ? A-t-on franchi un cap avec la polémique liée au Mur et le rapport de la Haute Autorité de Santé prenant des distances relatives avec la psychanalyse ?

Oui, on est certainement à un tournant, surtout dans les médias. Ils étaient jusqu’à présent extrêmement frileux dans leurs critiques de la psychanalyse, aussi bien lors du rapport sur les psychothérapies de 2004 que lors du Livre noir de la psychanalyse en 2005. A chaque fois, beaucoup étouffaient l’affaire, même s’il se trouvait quelques journalistes courageux comme Laurent Joffrin dans le Nouvel Observateur. Avec Le Mur et le procès intenté à Sophie Robert, on a l’impression que les médias ont levé le couvercle et commencé à fournir un traitement un peu plus équilibré du débat (peut-être parce que cet évènement touche à la liberté d'expression chère aux journalistes). En parallèle, les associations de parents d’enfants autistes ont fait preuve d'une détermination sans faille depuis de nombreuses années. C’est elles qui ont agi sur les pouvoirs publics pour provoquer les plans autisme successifs, et qui ont saisi la HAS. Via la problématique de l’autisme, toutes les données défavorables à la psychanalyse sont mises sur le tapis. On est au point de basculement où tout le monde semble prendre conscience qu’il faut rénover la psychologie et la psychiatrie, et passer dans l’ère de la médecine basée sur les preuves.

Le rapport de la HAS reconnaît une meilleure efficacité des prises en charge comportementales, mais ne condamne pas explicitement la psychanalyse.

On sait que chaque mot a été négocié. Ca peut sembler un point sémantique très important, mais en réalité peu importe que le rapport évoque la psychanalyse comme « non consensuelle » au lieu de « non consensuelle ou non recommandée ». La question cruciale est de savoir ce qui va se passer sur le terrain, où les soignants pourraient se permettre d’ignorer totalement les recommandations de la HAS (voir d'ailleurs l'appel à la désobéissance du collectif des 39). L’Etat doit se donner les moyens de les faire appliquer, assurer une remise à jour de la formation de tous les professionnels, prendre l’initiative d’évaluer les pratiques. C’est autre chose que de faire la revue de la littérature scientifique. La limite du travail de la HAS est celle-ci : comment condamner une pratique pour laquelle on n’a pas de données ? Le plus grand reproche qu’on peut faire à la psychanalyse, c’est de ne jamais avoir fait de la recherche, ne jamais avoir ne serait-ce qu’adhéré à la démarche scientifique. La plupart des psychanalystes n’ont produit aucune donnée permettant d’évaluer leur travail. Ils rejettent même l’idée d’évaluation. Quand on veut comparer l’efficacité des méthodes, il n’y a donc rien à comparer. Les psychanalystes peuvent toujours dire que les méthodes d’évaluation ne sont pas adaptées à ce qu’ils font, mais qui peut être dupe ?…

Faudrait-il aller jusqu’à l’interdiction de la psychanalyse pour la prise en charge de l’autisme, comme le préconise le député Daniel Fasquelle ?

Non. Je lui ai d’ailleurs adressé une lettre que je reproduis sur mon blog : l’intention est peut-être bonne, mais la méthode n’est pas du tout adaptée. Ce n’est pas au parlement de dire quels sont les bons traitements pour l’autisme, pas plus que ce n’est à lui de dire ce qu’est l’Histoire avec des lois mémorielles. Faire voter les députés là-dessus serait complètement absurde. En revanche, il est parfaitement du ressort de l’Etat de se soucier que les citoyens aient accès à des traitements médicaux et des thérapies validés scientifiquement. La bonne démarche serait de créer une agence nationale d’évaluation des psychothérapies pour vérifier que les pratiques des professionnels de santé sont conformes aux données scientifiques. Autrement dit, les députés n’ont pas à se prononcer directement sur telle ou telle thérapie, mais doivent mettre en place des structures missionnées pour cela.

Puisqu’il a déjà fallu des années pour obtenir une loi définissant le seul titre de psychothérapeute, on peut penser que ce projet serait difficilement réalisable…

S’il a fallu six ans pour que paraisse le décret d’application de l’amendement Accoyer, c’est notamment à cause du lobbying effréné des psychanalystes. Je pense que ça fait partie des choses qui sont en train de basculer. Leur influence à la fois médiatique et politique s’effrite. On ne peut pas imaginer qu’ils vont encore très longtemps pouvoir s’opposer à l’évaluation et à la nécessité de se baser sur des données scientifiques. Comment peut-on encore défendre une position pareille ? C’est assez incroyable. Il faut vraiment que les politiques n’aient aucune culture scientifique pour accepter ce genre de chose, alors même qu’ils ont des exigences très différentes dans tout le reste de la médecine : il ne serait pas question d’une telle démarche pour le cancer ou Alzheimer.

Avec la Fédération Française des Dys, vous avez publié une tribune expliquant que l’autisme n’est pas le seul trouble concerné par l’influence de la psychanalyse. Espérez-vous que les associations représentant différents patients prennent le relai, et que la bataille de l’autisme ne soit qu’un prologue à un mouvement plus vaste contre la psychanalyse ?

Tout à fait. En tout cas, contre la psychanalyse là où sa présence est illégitime. Ce qui fait déjà pas mal d’endroits… Un psychiatre d’adultes, par exemple, va vous dire que beaucoup trop de patients avec TOC sont encore pris en charge par des psychanalystes qui n’ont rien compris à leurs troubles, qui ne les traitent pas, et leur font perdre beaucoup de temps (alors même que la HAS a publié des recommandations et des arbres décisionnels très clairs sur la prise en charge des TOC). Même si c’est aujourd’hui relativement bien fléché, il fut une époque où les psychanalystes s’avisaient de prendre en charge des patients schizophrènes... Le rapport Inserm de 2004 indiquait que la psychanalyse n’avait une certaine efficacité que pour certains troubles de la personnalité. On ne va jamais éradiquer la psychanalyse, ce ne serait un objectif ni réaliste ni forcément souhaitable. Mais ce qui est crucial, c’est que les gens avec de véritables maladies, pour lesquels d'autres thérapies sont efficaces, même si aucune n’est la panacée, aient accès à des soins validés. Pour eux, être prisonnier des psychanalystes sur le divan pendant des années ne mène à rien. Mais si d'autres personnes, sans être vraiment malades, ont du vague à l’âme et éprouvent le besoin de parler à quelqu'un, libre à elles de choisir un psychanalyste pour cela. En somme, les psychanalystes doivent clarifier leurs prétentions et agir en conséquence : soit ils revendiquent le fait de soigner des personnes avec de véritables troubles mentaux ou psychiques, auquel cas leurs thérapies doivent être évaluées et validées scientifiquement ou disparaître ; soit, abandonnant toute prétention à soigner des maladies, ils se replient sur les adultes en bonne santé qui veulent parler, auquel cas ils doivent le dire très clairement aux patients et à leurs familles. L'ambiguïté sur ce sujet n'est pas acceptable.

Avec son approche dimensionnelle, le DSM 5 devrait bouleverser la définition même de l’autisme en considérant ses différentes formes possibles comme un continuum. Qu’en pensez-vous ?

Toutes les définitions des classifications internationales sont appelées à évoluer avec nos connaissances. Ce qui fait leur valeur, c’est justement qu’elles ne sont pas figées au fil de notre compréhension des mécanismes pathologiques. On s’aperçoit que certains cas sont fondamentalement différents alors qu’on les confondait, on met à jour des points communs insoupçonnés entre des pathologies… Évidemment, chaque fois qu’on rediscute des définitions, on voit qu’elles sont imparfaites, qu’elles ont des limites, mais on opère une concertation très large, on consulte toutes les données scientifiques disponibles, et on a toutes les raisons de penser que ce qui sera produit dans la nouvelle version sera plus compatible avec les connaissances. L'approche dimensionnelle résulte clairement de la prise en compte de toutes les recherches effectuées depuis le DSM IV. Je n'ai pas pour autant l'impression que cela change radicalement les critères diagnostiques de l'autisme.

Vous êtes l’un des fondateurs du Kollectif du 7 janvier. En quoi consiste-t-il ?

A l’origine, il réunissait les auteurs d’un Science et pseudo-sciences sur la psychanalyse, qui ont ensuite soutenu Sophie Robert. Il s’est élargi à des chercheurs, des représentants d’associations de familles, des professionnels de santé… Leur point commun est de vouloir une psychologie et une psychiatrie fondées sur les preuves. Et de faire connaître leur position, de manière très large. Les psychanalystes monopolisent tellement le débat médiatique, dans la presse mais aussi avec des communiqués réguliers comme ceux du Collectif des 39 ou du Syndicat des psychiatres français, que les citoyens peuvent avoir l’impression qu’il n’y a que ce point de vue, et que tous les psychiatres défendent la psychanalyse. Alors que c’est totalement faux : la proportion des psychanalystes est décroissante, simplement les non psychanalystes peinent à s’exprimer publiquement parce qu’ils sont très soumis au bon vouloir des psychanalystes pour leur promotion et leur recrutement. Il y a une espèce de terrorisme des psychanalystes qui fait que les autres ont peur de parler ouvertement.

Vous récoltez d’ailleurs des témoignages de ces non psychanalystes qui ont peur de s’exprimer. Que vous racontent-ils ?

Des jeunes internes en psychiatrie sont menacés qu’on ne valide pas leur stage, parce qu’ils s’avisent d’évaluer leurs patients pour savoir comment les prendre en charge, comme si c’était criminel. Selon leur chef de service, ils sont soumis à diverses pressions dans leur pratique. Pour trouver un clinicat, c’est la même chose : il faut être bien avec un chef de service qui va bien vouloir les accueillir, donc il ne faut pas être détecté comme une brebis galeuse qui va faire du grabuge. Les postes, ensuite, sont attribués par des comités d’experts où les psychanalystes sont encore dominants. Les non psychanalystes n’ont jamais totalement les mains liées, mais ont à cœur de ne jamais se griller auprès de leurs pairs. Du coup, prendre position publiquement contre la psychanalyse est impensable pour 99 % des psychiatres. Ceux qui pratiquent des bilans dans des centres de ressource autisme voient des enfants se présenter après des années d’errance diagnostique dans un institut médico-éducatif ou un centre d’action médico-sociale précoce, où les psychiatres n’ont jamais offert de diagnostic, ou en ont donné un inapproprié. De nouveaux psychiatres corrigent donc le mauvais diagnostic, réorientent les prises en charge, font des recommandations, mais ils sont obligés de conserver des relations relativement bonnes avec leurs confrères de toutes obédiences, de manière à assurer un lien entre les différents lieux de prise en charge et faire passer des messages vers les équipes thérapeutiques. Il leur faut donc éviter de se fâcher avec leurs collègues, pour préserver des solutions d’accueil pour les enfants. Il est temps qu’ils parlent, même anonymement. Des témoignages commencent d’ailleurs à être rassemblés sur le site d'Autiste en France.

canardos
 
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