Régionales Pas-de-Calais

[pelon]

CITATION
Régionales/Dans le Pas-de-Calais, les thèses du FN ont encore gagné du terrain depuis la présidentielle de 2002:
«Ici, personne ne regrette le 21 avril»


Par Eric AESCHIMANN
lundi 13 octobre 2003

Douvrin (Pas-de-Calais) envoyé spécial



l n'a pas fallu plus d'une demi-heure pour que ça vienne. Par rafales. «Nous, les Français, on se trouve délaissés au profit des étrangers. Les Français demandent à avoir des logements de mineurs et ce sont les étrangers qui les obtiennent», a lancé Philippe. «J'ai un copain dont la femme travaille au service social d'une mairie. Eh bien, elle est devenue raciste à cause de cela. De ce qu'elle a vu. Des avantages des immigrés. Et je la comprends un peu», a renchéri Alain. «C'est pour ça qu'on est amené à voter Le Pen», a repris Philippe. «On» ou «nous» ? Philippe est permanent CFDT de la Française de Mécanique, en 2002 il a voté Jospin, mais quand il parle, il finit par se faire le porte-voix de ses voisins, de ses amis, de ses collègues, le porte-voix de ce «on» qui vote Le Pen.

Douvrin, Pas-de-Calais. Paysage du bassin minier : champs, terrils, cités ouvrières. Au bout d'une route, cinq cabines Algeco alignées sur un parking, une par syndicat : CFDT, CGT, FO... Au-delà, les immenses ateliers bleu marine de la Française de Mécanique, où 5 000 salariés fabriquent des moteurs de voitures. Un des poumons industriels du département, une de ses plaques sensibles aussi, un de ces endroits où tout se noue, luttes sociales, précarisation de l'emploi, menaces de délocalisation, discrédit des partis de gouvernement. Ici, en pleine terre socialiste, le vote PS s'est effondré le 21 avril 2002, tandis que Le Pen et Laguiller ont fait carton plein, avec des pointes à 30 % pour le premier, à 10 % pour la seconde.

Concurrence contestataire. Dix-huit mois plus tard, les termes de l'équation sont inchangés : rancoeur contre la gauche, attrait pour le discours d'Arlette, tentation du vote Le Pen, lassitude de la politique. Un pessimisme nourri par une réalité quotidienne très dure : à la Française de Mécanique, au bout de vingt ans de maison, le salaire d'un ouvrier varie entre 1 150 et 1 300 euros, 10 % d'entre eux sont en intérim, 20 % surendettés. «Ici, personne ne regrette le 21 avril. Les gens étaient heureux d'avoir fait battre Jospin», estime Alain Labarre, responsable de la CGT.

Et depuis deux ans, les plans sociaux se succèdent, chez Lu-Danone, Pechiney-Aluminium, Métaleurop, Lever, Sollac, ou Alcatel. La Française de Mécanique elle-même fermera d'ici deux ans sa fonderie, qui emploie 700 personnes. Premier résultat : Rémy Auchedé, le conseiller général PCF, perçoit «une petite remontée de l'aspiration à ce que la gauche reprenne le pouvoir». Mais rien de plus. «Les gens commencent à dire que les socialistes, c'était moins pire, avant d'ajouter que cela leur ferait mal au coeur de revoter pour eux», note un responsable communiste.

La grogne anti-Raffarin et la rancune contre l'ex-gauche plurielle, le PCF local voudrait bien en récolter des miettes. Opposante à la ligne Hue, hostile à la participation au gouvernement, la fédération du Pas-de-Calais va partir seul aux régionales et espère améliorer son score des législatives de 2002 ­ au-dessus de 10 % dans une bonne partie des circonscriptions. A la base, on rêve de l'ancien temps. «L'autre jour, à la télé, des collègues de la chaîne ont vu Maxime Gremetz (député PCF de la Somme, ndlr) gueuler à l'Assemblée et ils m'ont dit : "c'est quelqu'un comme ça qu'il faut", relate Alain Labarre. Ils ont raison : il nous faut quelqu'un qui fasse comme Marchais avec Elkbabbach.»

Sur ce créneau contestataire, la concurrence est forte avec Lutte ouvrière. En 1998, l'organisation trotskiste avait obtenu huit élus régionaux dans le Nord-Pas-de-Calais. A la Française de Mécanique, c'est Régis Scheenaerts qui mène la bataille. Adhérent à la CGT, délégué du personnel, élu au comité d'entreprise, il occupe le terrain avec une efficacité reconnue par tous. Signe des temps : le dernier éditorial d'A coeur ouvert, le journal diffusé par le PCF aux salariés de la Française de Mécanique, s'en prend essentiellement à Lutte ouvrière et à sa «démagogie».

Mais pour le PCF comme pour le PS, le véritable ennemi reste le FN. Localement, l'appareil du Front est en coma dépassé : tête de liste aux régionales pour le Pas-de-Calais, Eric Iorio, se focalise sur la campagne de sa femme, Marine Le Pen, en l'Ile-de-France. Et son correspondant local, Freddy Baudrin, conseiller municipal à Wingles, a été appelé en renfort 20 km plus loin, à Hénin-Beaumont. Les thématiques, elles, restent, s'insinuent, jusqu'à se retrouver dans la bouche d'un militant CFDT : «Il y a un gros problème avec les Gitans, ils volent, ils foutent la merde et c'est nous qui payons. Le peu qu'on fait, griller un feu rouge, on se prend une amende. Eux, ils font ce qu'ils veulent.» Ou dans les propos du maire PS de Wingles : «L'erreur, ça a été le regroupement familial : maintenant, il y a des hordes qui vous regardent d'un air hautain.»

«Plus rien qui va.» L'imprégnation est trop forte, l'amertume trop diffuse, l'angoisse trop prégnante. Le Pen : le nom flotte, obsédant. Tel dit «comprendre», un autre se reconnaît «tenté», un troisième parle d'amis «qui pensent à l'abstention, pour ne pas basculer Le Pen». Pour tous, au-delà des élections de 2004, le rendez-vous de la présidentielle de 2007 est déjà fixé. Alain Labarre : «Je connais des gens qui ont voté le Pen en 2002 et qui disent qu'ils le feront encore au prochain coup, parce qu'il n'y a plus rien qui va. Les radars, les contrôles routiers : on tape toujours les petits.» Lionel (CFDT) dans l'Algéco d'à côté : «Les gens ont eu peur de Le Pen. Enfin, on leur a fait peur... On leur a fait peur une fois... Mais on ne leur fera peut-être pas peur une deuxième fois.»



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