LE MONDE | 31.03.03 | 12h40 • MIS A JOUR LE 31.03.03 | 15h07
Au moment où la concertation engagée par le gouvernement sur les retraites entre dans sa dernière ligne droite, la centrale de Bernard Thibault va montrer jusqu'où elle est prête à aller dans sa démarche réformiste. Lors du congrès que la CGT vient de tenir à Montpellier, M. Thibault avait eu recours à une métaphore sportive.
Son ambition était de "sortir les bons ballons de la mêlée, ceux que la CGT devra jouer". Décidé à rompre avec "le mythe de l'avant-garde éclairée", le secrétaire général de la CGT enjoignait à son syndicat d'"aller à l'essai" pour ensuite "le transformer pour gagner".
Le premier essai a été marqué sur la démocratisation des débats. La CGT a rompu avec le culte de l'unanimité, les congrès verrouillés jusque dans l'expression des délégués. Pendant cinq jours, elle a fait, non sans mal, l'apprentissage de la contradiction. Cette libération de la parole a été brouillonne et le débat a paru parfois confus. M. Thibault en a fait les frais avec le report de la réforme des cotisations qui constitue pour lui un revers. Mais la CGT a innové.
Le deuxième essai a porté sur la réaffirmation de la volonté d'indépendance de la CGT vis-à-vis des partis politiques et d'abord du PCF. Sous le regard bienveillant de son prédécesseur, Louis Viannet, qui a amorcé cette transformation, M. Thibault a martelé son refus de "toute attitude de soutien ou de co-élaboration d'un projet politique quel qu'il soit". A Montpellier, cette révolution, déjà inscrite à travers plusieurs actes, a été confirmée, et la présence de Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, est passée presque inaperçue.
Un troisième essai a été marqué sur l'Europe. La répétition des critiques sur l'appartenance de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES) ne l'a pas empêchée de confirmer son ancrage européen. Et c'est un des siens, Joël Decaillon, qui devrait rejoindre la direction de la CES.
C'est sur les revendications de la CGT que les ballons n'ont pas tous été mis derrière la ligne. Ainsi sur les retraites M. Thibault a donné le sentiment d'avoir dégagé en touche. Avant la journée d'action du 3 avril, la CGT a réaffirmé sa priorité pour "le droit effectif à la retraite à 60 ans". Elle a résisté à la pression du secteur public, toujours majoritaire au congrès, sur l'abrogation des décrets Balladur de 1993. "Le seul retour de tous les salariés à 37,5 années de cotisation ne peut suffire à garantir ce droit à la retraite à 60 ans", proclame-t-elle. Mais c'est une clarification en demi-teinte. Et M. Thibault risque d'être prisonnier, dans les négociations, de ceux que son entourage appelle "les fétichistes des 37,5 annuités".
Plus globalement, M. Thibault, qui apparaît comme le Monsieur Jourdain du réformisme syndical, le mettant en pratique sans le reconnaître, devra encore convaincre que c'est toute la CGT qui s'engage dans cette démarche alliant propositions et contestation, mobilisation et négociation. Il lui faudra transformer encore plusieurs essais pour que toute la CGT se retrouve sur ce qu'il appelle "le bon chemin".