qui pourrait m'expliquer l'origine du drapeau rouge?
:ptit-bob:
a écrit :
Non, le drapeau rouge n'est pas un signe de ralliement immémorial pour les déshérités, les miséreux, les gagne-petits, les révoltés. Son histoire est toute récente, même : il s'est imposé comme double symbole des révoltés et de l'internationalisme en moins d'un siècle.
Le drapeau rouge a flotté pour la première fois au sommet d'un beffroi en 1652 et 1653, à Bordeaux. · l'époque, le royaume de France est en pleine fronde : d'un côté, la fronde bourgeoise arbore la couleur blanche ; de l'autre, les nobles en révolte contre Mazarin ont un étendard isabelle. · Bordeaux, naît, en même temps, une fronde populaire, très limitée dans le temps, mais qui réussit à prendre le pouvoir. Ce mouvement, " l'ormée ", a adopté la couleur bleue. Mais leur drapeau est rouge. Pourquoi ? On n'en sait rien.
Le symbole se perd ensuite jusqu'à la Révolution française. Il ne renaît d'ailleurs pas sous la forme d'un cri de révolte, mais comme instrument de la loi martiale, le 21 octobre 1789 : dans le cas où " la tranquillité publique serait en péril ", la force militaire impose une sorte de couvre-feu, " en exposant à la principale fenêtre de la maison de ville et dans toutes les rues un drapeau rouge ". Le drapeau rouge est donc alors un symbole d'oppression. Et les premiers rebelles à s'en servir, dans cette période troublée, le brandiront en dérision contre la classe dirigeante. Ainsi, en 1792, un quidam accrocha à la charrette qui amenait Bailly, le maire de Paris, à la guillotine, un bout de chiffon rouge : un an auparavant, au nom de la loi martiale, Bailly avait fait tirer sur les Parisiens au Champ-de-Mars, qui ne lui avaient pas pardonné. On atteste aussi de sa présence, lors d'une émeute de subsistances, à Chaumont, le 8 novembre 1791. En 1792, le journal " la mère Duchesne ", à Paris, incite à retourner " le petit torchon rouge contre ceux qui l'emploient ". Et puis, avec la fin de la Révolution et de l'Empire, le drapeau rouge est relégué au rayon des souvenirs. Pour une raison simple : Restauration oblige, c'est-à-dire reprise du pouvoir par un roi, Louis XVIII, le drapeau tricolore est jeté aux orties, foulé aux pieds : il redevient pour la Nation LE symbole à défendre.
Il faut attendre les obsèques du général Lamarque, le 5 juin 1832, pour que le drapeau rouge réapparaisse, spontanément, à différents coins de la capitale. Le symbole fait peur : le pouvoir et le Parlement assimilent les porteurs de drapeaux rouges à la Terreur de 1793. N'empêche : dans tous les coins de la capitale, il refleurit, de ci, delà, à côté du drapeau tricolore. · la gare d'Austerlitz, où est rendu un hommage à Lamarque, un cavalier surgi de nulle part brandit un drapeau rouge, sur lequel est écrit : " La liberté ou la mort. " Il est applaudi par les uns, hué par les autres. Lors des insurrections parisiennes des 5 et 6 juin 1832, on le trouve aussi au sommet de plusieurs barricades (voir Victor Hugo dans " les Misérables "). · ce moment, le drapeau rouge continue de côtoyer le drapeau tricolore. Il prend encore de l'essor en 1848, en réaction à la politique de la deuxième République. Comme l'écrit alors Blanqui : " Le gouvernement a démoralisé le pays. Il s'est emparé de tous les symboles de la foi populaire : drapeau tricolore, mots si puissants de liberté, de patriotisme, de volonté nationale, il a tout pris, tout perverti, tout transformé en instrument de trahison et de mensonge. " Parallèlement, en 1848, le drapeau rouge prend un essor international : Bakounine le voit à Bruxelles, des Polonais se rassemblent dessous, il est chanté en Hongrie par le poète romantique Petöfi...
La vraie carrière du drapeau rouge commence réellement sous la Commune de Paris, en 1871. Il est alors l'emblème des insurgés, sans nul doute possible. Il devient aussi, après coup, l'emblème des martyres massacrés par Versailles, bien au-delà de nos frontières. Il devient le drapeau à abattre, pendant plus d'un siècle. Dévoyé en partie par l'URSS, il poursuit quand même son chemin. Brandissez un drapeau rouge : vous verrez, il n'y a pas " gourance "...
Caroline Constant
Note : le livre de référence sur la question reste Histoire du drapeau rouge, par Maurice Dommanget, Editions librairie de l'Etoile, 1967. Disponible dans toutes les bonnes bibliothèques.
(Screw @ vendredi 31 janvier 2003 à 21:01 a écrit :a écrit :
Non, le drapeau rouge n'est pas un signe de ralliement immémorial pour les déshérités, les miséreux, les gagne-petits, les révoltés. Son histoire est toute récente, même : il s'est imposé comme double symbole des révoltés et de l'internationalisme en moins d'un siècle.
Le drapeau rouge a flotté pour la première fois au sommet d'un beffroi en 1652 et 1653, à Bordeaux. · l'époque, le royaume de France est en pleine fronde : d'un côté, la fronde bourgeoise arbore la couleur blanche ; de l'autre, les nobles en révolte contre Mazarin ont un étendard isabelle. · Bordeaux, naît, en même temps, une fronde populaire, très limitée dans le temps, mais qui réussit à prendre le pouvoir. Ce mouvement, " l'ormée ", a adopté la couleur bleue. Mais leur drapeau est rouge. Pourquoi ? On n'en sait rien.
Le symbole se perd ensuite jusqu'à la Révolution française. Il ne renaît d'ailleurs pas sous la forme d'un cri de révolte, mais comme instrument de la loi martiale, le 21 octobre 1789 : dans le cas où " la tranquillité publique serait en péril ", la force militaire impose une sorte de couvre-feu, " en exposant à la principale fenêtre de la maison de ville et dans toutes les rues un drapeau rouge ". Le drapeau rouge est donc alors un symbole d'oppression. Et les premiers rebelles à s'en servir, dans cette période troublée, le brandiront en dérision contre la classe dirigeante. Ainsi, en 1792, un quidam accrocha à la charrette qui amenait Bailly, le maire de Paris, à la guillotine, un bout de chiffon rouge : un an auparavant, au nom de la loi martiale, Bailly avait fait tirer sur les Parisiens au Champ-de-Mars, qui ne lui avaient pas pardonné. On atteste aussi de sa présence, lors d'une émeute de subsistances, à Chaumont, le 8 novembre 1791. En 1792, le journal " la mère Duchesne ", à Paris, incite à retourner " le petit torchon rouge contre ceux qui l'emploient ". Et puis, avec la fin de la Révolution et de l'Empire, le drapeau rouge est relégué au rayon des souvenirs. Pour une raison simple : Restauration oblige, c'est-à-dire reprise du pouvoir par un roi, Louis XVIII, le drapeau tricolore est jeté aux orties, foulé aux pieds : il redevient pour la Nation LE symbole à défendre.
Il faut attendre les obsèques du général Lamarque, le 5 juin 1832, pour que le drapeau rouge réapparaisse, spontanément, à différents coins de la capitale. Le symbole fait peur : le pouvoir et le Parlement assimilent les porteurs de drapeaux rouges à la Terreur de 1793. N'empêche : dans tous les coins de la capitale, il refleurit, de ci, delà, à côté du drapeau tricolore. · la gare d'Austerlitz, où est rendu un hommage à Lamarque, un cavalier surgi de nulle part brandit un drapeau rouge, sur lequel est écrit : " La liberté ou la mort. " Il est applaudi par les uns, hué par les autres. Lors des insurrections parisiennes des 5 et 6 juin 1832, on le trouve aussi au sommet de plusieurs barricades (voir Victor Hugo dans " les Misérables "). · ce moment, le drapeau rouge continue de côtoyer le drapeau tricolore. Il prend encore de l'essor en 1848, en réaction à la politique de la deuxième République. Comme l'écrit alors Blanqui : " Le gouvernement a démoralisé le pays. Il s'est emparé de tous les symboles de la foi populaire : drapeau tricolore, mots si puissants de liberté, de patriotisme, de volonté nationale, il a tout pris, tout perverti, tout transformé en instrument de trahison et de mensonge. " Parallèlement, en 1848, le drapeau rouge prend un essor international : Bakounine le voit à Bruxelles, des Polonais se rassemblent dessous, il est chanté en Hongrie par le poète romantique Petöfi...
La vraie carrière du drapeau rouge commence réellement sous la Commune de Paris, en 1871. Il est alors l'emblème des insurgés, sans nul doute possible. Il devient aussi, après coup, l'emblème des martyres massacrés par Versailles, bien au-delà de nos frontières. Il devient le drapeau à abattre, pendant plus d'un siècle. Dévoyé en partie par l'URSS, il poursuit quand même son chemin. Brandissez un drapeau rouge : vous verrez, il n'y a pas " gourance "...
Caroline Constant
Note : le livre de référence sur la question reste Histoire du drapeau rouge, par Maurice Dommanget, Editions librairie de l'Etoile, 1967. Disponible dans toutes les bonnes bibliothèques.
L'Humanité 28/04/2001.
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