Henri Krasucki

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Louis » 07 Fév 2003, 22:08

Une direction stalinienne, un soutien sans faille à l'URSS et au PCF... Les années Krasucki marquent le déclin de la CGT.

La mort d'Henri Krasucki est venue rappeler son itinéraire emblématique. Emigré juif polonais, il s'est engagé très jeune dans la Résistance. Il a connu l'horreur de la déportation à Auschwitz puis à Buchenwald. Dans le Paris de l'après-guerre, il est devenu militant syndical à la CGT et politique au PCF. Rapidement, il est l'un des principaux dirigeants parisiens, puis national, de la CGT. Son histoire est marquée par un engagement sans faille contre l'impérialisme.
Mais Henri Krasucki était aussi stalinien. Il fut d'une fidélité absolue au "camp socialiste". A Berlin, en 1953, la CGT soutien le déploiement des chars soviétiques contre la grève et les manifestations des ouvriers du bâtiments. La Vie ouvrière (l'organe de la CGT) écrit que les ouvriers crient "vive Hitler". En 1956, à Budapest, les chars soviétiques écrasent une révolution antibureaucratique en marche. La CGT refuse de condamner. Elle connaît sa première grave crise liée à la situation en Europe centrale. En Mai 68, Krasucki prépare les négociations de Grenelle qui permettront à la CGT de mettre fin à la grève générale.
En 1980, lorsque Krasucki devient le principal dirigeant de la CGT (1), il organise une contre-réforme en son sein. Au cours de ses quelques douze ans de "règne", la Confédération n'a cessé de s'enfoncer dans une crise historique, perdant, au moins, la moitié de ses adhérents. En 1978-1979, sous l'impulsion de Georges Séguy, la CGT avait, en effet, connu une petite ouverture marquée par une moins grande restriction de la démocratie interne, par la recherche plus fréquente de l'unité d'action et par une certaine indépendance par rapport au PCF, en particulier sur la situation des pays socialistes. A partir des années 1980, ce cours est abandonné. La CGT se ferme et devient plus sectaire. En même temps, en 1981, la gauche arrive au pouvoir. Le PCF, pour la première fois depuis 1947, entre au gouvernement. Krasucki va gérer cette période à la tête de la CGT.

Les années 1980

Fin décembre 1979, l'Armée rouge, "répondant" à la demande du gouvernement de Kaboul, occupe l'Afghanistan pour mater la rébellion qui menace le pouvoir pro-Moscou en place. En janvier 1980, le bureau confédéral de la CGT refuse d'approuver l'URSS. Crise. Krasucki est à la manoeuvre pour inverser cette position. Une délégation est immédiatement envoyée à Kaboul (dirigée par le Jean-Claude Laroze, supposé être membre du PS) pour assurer qu'il ne s'y passe rien et que la population est en phase avec l'action des troupes soviétiques.
En 1981, alors que la droite est au pouvoir depuis 23 ans sans interruption, la CGT se lance dans une grande campagne de division, intervenant de la manière la plus politicienne dans la campagne électorale. Elle appelle, dans les faits, les syndiqués à voter pour le candidat communiste (Marchais). Elle mène, à l'instar du PCF, une campagne pour empêcher l'élection de Mitterrand. Ce cours provoque une très forte opposition interne qui prend notamment la forme de l'"Appel de Marseille". Ce texte refuse de laisser la droite au pouvoir tout en appelant les salariés à se battre pour leurs revendications comme unique moyen d'imposer "le changement".
Le 13 décembre 1981, le général Jaruzelski décrète l'état de siège en Pologne. Il interdit le syndicat Solidarnosc. L'armée rafle des milliers de syndicalistes et les place en "camps d'internement". Un syndicat de dix millions de membres est mis hors la loi. La CGT, sous l'impulsion de H. Krasucki, refuse de condamner cela pour ne pas mettre "d'huile sur le feu".
Un immense trouble assaille la CGT. Neuf membres de la commission exécutive confédérale, six fédérations, sept unions locales, 50 syndicats, des centaines de sections syndicales et des milliers de syndiqués rejettent la position confédérale. Mais l'appareil réagit avec une brutalité extrême et tente d'écraser toute opposition. Les opposants se battent pour "défendre l'honneur de la CGT". Ils créent une Coordination CGT pour Solidar-nosc. Ils participent aux manifestations de rue aux côtés des autres syndicats. Ils organisent un meeting CGT à la Bourse du travail de Paris pour soutenir Solidarnosc, en présence de Zbigniew Kowalewski, représentant du comité de Solidarnosc de Lodz. Au congrès confédéral qui suivra, en juin 1982, la position de la direction, dans la plus pure tradition stalinienne, est approuvée par 97,34 % des mandats.
A partir de juin 1982, le gouvernement de gauche développe une politique de "rigueur". Pierre Maurois, Premier ministre, se déplace devant le congrès de la CGT. Il y annonce le changement de la politique gouvernementale : les salaires et les prix sont bloqués. En réponse, le slogan central de la CGT s'adresse aux salariés : "Tout dépend de vous." La CGT refuse de contrer réellement cette nouvelle politique du gouvernement de gauche auquel participent quatre ministres communistes. Au même moment, la politique confédérale devient, pour des années, hostile à la simple recherche de l'unité. La CGT s'enfonce dans une politique de plus en plus sectaire. Et son efficacité revendicative faiblit dans la même proportion. Au fil des années, les bastions ouvriers seront détruits sans que la CGT ne soit capable de s'y opposer.
En 1988, lors de l'élection présidentielle, allant au bout de sa logique sectaire, la CGT appelle explicitement à voter pour le candidat communiste Lajoinie, qui obtiendra le score flatteur de 6,8 % des suffrages.

Un cours contre l'histoire

Krasucki a imposé à la CGT une politique à contre-courant de l'histoire, qui a eu des conséquences catastrophiques. La nécessité d'unifier tous les salariés, sans a priori, autour de leurs revendications croissait. Mais la CGT s'est lancée dans une guerre incompréhensible contre tous les autres syndicats (y compris SUD-PTT et SUD-Santé, nouvellement créés). Le socialisme bureaucratique courrait à la faillite. Mais la CGT s'est identifiée au stalinisme brejnevien. Le désir d'indépendance syndicale face aux partis politiques devenait de plus en plus puissant. Mais la CGT s'est alignée plus fortement encore (si tant est que ce fut possible) sur le PCF. Enfin, alors que le PCF connaissait un déclin historique, Krasucki a organisé un verrouillage de tous les postes de responsabilités profitant aux seuls fidèles de l'appareil, au mépris des intérêts historiques de la CGT.
En 1978, la CGT se donnait pour objectif trois millions d'adhérents. Elle en comptait moins d'un million en 1992, lorsque Krasucki a passé la main à Viannet. Triste bilan. Il faudra des années, voire des dizaines d'années, pour surmonter tout le tort que sa direction stalinienne a fait à la CGT.
Indiscutablement, Henri Krasucki était une personnalité estimable. Mais, son bilan politique à la tête de la CGT, en raison d'un stalinisme attardé, fut accablant.

Xavier Rousselin.

1. Bien qu'officiellement il n'ait été élu secrétaire général qu'en juin 1982.

Rouge 2003 06/02/2003
Louis
 
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Message par Screw » 07 Fév 2003, 23:04

C'est toute la perversité du stalinisme d'avoir transformé des militants ouvriers sincères, très courageux, en des bureaucrates froids et "inhumains" prêts à tout pour le "parti" et la "cause".
En tant que juif d'origine polonaise que pouvait-il bien penser de l'antisémitisme en Pologne "populaire"?
Screw
 
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