Quand libé cite Trotsky contre Besancenot

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Screw » 20 Fév 2003, 16:13

(Sandy Varlin @ jeudi 20 février 2003 à 15:37 a écrit :burnier ? je croyais que c'était un ancien de la Cause Du Peuple ayant ensuite paricipé au journal "Actuel" puis Libération ? je confonds ? mais j'ai pas envie de relire "génération" pour chercher !

C'est ça, ancien rédacteur en chef d'Actuel, sartrien reconverti dans le libéralisme.
Screw
 
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Message par iajoulik » 20 Fév 2003, 18:12

Quelques éléments de réponse...

Mais d'abord, table rase de toute mauvaise polémique : l'article de Libé est débile, j'y reviens plus loin, mais ce n'est pas la peine d'en rajouter - il ne dit pas que le pacte germano-soviétique date d'août 1940, il prétend faire référence aux écrits de Trotsky juste avant son assassinat, lesquels concernent la guerre qui a déjà débuté en Europe, dans une situation politique marquée à la fois par le pacte germano-soviétique en 1939 et la débâcle des armées françaises début 1940.

Retour au fond du problème, c'est-à-dire à la politique militaire révolutionnaire de Trotsky, qui est souvent d'autant moins discutée qu'elle a été plus déformée (et ce dès le lendemain de la guerre) par d'anciens trotskystes ayant rompu avec les positions internationalistes pour rallier, dans le cas de la France, celles de la "Résistance" - c'est-à-dire peu ou prou celles de l'unité avec des secteurs de la bourgeoisie et de l'Etat bourgeois en vue d'une victoire militaire des impérialismes "alliés" sur les impérialismes allemand et japonais... la perspective fondamentale de la révolution et de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile étant tout simplement abandonnée ou oubliée !

Pour Trotsky, en juin-août 1940, les Etats-Unis ne pourront pas rester longtemps à l'écart de la guerre qui a débuté sur le continent européen ; il y va de leur position en tant que puissance impérialiste. A ses yeux, les seules questions qui divisent encore les dirigeants politiques de la bourgeoisie américaine sont : 1) quand entrer en guerre ? 2) contre qui entrer en guerre en premier - contre l'Allemagne ou contre le Japon ?

Dans ces conditions, Trotsky demande au SWP de mener une propagande systématique sur la question de la guerre, en particulier contre le pacifisme propagé par les milieux socialistes, syndicalistes et même ex-trotskystes américains, car le pacifisme voué à l'échec dans une perspective de guerre inévitable ne peut que désarmer les travailleurs en les laissant sans perspective politique le jour où les USA entreront en guerre (en pratique d'ailleurs, comme le montrait déjà l'exemple de la première guerre mondiale en Europe, bien des pacifistes d'avant-guerre deviennent, une fois la guerre venue, des soutiens particulièrement chauvins de leurs Etats bourgeois respectifs). Pour Trotsky, seul le renversement de la bourgeoisie par une révolution victorieuse pouvait et peut encore éviter une guerre mondiale - hypothèse qu'il n'écarte jamais, mais qu'à partir du printemps 1940 il considère lucidement comme peu probable. En l'absence d'une improbable révolution victorieuse à très court terme aux USA, la politique révolutionnaire doit alors consister à expliquer le caractère impérialiste de la guerre dans les deux camps et à préparer la perspective de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, c'est-à-dire à la perspective de mettre fin à la guerre par la révolution sociale.

Dans les conditions d'alors aux Etats-Unis, cela impose de se démarquer très nettement des "isolationnistes", dont Trotsky explique clairement qu'ils ne s'opposent conjoncturellement à l'entrée en guerre des USA contre l'Allemagne nazie que dans la mesure où ils représentent les intérêts d'une fraction de la bourgeoisie américaine plus intéressée par un conflit d'abord avec le Japon - autrement dit "l'isolationnisme" ne représente qu'une option conjoncturelle pour la bourgeoisie américaine qui ne peut ni ne veut éviter la guerre !

C'est dans ce contexte que se situe la discussion - à laquelle le journaliste de Libé ne comprend rien (mais, à sa décharge, il n'est pas le seul !) - sur une possible entrée en guerre "aux côtés de l'Angleterre capitaliste" : ce n'est pas ni souhait, ni un mot d'ordre de Trotsky (comme cela a souvent été dit ou écrit) ; c'est simplement une réponse polémique à un argument précis des "isolationnistes" qui expliquaient qu'ils étaient prêts à défendre la démocratie européenne contre Hitler par tous les moyens exceptée la guerre... ce à quoi Trotsky répliquait que s'il fallait défendre la démocratie contre Hitler et que si la guerre était le seul moyen d'arrêter Hitler, alors le refus de la guerre n'avait aucun sens et que les prétendus défenseurs de la démocratie devaient être en faveur d'une entrée en guerre aux côtés de l'Angleterre (Trotsky ne cite pas la France puisqu'à cette date elle est déjà militairement vaincue !). Cet aspect de la polémique sert seulement pour Trotsky à démasquer les intérêts de classe réels qui se cachent derrière la propagande "isolationniste" aux USA.

* quelques références importantes :
Manifeste d'Alarme - Trotsky - 23 mai 1940
L'avenir des armées de Hitler - Trotsky - printemps 1940
Discussion avec les visiteurs américains du S.W.P. - 12 juin 1940
Notre cap ne change pas - Trotsky - 30 juin 1940

... voir aussi d'autres textes plus tardifs (août 1940) dans le volume 24 des Oeuvres de Trotsky - ils devraient être disponibles sous peu sur marxists.org.


* sur une façon parmi d'autres de déformer la politique militaire révolutionnaire, on peut réécouter quelques interventions (celle de Laurent Schwartz en particulier, qui reprend ce qu'il écrivait dans ses mémoires) dans la série d'émissions diffusée l'été dernier sur France-Culture ("Fragments d'un discours révolutionnaire...")


* Quant à la "fameuse phrase" de Barta dont parle Jean-Claude, je suppose qu'il s'agit de "l'arbre prolétarien rejetait en fin de compte la greffe révolutionnaire" - dans sa "Mise au point" de 1972 !
Cela mériterait sans doute une discussion à part, car les perspectives révolutionnaires à la veille des années 50 (ou, selon Barta, l'épuisement de ces perspectives...) n'ont pas, à mon avis, grand-chose à voir avec la discussion de 1940... ou avec celle de 1937 citée par Fred (dans laquelle Trotsky formule une hypothèse historique abstraite dans une polémique contre les théories Capitalistes d'Etat et/ou Collectivistes bureaucratiques).
iajoulik
 
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Message par stef » 20 Fév 2003, 19:07

Barta :
a écrit :Bien sûr l'insuffisance des individus n'empêche pas une organisation de se développer et d'accomplir son rôle historique si ses efforts trouvent auprès de ceux à qui elle s'adresse une réponse favorable. De nouveaux militants remplacent ceux qui sont dépassés par les événements. Mais à aucun moment de notre action les travailleurs n'ont montré qu'ils avaient la moindre volonté de jouer le rôle historique que nous attendions d'eux. Le contraste était complet entre l'audience considérable que rencontraient nos mots d'ordre quand il s'agissait de salaires et de revendications et l'indifférence, sinon l'hostilité, quand il s'agissait de notre politique antiraciste, anticolonialiste, internationaliste. Voilà la raison essentielle pour laquelle nos forces, de la grève à la disparition de l'organisation, ne se sont ni augmentées ni renouvelées : l'arbre prolétarien rejetait en fin de compte la greffe révolutionnaire. Ce qui, à terme, était une condamnation, nonobstant l'attitude de tel ou tel militant.


C'est ce qu'on appelle la prose d'un petit-bourgeois associal et vautré dans une méthode idéologique. Sans la moindre provocation, c'est ainsi qu'on caractérise une telle prose.
stef
 
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Message par iajoulik » 20 Fév 2003, 19:10

... tu t'égares,Stef ! - mais il faudrait un autre fil !
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Message par iajoulik » 21 Fév 2003, 17:43

(Jean-Claude @ vendredi 21 février 2003 à 01:30 a écrit :
Mais alors quelle était sa position [de Trotsky] ? Transformer la guerre en révolution?
Juste ça?


...que veux-tu dire par "juste ça" ? Dans la mesure où aucune révolution victorieuse - malgré des situations relativement favorables depuis Octobre - n'avait réussi à empêcher les bourgeoisies européennes de déclencher une seconde guerre impérialiste qui n'allait pas tarder à devenir mondiale, la perspective fondamentale était pour Trotsky que l'évolution rapide des situations politiques nationales, du fait de la guerre - avec tous les problèmes intérieurs qu'elle pose, économiques, sociaux, militaires, politiques, etc - mettrait au moins quelque part à l'ordre du jour la question de la révolution. C'est d'ailleurs ce "juste ça" - la transformation de la guerre mondiale en guerre civile et en révolution sociale - qui avait déjà été la perspective politique des bolcheviks durant la première guerre mondiale. Il ne s'agit pas là d'une formule magique qui répond à toutes les questions tactiques et pratiques (dont Trotsky discute aussi longuement à l'occasion - voir les discussions avec le SWP) ; mais c'est incontestablement une orientation stratégique qui s'opposait radicalement à tous ceux - et ils étaient nombreux - qui, la guerre ayant débuté en Europe, étaient prêts à abandonner la lutte de classe et l'internationalisme pour rallier en pratique l'un des camps militaires contre l'autre (parfois sous les apparences d'un discours pseudo-marxiste ou pseudo-révolutionnaire).

* j'en profite pour rajouter les liens vers les textes de Trotsky de juillet-août 1940, mentionnés dans ma précédente réponse (merci à marxists.org :smile: ) :
[Service militaire] - 9 juillet 1940
Réponses à des questions concernant les États‑Unis - 7 août 1940
Combattre le pacifisme - 13 août 1940
La politique anti‑pacifiste du S.W.P. - 17 août 1940


Pour mémoire, une partie des anciens dirigeants de la tendance trotskiste du PSOP (Jean Rous en particulier) avaient, après la "débâcle" française de 1940, cherché à regrouper divers militants au sein d'une organisation, le Mouvement National Révolutionaire, et d'un journal La Révolution Française, visant à s'adresser aux "bourgeois pensant français" ! Barta expliquera plus tard que, de retour à Paris fin 1940, c'est en rencontrant par hasard Jean Rous dans la rue qu'il prendra connaissance des dérives nationalistes de ses anciens camarades trotskistes du POI puis du PSOP... et qu'il décidera d'y répondre en rédigeant sa brochure de novembre 1940 La lutte contre la seconde guerre impérialiste mondiale (disponible en réédition par LO - sur le MNR, voir les mémoires de Maurice Jacquier et celles de Fred Zeller).
Accessoirement, c'est, expliquera-t-il aussi, en réaction à l'ambiance d'unité nationale qui règne partout (surtout depuis le retournement ultra-nationaliste du PC consécutif à l'entrée en guerre de l'Allemagne contre l'URSS en juin 1941) que Barta décide d'intituler La Lutte de Classes l'organe qu'il lance en octobre 1942.


Sur les positions ultérieures de Barta : il est incontestable qu'il se plaçait dans la perspective tracée par Trotsky quant à l'issue révolutionnaire de la seconde guerre mondiale - tous ses écrits durant la guerre et dans l'immédiat après-guerre en témoignent. Mais le problème auquel Barta et l'Union Communiste - comme tous les courants trotskistes, d'ailleurs - ont été confrontés dans les années qui ont suivi la fin de la guerre est que cette perspective ne s'est nulle part réalisée ! - j'insiste sur les années qui ont suivi la fin de la guerre car cela change tout : les problèmes posés par la situation politique et sociale plusieurs années après la guerre n'étaient plus les mêmes que ceux que posait à la domination impérialiste la façon de finir la guerre !
Comme tu le dis d'ailleurs :
(Jean-Claude @ vendredi 21 février 2003 à 01:25 a écrit :
en 1950 nous sommes dans ce qui pourrait s'appeler la fin de l'après guerre. C'est à dire que la redistribution des cartes est faite, et ceci pour un bon moment (pour 30 ans environ).

... c'est justement ce qui change tout par rapport à la perspective qui était celle de Trotsky et de Barta : la "paix" impérialiste a été rétablie dans toute l'Europe - dans l'est grâce à l'occupation soviétique - sans irruption révolutionnaire !

Reste à savoir si ce nouveau retard de la révolution européenne tranchait ou non la question de l'épuisement des perspectives de la révolution prolétarienne... C'est - au moins pour toute une période - ce que finira par conclure Barta dès le milieu des années 50 - il le reprendra dans sa "Mise au point" de 1972, en précisant que la politique antiraciste, anticoloniale, internationaliste ne rencontrait alors que l'indifférence, voire l'hostilité, des ouvriers ! Autrement dit - même s'il n'y a, à ma connaissance, rien de très explicite sur le sujet - Barta n'a pas semblé penser qu'il pouvait exister un moyen pratique (non pas en théorie, mais dans l'intervention militante) de faire le lien entre le développement du "soulèvement des peuples coloniaux contre l'impérialisme" et les perspectives de la révolution prolétarienne - du moins après la fin de la guerre de Corée dont le début, en conjonction avec la révolution coloniale, lui avait paru ouvrir,au contraire, des "perspectives révolutionnaires [...] incommensurables" (voir sa "Lettre aux anciens de l'UC" de décembre 1950) en posant, de façon immédiate comme une question de vie ou de mort (selon ses propres termes), l'alternative d'une avancée vers la révolution ou d'un recul vers le fascisme et la troisième guerre mondiale !
Ces analyses et les conséquences qu'il en a tirées appartiennent à Barta...
L'histoire est certes passée à côté des voies qu'il entrevoyait ; fallait-il alors conclure à l'épuisement des perspectives révolutionnaires? Je ne le pense pas... et c'est parce des générations de militants plus jeunes que Barta ne l'ont pas pensé qu'a pu se construire une organisation comme VO, puis LO.
... Est-ce à tort ou à raison ? L'avenir n'est pas écrit ; l'histoire jugera ! :smile:
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