Des clients fortunés pour les liquidités
Une société paysagiste, WES, a permis de dégager environ 1 million d'euros.
Par Fabrice TASSEL
jeudi 10 juin 2004
L'argent ayant servi à arroser les fonctionnaires provient d'un étonnant montage. En 1993, Bernard Wagner, patron d'Even, est à la recherche de sommes en liquide qui garantissent la discrétion. Il rencontre Patrice Lemens. Ce dernier gère Week-End Services (WES), une société spécialisée dans l'aménagement de jardins, surtout dans des propriétés du Lubéron, de la Normandie et de la région parisienne. Elle compte des clients très fortunés : le couple Lévy-Lang (ex-président de Paribas), le prince de Hanovre, la famille Owen-Jones (L'Oréal), la famille Guerrand-Hermès, François Pinault, Christian Tourres (un ex-dirigeant d'Adidas), Alain Wertheimer (Chanel), le producteur Gérard Louvin...
Comme Lemens l'a expliqué à la juge : «Les clients proposaient de régler en espèces. Cela leur permettait de négocier le prix et d'éluder la TVA.» Sur certains marchés, cette possibilité pouvait être intéressante, comme chez les Wertheimer, qui ont payé 2 millions de francs à WES, ou dans le cas de Tourres, dont le chantier s'est élevé à 18 millions de francs. Les enquêteurs ont eu du mal à obtenir les noms de cette clientèle. En garde à vue, un ex-dirigeant de WES, Henri Mestrallet, refuse d'abord de dire qui sont ses clients, «parce que ce sont des gens qui risquent d'avoir des ennuis». Un policier insiste : «Qu'avez-vous à craindre si ces fonds ont une origine honnête ?» Le paysagiste répond : «Parce que je me doute qu'il peut y avoir un problème sur l'origine de ces fonds, d'un point de vue fiscal.» Les enquêteurs ont finalement déniché le nom des clients en saisissant la comptabilité de la société. Lemens a ensuite détaillé le système : «WES recevait de nombreux paiements en espèces dont elle était embarrassée. Il fallait bien les recycler. J'ai fait la connaissance de Bernard Wagner, qui savait que j'avais des espèces. Il savait que je faisais dans le particulier. WES avait la réputation d'avoir une clientèle prestigieuse et fortunée.» Concrètement, les dirigeants de WES donnaient par exemple 100 000 francs en espèces à Wagner, qui remboursait par un chèque tiré des comptes d'Even augmenté de 30 % pour remercier du service rendu et justifié par une fausse facture. Depuis 1993, environ 1 million d'euros ont été dégagés par ce circuit et ont servi à s'attribuer les faveurs de fonctionnaires.