CITATION
Hôpital de Dijon : les effets de la canicule
En Bourgogne, la mortalité des personnes âgées consécutive à ces grosses chaleurs a été, d’après un des médecins responsables de
gérontologie, multipliée par seize - 513 décès ont été enregistrés du 1er au 13 août dans les principaux hôpitaux de la région, dont 162 en
Côte-d’Or.À ce bilan, il faudra ajouter les décès à domicile et dans les maisons de retraite.
En fait, le personnel des Urgences de l’hôpital de Dijon ainsi que celui du centre gérontologique de Champmaillot ont connu une véritable
catastrophe, un «état de guerre» comme certains l’ont qualifié.
Aux Urgences, avant même les grandes chaleurs, une situation tendue
Depuis fin mai, les Urgences de Dijon connaissent une situation déjà tendue. D’une part, l’ouverture de la SAUV (Salle des Urgences Vitales),
nouvelle salle de «déchocage» où les interventions sont lourdes et nécessitent beaucoup de personnel, a été faite sans augmentation de
personnel. D’autre part, quelques mois auparavant, le nouveau sas d’entrée, le «hangar» comme dit le personnel, a été ouvert. Ce sas, éloigné
des boxes d’examen, oblige le personnel à courir entre ce sas et les salles. Déjà, le week-end des 17 et 18 mai, il y a eu une situation alarmante.
Le personnel s’est révolté, avertissant la direction que, si on le contraignait à travailler dans ces conditions, il ne pouvait plus assurer la
sécurité. Le lendemain, la direction a reconnu qu’il manquait 2,5 postes d’aides-soignantes et que l’organisation du service était à revoir. Mais
comme à son habitude, l’administration a déshabillé Pierre pour habiller Paul, en prenant une infirmière sur le service d’à côté.
C’est dans ce contexte déjà fort tendu que les vagues successives de canicule ont amené des centaines de patients supplémentaires aux
Urgences, la plupart déshydratés.
La chaleur augmente et, de jour en jour, l’afflux des malades est plus important
Dans la seule nuit du 1er au 2 août, 70 personnes sont amenées aux Urgences, la plupart envoyées par les maisons de retraite des environs de
Dijon, pour déshydratation.
Jour après jour, leur nombre est en augmentation constante. La chaleur dans le «hangar» et dans la Salle des Urgences Vitales est
insupportable. Et ce qui va être le plus dur, c’est que jusqu’au 14 août, il n’y aura pas la moindre accalmie. Au contraire, chaque jour c’est un
peu plus dur. Les médecins urgentistes alertent la presse locale à partir du 6 août: personne ne bouge, pas plus l’administration de l’hôpital que
l’Antenne Régionale Hospitalière et que la nouvelle mairie socialiste de Dijon.
C’est la panique totale
C’est le week-end des 9 et 10 août qui va être le début d’une vraie catastrophe: nous sommes obligées de mettre des brancards partout, dans le
sas, dans les couloirs, on bloque même les ascenseurs. Il fait une chaleur insupportable et il n’y a personne, ne serait-ce que pour donner à
boire. C’est une course sans nom pour s’occuper des nouveaux arrivants, changer les perfusions, donner à boire... Tout le monde court... Les
Urgences sont sur le point de craquer.
Ce n’est que le mardi 12 août, à la suite de l’intervention dans la presse locale des médecins des Urgences, que la direction a loué deux gros
ventilateurs pour le «hangar», fait venir les pompiers pour l’arroser, mis en place un camion frigorifique pour réfrigérer les draps mouillés et les
boissons, nous a donné poches de glace et glaçons pour faire baisser la température des personnes âgées en hyperthermie. Et le mercredi 13, le
patron du service faisait appel à la Croix-Rouge qui nous a envoyé une dizaine de jeunes bénévoles pour administrer boissons, draps mouillés
et vessies de glace aux malades.
Mais les gens continuaient à arriver dans un état physique de plus en plus dégradé. Le personnel était exténué avec des images et des visions
d’horreur difficilement oubliables. Il en reste une profonde amertume à l’égard de l’incompétence notoire des services publics à ce moment-là.
Et quand Raffarin a promis une prime pour le personnel hospitalier en septembre, cela a été accueilli avec des réflexions amères, voire cyniques.
Aux Urgences, nous savons parfaitement que cet effondrement, qui s’est produit dans le service, a été préparé par la politique criminelle des
administrations hospitalières successives.
Lutte Ouvrière n°1829 du 22 août 2003[/quote]
CITATION
Hôpital de Dijon, au centre de gérontologie de Champmaillot
À Champmaillot - bien que globalement l’équipe médicale ait essayé de gérer la crise dès le début des grosses chaleurs, en prenant des
mesures adéquates: tournées supplémentaires de boissons, d’eau gélifiée, appel aux familles pour venir plus souvent et pour apporter des
ventilateurs à leurs patients -le manque de personnel a malgré tout provoqué des états de panique.
Et le mercredi 13 août, qui a été le pic le plus important, des états de déshydratation ont été recensés dans tout l’hôpital. De nombreux patients
ont été victimes d’hyperthermie à plus de 40° , 42° pour certains d’entre eux. L’équipe d’après-midi s’est débrouillée comme elle a pu pour faire
baisser leur température, sans glaçons, sans équipement, en mouillant des serviettes avec la fontaine réfrigérée.
Partout dans les services, il y a eu des situations très graves: une infirmière seule pour 40 malades dont la plupart grabataires, une fontaine
réfrigérante en panne pendant deux jours, le personnel pieds nus, s’arrosant d’eau pour pouvoir tenir, des infirmières en larmes, alors même
que les décès se succédaient et ce, bien avant la canicule «officielle» déclarée par Raffarin.
Les mesures, qui ont été prises trop tard, sont dérisoires: il y a trois ans, un service de gériatrie a été fermé et ses 30 lits n’ont pas été rouverts,
faute de personnel et de médecins, alors même que l’infrastructure technique existe. Dans les autres services ouverts, les malades étaient dans
les couloirs sur des brancards.
Ceux qui ont vécu cette période ne pourront oublier l’angoisse de ces personnes âgées qui se voyaient mourir dans un couloir, abandonnées,
parce qu’on ne pouvait pas s’occuper d’elles.
Lutte Ouvrière n°1829 du 22 août 2003[/quote]
CITATION Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13) : des services asphyxiés
À l’hôpital Pitié-Salpêtrière, la vague de chaleur a créé une situation critique. Mis à part les blocs opératoires, les salles de réveil et de radio,
aucun service n’est climatisé. En Orthopédie, dans une chambre, il a fait 46°, tandis que la climatisation est tombée en panne une matinée au
bloc opératoire alors qu’il y faisait 35°.
Dans certains offices infirmiers, la température est montée à 35°. Quelques ventilateurs ont été octroyés à des malades mais la plupart ont dû
être achetés par les familles. Pour le personnel, aucun ventilateur n’a été accordé. Les Urgences, surchargées de travail, ont été débordées. Des
personnels de ce service ont écourté d’eux-mêmes leurs congés pour venir en renfort. Il était difficile d’évacuer les malades vers les autres
services, fermés pour 30% d’entre eux en été. Les nombreuses personnes âgées, déshydratées, ont été réparties n’importe où, du moment
qu’une place se libérait, indépendamment du personnel disponible et, souvent, là où le personnel était déjà restreint. Dans le pavillon où se
trouvent des salles de gériatrie, la situation a été dramatique car il fallait hydrater, perfuser, changer, rafraîchir en permanence, et l’aide
ponctuelle qui a été apportée était bien en dessous des besoins.
Au pavillon Cordier où se trouvent les Urgences, au pavillon de neuro-chirurgie, la machine à glaçons n’a plus fourni de glace et il devenait
difficile de faire baisser la température des patients atteints de 40° de fièvre. Une note de service destinée à tout l’hôpital, aux services de soins
comme aux ateliers, a interdit au personnel de se servir en bouteilles d’eau minérale, car elles étaient réservées aux patients. Au personnel de se
débrouiller pour se procurer de l’eau fraîche. Aux Urgences, il n’y avait pas un seul point d’eau pour les familles qui attendaient pendant des
heures.
Mais, miracle, mercredi 13 août, une tonne de glace était livrée et des bouteilles d’eau affectées aux Urgences tandis que des lits étaient libérés
par l’annulation d’interventions jugées non urgentes. Enfin, le recours à l’intérim devenait effectif: le plan Blanc entrait en action! Il faut dire
que, le jour même, le ministre de la Santé venait rendre visite à l’hôpital.
À l’issue de cette période, nous sommes nombreux à avoir le sentiment que l’aide est arrivée trop tard, qu’il y a eu beaucoup trop de décès et
qu’il a fallu se débrouiller par ses propres moyens. Oui, «en haut», ils n’ont pas été à la hauteur de la situation.
Correspondant LO
Lutte Ouvrière n°1829 du 22 août 2003[/quote]
CITATION
Hôpital Beaujon (Clichy - 92) : un lourd bilan
À Beaujon, un peu plus de soixante décès liés à la chaleur ont été enregistrés entre le 7 et le 18 août.
Les notes de service sur la nécessité d’hydrater les personnes âgées n’ont pas manqué. Ce n’est pas pour autant que tous les postes de soins
disposaient de bouteilles fraîches. Il a même fallu huit jours pour que de simples vaporisateurs soient distribués.
Quant aux fontaines réfrigérées, les anciennes, alimentées sur les canalisations, ont été supprimées il y a des années, car les germes y
proliféraient. Mais elles n’ont pour l’instant pas été remplacées par d’autres, alimentées par des bonbonnes. Le seront-elles enfin?
Le plan Blanc n’a été décrété que le jeudi 14 dans l’après-midi. Mais il n’était de toute façon pas applicable: où chercher les agents partis en
vacances? Quant au nombre de lits rouverts pour accueillir les malades encombrant les urgences, il n’a été que d’une douzaine. Il n’aurait
d’ailleurs servi à rien d’en ouvrir davantage dans les conditions actuelles: qui aurait pu s’occuper des malades supplémentaires ?
Car le plus grave est que rien n’a été fait pour augmenter les effectifs. La direction a multiplié les notes, incitant le personnel à renoncer aux
repos supplémentaires et aux jours de RTT. Mais cela n’a pas eu grand effet, car bien rares étaient ceux qui pouvaient prendre de tels repos en
été, même dans les conditions ordinaires, faute d’effectifs suffisants.
Certains établissements ont recruté des intérimaires. La direction de Beaujon, elle, n’y a plus recours depuis des années, pour des raisons
budgétaires. Elle n’a pas dérogé à cette attitude pendant la canicule.
Du coup, faute de renforts, les urgences ont fonctionné au prix d’innombrables heures supplémentaires accomplies par le personnel.
La direction n’a pas recruté non plus de main-d’œuvre temporaire. Cela n’aurait posé aucun problème de qualification, car n’importe qui peut
apprendre en un instant les gestes élémentaires qu’on doit accomplir vis-à-vis d’une personne âgée qui se déshydrate.
Dans les services, des soignants ont dû «doubler» leur équipe, c’est-à-dire travailler l’après-midi en plus du matin, faute de relève. Quinze
heures par la chaleur qui régnait, quand après sept heures on ne rêve déjà que de prendre sa douche et de se coucher!
Inutile de dire que la vague annonce d’une prime exceptionnelle par Raffarin a fait tristement sourire, comme la promesse de jours de repos
supplémentaires. Ce n’est pas cela dont nous avons besoin, mais de conditions normales en permanence, qui nous permettent de ne pas nous
trouver au plus mal dans les périodes de crise.
Correspondant LO
Lutte Ouvrière n°1829 du 22 août 2003[/quote]
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