la ligue et les anars

Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité politique en France

Message par Nestor Cerpa » 26 Jan 2004, 11:17

L'analyse de l'OPA (Opération pirate sur les anarchistes) de la LCR, présentée ici, s'inscrit dans le propos plus large d'un ouvrage paru aux éditions Paris-Méditerranée (Coll. « Les Pieds dans le plat ») : Je réécris ton nom, Révolution.

Le « petit facteur » de la LCR n'aura pas eu besoin qu'on le sonne deux fois pour annoncer la bonne nouvelle : Le libertaire nouveau est arrivé ! Les prospectus qu'il distribuait, entre les deux tours des présidentielles, au printemps 2002, semblaient pourtant la contredire : Aux urnes, à nouveau, citoyens ! Il faut bouter Le Pen hors des murs de la République ! L'isoloir serait-il devenu un passage obligé pour tout libertaire qui se respecte ? Tel était, en tout cas, le message urgent qu'Olivier Besancenot avait à faire passer, avec l'aide empressée de médias soudainement intéressés, à l'issue d'une tournée des calendriers électoraux pendant laquelle il lui fut donné de sentir d'où viendrait le vent pour les prochaines consultations.

En fait de vent, il s'agit tout simplement de revivifier d'un « souffle libertaire » le marxisme révolutionnaire, comme nous l'apprend le dernier numéro de Contretemps, revue théorique de la LCR.1 Un changement de cap idéologique périlleux, si l'on songe au passé - pour ne rien dire du présent - de cette organisation. Aussi le pilotage du numéro a-t-il été confié à deux barreurs hors pair : Philippe Corcuff et Michaël Löwy.

Sociologue, politologue et surtout idéologue tout terrain, le premier nous inflige comme à l'accoutumée, mais cette fois aux dépens de Rosa Luxemburg, un laïus sans consistance truffé de falsifications où il donne libre cours à son penchant pour les mésalliances de mots les plus déconcertantes et prend assez de libertés avec l'histoire pour nous faire oublier pourquoi Rosa et ses camarades finirent par ne voir dans la social-démocratie qu'un « cadavre puant » qu'aucun artifice langagier ne pourrait rendre à la vie. Ainsi en profite-t-il pour nous resservir l'une de ses trouvailles préférées : le « concept » - terme à prendre ici non dans son acception théorique, mais au sens que lui ont donné les publicitaires - de « social-démocratie libertaire ».

Second pilote à la manœuvre, Michaël Löwy, directeur de recherche médaillé du CNRS et directeur de conscience écouté parmi les adeptes du marxisme lénifiant, se pose en héritier présomptif et surtout présomptueux du mouvement surréaliste pour nous saouler de sa rhétorique sur l'« ivresse libertaire » de Walter Benjamin érigé en maître à tout penser. Une manière comme une autre de montrer que la LCR aurait définitivement rompu avec l'avant-gardisme, l'autoritarisme et le dogmatisme que des esprits aussi chagrins que mal informés persistent à lui imputer.

Pour prouver que la page d'un certain trotskisme est définitivement tournée, nos experts en détournement n'y sont pas allés de main morte. Le numéro de Contretemps s'ouvre, en effet, sur un scoop de taille : rien moins que la naissance d'une « première Internationale au xxie siècle », une fois dépassées les « vieilles querelles » entre marxistes et libertaires. Exit, donc, la IVe Internationale dont la LCR attestait la survivance en France. Il est vrai que son nouveau porte-parole avait déjà révélé au Monde qu'avant de devenir trotskiste, il avait été « libertaire ». Et qu'il le serait, par la suite, plus ou moins resté. Libertaire, donc, Alain Krivine qui, au soir des élections européennes de 1999, s'écriait avec enthousiasme, en apprenant qu'il avait gagné son ticket d'entrée au parlement de Strasbourg : « On a des élus, c'est le plus important. »2 L'important, pour les rénovateurs trotskistes, ce n'est plus le rouge ni même l'orange qui l'a remplacé sur leurs nouvelles bannières : c'est la couleur des sièges dans lesquels ils allaient pouvoir enfin se caler, à Strasbourg ou ailleurs. Libertaires, le sont, d'une façon plus générale, avec Besancenot, Bensaïd et consorts, toutes les girouettes que leur sensibilité aux trous d'air électoraux pousse à « coller à l'air du temps contestataire », comme le dit si bien Libération qui, à défaut de toujours savoir de quoi il parle, sait à qui il a affaire avec les apparatchiks de la Ligue et ses penseurs attitrés.

« Changer le monde sans prendre le pouvoir ? » Sous son allure de sentence faussement interrogative, le titre aguicheur de la revue Contretemps est des plus trompeurs. Car prendre le pouvoir, c'est avoir le pouvoir de changer le monde, et y renoncer revient à le laisser à ceux qui le possèdent déjà. On l'aura pressenti : ce « souffle libertaire » qui émane sans prévenir de la LCR va surtout permettre à la bourgeoisie mondialisée de souffler.

Le social-opportunisme

De la part de tous ces néo- ou post-trotskistes spécialistes de l'entrisme à tous crins, le sort - et le tort - qu'ils font maintenant subir au mot « libertaire » n'a rien qui doive étonner. Encore faut-il, pour s'en convaincre, rappeler d'où il vient. Déjà connu après la Commune dans les milieux antiautoritaires, ce néologisme est né à la fin des années 1850 de la plume acide d'un anarchiste, Joseph Déjacque, qui n'eut de cesse de clouer au pilori les compromis et les compromissions de la petite-bourgeoisie républicaine de l'époque.3 Elle avait mené le mouvement révolutionnaire à une série de défaites et nourrissait un respect viscéral pour toutes les procédures de la démocratie parlementaire qui faisait alors ses premières armes en désarmant tous ceux qui opposaient au culte de la légalité bourgeoise l'aspiration à une lutte et à des formes d'organisation nées au sein du peuple même. Au « crétinisme parlementaire », indissociable des pratiques opportunistes de la social-démocratie, s'est donc tout aussitôt opposée la pensée libertaire qui dénie aux délégués élus le pouvoir d'user et d'abuser de l'autorité qui leur est conférée par le vote. Et si le « libertaire » mettait plutôt l'accent sur la dimension individuelle de la révolte, l'anarchie, issue parallèlement du mouvement ouvrier, l'associait à une idée d'organisation collective autonome refusant toute professionnalisation de la politique et, a fortiori, le rôle et le règne des révolutionnaires professionnels. Ce sont donc toutes les formes de la démocratie représentative qui, dès l'origine, seront implicitement et explicitement prises sous le feu de la critique.

Parole de Besancenot : « Pour nous, l'erreur des bolcheviks, c'est d'avoir sous-estimé la question démocratique [...]. Nous sommes évidemment pour le pluralisme. »4 « Nous », c'est évidemment la minibureaucratie de la Ligue qui, après avoir réussi à se faire une place « à gauche de la gauche » comme supplétive de la « gauche plurielle », découvre qu'elle peut damer le pion au PCF et jouer sa partition dans le concert des grands. Reconnue et réévaluée dans ce contexte, la « question démocratique » n'est autre que celle que l'on soumet d'ordinaire aux étudiants de première année de Sciences Po et à laquelle ont déjà répondu par avance, depuis des décennies, tous les propagateurs de lieux communs sur les bienfaits de l'ordre politique bourgeois. Une réponse qui rejette toute idée d'action révolutionnaire des dominés contre cet ordre, comme non démocratique parce que relevant d'une conception « totalitaire » et, depuis le 11 septembre 2001, « terroriste » de la transformation de la société.

On peut, de la sorte, sous couvert de se libérer des « pesanteurs idéologiques », se débarrasser tranquillement de tous les principes révolutionnaires gênants, tout en conservant le principe d'autorité du bolchevisme et de la social-démocratie, inhérent à des appareils dont la structure et le fonctionnement sont calqués sur le modèle étatique. On comprend, dès lors, qu'Edwy Plenel, journaliste d'investigation policière toujours prêt à accueillir ses anciens camarades de promotion trotskiste dans les colonnes du Monde, ait lui aussi découvert « ce passage vers une pensée de liberté, vers une idée libertaire de démocratie ».

Pour dissimuler le sens de leur adhésion au pluripartisme et aux « élections libres », c'est-à-dire à la démocratie de marché, les néo-trotskistes se doivent de dévoiler ce qui aurait été oublié par leurs prédécesseurs, à savoir la dimension subjective de l'individu et son irréductible altérité, de traquer l'aliénation dans tous les domaines du quotidien, de suggérer que les combats des féministes et des écologistes transcendent les luttes de classes - toutes choses qui auraient été mises sous le boisseau par le marxisme qu'ils professaient la veille, quand ils assénaient leur pédante leçon de matérialisme aux analphabètes de toutes confessions, anarchistes, conseillistes et autres « basistes » saisis par le « spontanéisme ». De même leur faut-il intégrer le possible, l'aléatoire, l'utopique et, pourquoi pas pendant qu'on y est, le rêve, la mélancolie et le prophétique dans leur conception de l'histoire, car ils veulent désormais échapper au déterminisme, voire au fatalisme, dont ils auraient été victimes bien malgré eux.

Dans ces conditions, le sénateur « socialiste » Henri Weber, ex-dirigeant de la Ligue devenu bras droit (ou gauche) de Laurent Fabius était en droit de demander, toujours dans les pages du Monde, à ses anciens camarades ce que le « révisionniste » Eduard Bernstein réclamait jadis de la social-démocratie : qu'elle « ose paraître ce qu'elle est », et qu'elle devait si bien montrer avec son ralliement à « l'union sacrée », en 14-18. Que les soi-disant communistes révolutionnaires de la LCR, donc, osent enfin paraître à leur tour pour ce qu'ils sont, malgré leurs dénégations : « des réformistes de gauche, à peine plus radicaux » que des renégats qui ont simplement poussé plus loin, et plus tôt, l'abandon de leurs positions d'antan, tels Julien Dray, Jean-Luc Mélenchon ou l'inspecteur du travail Gérard Filoche.

Henri Weber, en vérité, devrait plutôt prier pour que son souhait reste un vœu pieux, car afin qu'il puisse sans crainte paraître lui-même pour ce qu'il est effectivement devenu, un réformateur bon teint, c'est-à-dire rose pâle, il est préférable que les néo-trotskistes continuent de passer pour ce qu'ils ne sont plus : des « rouges ». Inviter la LCR à se dépouiller de son label d'extrême gauche, comme elle l'a d'ailleurs déjà fait en se revendiquant « 100 % à gauche », n'est-ce pas courir le risque, pour Henri Weber et les politiciens de son acabit, de se retrouver, du coup, catalogués à l'extrême centre, tout près du « libéral-libertaire » Daniel Cohn-Bendit et non loin du libéral tout court François Bayrou ?

C'est pour ne pas avoir à rendre publique leur propre dérive dans ce glissement général vers la droite que les fins stratèges de la LCR ont encouragé l'un de leurs idéologues maison à mixer la social-démocratie avec l'esprit libertaire afin d'en extraire un « concept » aussitôt mis sur orbite médiatique, grâce à leurs multiples accointances avec cette presse qu'ils ont cessé de qualifier de bourgeoise. Sous peine de finir par être confondu avec le social-libéralisme et d'être ainsi suspecté d'accommodement avec le néo-libéralisme honni, le social-opportunisme de facture trotskiste se doit d'apparaître badigeonné d'une couche de « radicalité ». Une touche de vernis « libertaire » fera donc l'affaire.

Les néo-trotskistes se verraient-ils, dès lors, contraints de défendre simultanément une chose et son contraire : la tradition social-démocrate et un engagement libertaire ? Nullement. Les deux plateaux de la balance sont, en effet, inégalement chargés. Ou, si l'on préfère, les poids et les mesures ne sont pas les mêmes dans l'un et l'autre cas. D'une part, des pratiques : légalisme, électoralisme, étatisme, participation au jeu institutionnel classique de la démocratie représentative. De l'autre, des discours : sur l'autonomie, la révolte et l'insoumission, professions de foi sans cesse démenties par les actes. Bref, d'un côté des positions, de l'autre des postures. Ainsi s'explique que tout ce que le mot « libertaire » exprime d'ordinaire, y compris dans les dictionnaires, se voit associé pour ne pas dire accouplé de la manière la plus obscène à son contraire, la social-démocratie - l'un des piliers les plus solides de l'État capitaliste.

Une révolution "sociétale"

S'il ne fait pas de doute que la revendication « libertaire » de la LCR relève de l'usurpation et de l'imposture, il serait toutefois naïf de n'y déceler qu'un simple cache-sexe « anticonformiste » destiné à masquer la mise en conformité de l'organisation trotskiste avec les normes de la démocratie bourgeoise. Dans son cas comme dans bien d'autres, parler de « récupération » n'a de sens qu'à condition de ne pas oublier qu'à travers des mots ou des idées, ce sont des gens qu'il s'agit avant tout de récupérer.

Chacun sait, et les dirigeants de la LCR les premiers, qu'il est devenu difficile, en politique, d'attraper les mouches avec du vinaigre, à savoir avec l'image révulsive d'un révolutionnarisme archaïque : références vieillottes, langue de bois, militantisme ascétique, etc. Certes, il n'est pas inutile de reprendre quelques-uns des slogans et des mots d'ordre traditionnels de la lutte anticapitaliste, ne serait-ce que pour ne pas laisser le terrain libre aux rivaux de Lutte ouvrière. Il faut bien répondre, en effet, au moins en paroles, aux attentes et aux intérêts des « déçus de la gauche » dans les milieux populaires. Mais occuper l'espace abandonné par les partis responsables de cette déception ne suffit plus. Pourquoi ne pas tenter de capter, en plus, les voix perdues de cette énorme part de l'électorat potentiel, assez sceptique sur les vertus démocratiques du suffrage universel pour voter souvent blanc ou nul, ou même - horreur absolue ! - se réfugier parfois dans l'abstention ? C'est ce « segment du marché », comme diraient les experts en marketing, que la LCR cherche à « cibler », en laissant un « provocateur-né » style Philippe Corcuff se pousser en avant. On y trouve les lecteurs de Charlie-Hebdo et de Politis, bien sûr, où celui-ci tient tribune. Ceux, également, de Télérama ou des Inrockuptibles, magazines qui ont fait de la « différence » une image de marque d'autant plus soigneusement entretenue qu'elle permet, entre deux pages glacées de publicité pour des produits de luxe, de rejeter dans les bas-fonds du « populisme » tout ce qui émane du peuple sans avoir bénéficié de l'aval sourcilleux du « citoyen » policé. Dans la presse de marché, les déviants institutionnels sont fort prisés, voire courtisés. À Libé et au Monde, par exemple, les rubriques « Rebonds » ou « Débats » ont toujours été généreusement ouvertes aux contestataires installés.

Tout ce lectorat appartient à une fraction de la petite et moyenne bourgeoisie intellectuelle qui raffole des personnalités « dérangeantes » pour se donner l'illusion qu'elle n'est pas elle-même totalement rangée. Une couche sociale d'autant plus friande de révolutions labélisées « sociétales » - celles qui touchent aux comportements et aux sentiments, aux désirs et aux plaisirs, aux modes de vie et aux modes tout court - qu'elle a cessé de s'intéresser à la révolution sociale. Il est vrai que celle-ci risquerait de la toucher à son point le plus vulnérable : le portefeuille.

Le succès du nouveau maire « socialiste » de Paris auprès des « bobos » le confirme : il existe une « classe moyenne urbaine, jeune et cultivée » prête à se laisser séduire par les sirènes électorales pour peu que les prétendants au pouvoir acceptent de remodeler en conséquence leur idéologie et leur langage. Bertrand Delanoë et sa fine équipe de « communicants » ont misé avec brio sur le « festif » pour attirer ces chalands d'un nouveau genre plus soucieux d'épanouissement individuel que d'émancipation collective. La LCR peut espérer, néanmoins, récupérer une partie d'entre eux, en particulier les plus jeunes, pas encore installés et donc plus disponibles et plus désintéressés. Pour ce faire, elle a trouvé la pierre philosophale susceptible de combiner le « social » et le « sociétal », c'est-à-dire le progressisme politique et le modernisme culturel : réactualiser le credo libertaire selon les canons publicitaires.

De ce point de vue, le jeunisme démagogique d'un Philippe Corcuff s'extasiant devant les platitudes fredonnées d'Eddy Mitchell, ou les pitreries d'un Besancenot s'auto-photographiant à la télévision devant une icône du « Che », peuvent contribuer à élargir l'audience et l'influence de la LCR. Pour croître, elle doit se montrer à l'écoute non plus des « masses » ou des « travailleurs », mais du public ou, plus précisément, d'un certain public. Un public spécifique qui n'entend pas, d'ailleurs, être considéré dans sa globalité anonyme, mais comme une nébuleuse d'« individualités » insaisissables et surtout inclassables, pour reprendre les traits sous lesquels les néo-petits-bourgeois se perçoivent d'ordinaire. Aussi se reconnaîtront-ils peut-être dans le miroir complaisant de la « société de verre » que Philippe Corcuff leur tend, avec toutes leurs « singularités », leurs « fragilités » et, last but not least, leurs « ambiguïtés », ce « lot commun des pauvres humains » qui autorise les rebelles de confort à se dédouaner à bon compte de leur quête incessante d'avoir ou de pouvoir.

Principe cardinal du nouveau cycle marchand, cette « reconquête par l'individu de son identité », que l'on ne cesse de célébrer en cette ère du conformisme généralisé, vient couronner une tendance déjà présente dans les avant-gardes culturelles et notamment dans le surréalisme artistique. C'est au tour des pratiques quotidiennes de chacun de s'affranchir de tous les carcans religieux, politiques et historiques. La dimension « existentielle » de la critique libertaire donne un semblant - un faux-semblant - de cohérence politique à toutes les formes de contestation que l'individualisme exacerbé a fait apparaître sur le marché de l'anticonformisme estampillé.

Agglutinant l'ensemble des références théoriques ou littéraires disponibles, y compris les plus saugrenues (les « relectures » désopilantes par Daniel Bensaïd de Jeanne d'Arc et ses envolées sur Péguy sont, à cet égard, anthologiques), dans un ersatz de critique radicale qui romprait avec l'« économisme » et le « sociologisme » des « classiques » du marxisme, le néo-trotskisme peut ainsi constituer un nouveau pôle d'attraction auprès de toutes les catégories sociales dont les manières de vivre et les aspirations se rattachent à ces revendications. C'est au point d'intersection de toutes ces dérisoires « remises en cause » que le « libertaire » intervient, à la manière d'un pivot qui, sous le signe de la « subversion », articule dans un même mouvement l'« autonomie recouvrée de l'individu » à la « redécouverte de la démocratie ».

La « non-conformité », dès lors, se conçoit dans une perspective inversée. Elle n'a plus de raisons de s'en prendre aux codes et aux normes officiels puisque leur « transgression », institutionnalisée, subventionnée et même sponsorisée, fait dorénavant partie intégrante des formes de la domination. Sera taxée de conformisme, en revanche, l'attitude des « sectaires », des « retardataires », des « primaires » qui s'entêtent à refuser d'être les dupes de pareilles simagrées.

Que l'on ne s'avise donc pas de détecter dans l'infléchissement en cours de la ligne de la LCR quelque effet en retour des fréquentations mondaines de ses leaders. Rendre de temps à autre, par exemple, des services grassement rétribués aux « ennemis de la classe ouvrière » d'hier, sous forme d'« animation » de séances de « formation » en entreprise, ne saurait, chez un intellectuel aguerri comme Corcuff, amollir sa volonté d'en découdre avec eux aujourd'hui. Croire le contraire serait verser dans le travers détestable de ces « anarchistes satisfaits de leur pose face au monde » qui ignorent « la tension productive », donc positive, que ne peut manquer d'engendrer, y compris « en nous-mêmes », le fait d'avoir à la fois un pied dans « des institutions de lutte » et un autre dans des « institutions de gestion ».5 Ignorer le « choc fécond » qui peut en résulter reviendrait, finalement, à se priver de ce « dialogue du réel et de l'utopie » qui fait tout le sel - et le suc ! - de la « social-démocratie libertaire ».6 On l'aura deviné, à l'heure où l'entreprise se préoccupe de changer d'image, la petite entreprise révolutionnaire qu'est la LCR se doit de ne pas être en reste.

Sur ses fanions, significativement passés du rouge à l'orange - sans doute, parce que le rose était déjà pris -, comme sur la une de son hebdomadaire, dont l'intitulé devrait, soit dit en passant, changer de couleur lui aussi pour être en harmonie, on chercherait en vain trace de la faucille et du marteau qui les ornaient naguère. Au lieu et place de ces outils d'un autre âge, ondoie triomphalement le « 100 % à gauche », symbole éloquent du ralliement des néo- ou des post-trotskistes à la logique du quantifiable, avec ses chiffres, ses statistiques et ses taux, économiques ou électoraux. À voir le racolage tous azimuts auquel se livre une organisation toujours prête à attirer dans ses filets tout ce qui bouge - et qui n'est pas forcément rouge - pour améliorer ses scores, on peut suggérer à ses dirigeants un nouveau logo : le râteau.

Jean-Pierre Garnier et Louis Janover

Texte issu du Monde Libertaire n°1319, hebdomadaire de la Fédération Anarchiste archives sur le net : http://www.cybertaria.net/ml

1. Contretemps, n° 6, février 2003.

2. Alain Krivine, cité in Libération, 14 juin 1999.

3. Valentin Pelosse, « Joseph Déjacque et la création du néologisme "libertaire" (1857) », Cahiers de l'ISEA, série S, n° 15, décembre 1972.

4. Olivier Besancenot, Le Monde, 3 février 2003.

5. Philippe Corcuff, « Pour une social-démocratie libertaire », Libération, 18 octobre 2000.

6. Ibid.
Nestor Cerpa
 
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Message par Catharos » 27 Jan 2004, 01:31

Citations

"Que l'on ne s'avise donc pas de détecter dans l'infléchissement en cours de la ligne de la LCR quelque effet en retour des fréquentations mondaines de ses leaders. Rendre de temps à autre, par exemple, des services grassement rétribués aux « ennemis de la classe ouvrière » d'hier, sous forme d'« animation » de séances de « formation » en entreprise, ne saurait, chez un intellectuel aguerri comme Corcuff, amollir sa volonté d'en découdre avec eux aujourd'hui"
un « provocateur-né » style Philippe Corcuff se pousser en avant..."

on peut lire tant de chose de l'article cité precedemment du monde libertaire...

Pour avoir vécu en cellule à Dijon avec le camarade citez plus haut, je ne suis pas tout à fait en accord avec cette analyse evidement, il peut être penible à certains de gagner des militants de cet acabit, cependant n'étant pas du tout de son courant, ce camarade à vrai dire est d'une grande simplicité et clarté, et si danger il y a à la ligue de déviances opprtunistes, ce serait plutôt les tenant de l'ex majo qui ne veulent pas entendre d'alliance avec LO. Que la LCR fasse un travail vers les libertaires rien de chaquant, pourquoi pas ? Maintenant, l'important c'est l'aprés élection et voir comment les choses vont se passer... La Ligue est peut être un rateau, je suis contre les abandon et concesion inutiles, mais surtout elle a le démon de l'electoralisme, elle peut ratiser large... Pourquoi faire ? Des élus ? Restons ce que nous sommes...des BL
plus de cellule, de pseudo, de dictature du prolétariat... Ca veut dire quoi ?

Enfin Recruter c'est bien, des petits bourgeois pourquoi pas, assoc... mais les cibles prioritaire de mon point de vue sont mal choisi... Je suis peut être le plus ouvriériste de la LCR... Certes je viens de LO, je garde le sentiment que la periphérie c'est les amuses gueule, le syndicalisme un travail annexe à la construction politique dans la classe ouvrière...

malgrè tout je trouve que crorcuff apporte une certaine fraicheur, qui pose des questions nouvelles, des analyses, auquelles il faut repondre, autant la lutte interne est libre et sérieuse, autant ce débat est précieux. Nous n'avons pas peur des débats d'idées, pour l'instant, l'essenciel, voyons jusqu'où la ligue et LO peuvent aller ensemble.
Catharos
 
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Message par titi » 27 Jan 2004, 17:53

il faut préciser que l'article date de déja qq mois
titi
 
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Message par Stanislas » 27 Jan 2004, 19:10

Sont toujours aussi cons à la F.A en gros.

Exemple parmi d'autres :
a écrit :Principe cardinal du nouveau cycle marchand, cette « reconquête par l'individu de son identité »

Ben oui, cette reconquête, fort justement, permet de se poser de bonnes questions, et évite de s'engluer dans des " révolutions propriétaires " d'avant garde auto-proclamées. Est-ce que ça vaut pour la LCR, ça j'en sais rien.
Stanislas
 
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Message par mael.monnier » 02 Fév 2004, 10:06

Sur le même thème :
(Richard G. % A%Infos @ 30/01/2004 - 23:52 a écrit :
Pour contribuer au débat : un texte plus politique

De bon sentiment, le dernier numéro de la revue Contre-Temps ne manque
pas. Sous la houlette d'un quarteron de militants trotskistes de la LCR,
d' autoproclamés " nouveaux libertaires " et " nouveaux communistes "
entendent nous convaincre des " faux clivages " existant entre
anarchistes et trotskistes, des clivages qui, aujourd'hui, ne
reposeraient que sur quelques confrontations historiques n'ayant plus
guère de sens. L'heure serait aujourd'hui à la fusion : celle d'une
politique trotskiste et d'une pratique anarchiste, dans le cadre d'un "
parti libertaire [.] apte à gouverner ". Pour cela, des parallèles
historiques sont établis avec une collaboration communistes/anarchistes
dans les IWW américains et dans le cadre de la revue Voie Communiste en
pleine guerre d'Algérie. Ceux-ci représenteraient des " exemples
intéressants " de " regroupement non dogmatique ".

De cette revue et de tous ses articles se dégage une certaine communauté
de pensée dont la constante est le caractère complètement dépolitisé.
Anarchistes et trotskistes (de la LCR) seraient les 2 membres principaux
de la communauté des révolutionnaires, séparés par de bêtes événements
historiques. Mais il convient de noter qu'aucun aspect politique de cette
collaboration n'est abordé : Mimmo D. Pucciarelli présente la mouvance
libertaire comme si, quoique présentée comme " plurielle et composite ",
elle était néanmoins une véritable communauté, sans clivages politiques
entre les organisations et les individus ; la LCR est abordée comme si
elle était le pur produit du trotskisme, bureaucratie et dogmatisme en
moins ; enfin, signalons la récurrence de l'ajout ponctuel des Verts en
marge de la communauté des " radicaux critiques ". Cette communauté doit
se baser sur deux choses : le rejet " des vérités uniques et des
certitudes carrées du dogmatisme " et une position " 100% à gauche ".
Mais de ce que signifie politiquement " être 100% à gauche ", on ne
parlera pas.

La LCR, il est vrai, a fait peau neuve. Elle ne se veut plus un parti
communiste, mais un parti " écologiste, féministe, anticapitaliste ". A
chaque congrès est inlassablement reposée la question du changement de
nom pour bazarder ces mots encombrants que sont " communiste " et "
révolutionnaire ", qui font trop peur. Les entorses au dogmatisme sont,
on ne peut le nier, conséquentes : Léonce Aguirre, avec d'autres, fait un
retour critique sur Kronstadt, que même le jeune candidat Besancenot
décrit comme une erreur de Trotski. D'autre part, les références
historiques du parti se sont relativement élargies, pour inclure, et ce
n'est pas récent, Rosa Luxemburg ou Che Guevara. Le retour sur Kronstadt
est, entre autres, courageux : tout le monde n'en a pas fait autant. La
LCR, de fait, n'est plus vraiment un parti trotskiste. Mais là n'est pas
l'important : suffit-il d'évacuer toute référence au trotskisme et à ses
erreurs pour être digne d' intérêt ? On oublie que la LCR est un parti
politique, et que ce parti a une action politique. Mais de cette action,
on ne parle pas : la question de l' unité ne nécessite-t-elle pourtant
pas que l'on en fasse le bilan ?

Le positions ambiguës sur la parité, sur l'Europe et Maastricht, dont
certains courants et individus au sein du parti disent qu'elles sont
susceptibles de permettre certaines avancées. les positions douteuses des
pantins inutiles au Parlement Européen sur la privatisation du chemin de
fer, la réduction de l'interdiction des licenciements à un cadre des "
grandes entreprises qui font des profits ". cela, avec un modèle
politique défini comme celui de la " démocratie participative " de son
homologue brésilien. De celle-là, non plus, on ne parle guère : c'est
bien le courant " Secrétariat Unifié " du PTB qui, élu sur le mandat du
non-versement de la " dette " au FMI, a pourtant fait de celui-ci le 1er
point de son programme une fois au pouvoir ; c'est bien lui qui continue
la politique de
privatisation. quel doux mot que celui de " démocratie participative ",
qui associe les travailleurs à la gestion de la cité alors que, en
vérité, ils ne participent qu'à la gestion de la pénurie : le Nouvel
Economiste le confirme : 80% du budget concerne des dépenses fixes, 15%
sont consacrés au paiement de la dette, restent 5% à se partager entre
les exploités ! Les syndicalistes brésiliens détaillent à l'envi les
successions de cris et de pleurs au " budget participatif " de la part de
tous ceux venus réclamer justice, et qui savent que seuls ceux étant
parvenus à rassembler le plus de monde derrière eux pourront faire partie
des 3 uniques nominés sur la liste des " priorités ".
En évacuant toute référence au trotskisme ou au communisme, la LCR ne
fait pas que figure d'ouverture d'esprit : elle évacue aussi des concepts
qui ne correspondent plus à sa pratique politique. Son ouverture est la
concrétisation de sa dérive droitière qui la conduit, en effet, à
s'ouvrir aux Verts, à la Gauche Socialiste, invitée à son dernier
congrès, et aux libertaires d'Alternative Libertaire, invités eux aussi.
Si " AL " se retrouve fréquemment dans des combats communs avec la Ligue,
ce n'est pas non plus seulement parce qu'elle veut bien faire fi de tout
dogmatisme, c' est parce qu'elle aussi manie les concepts de " 100% à
gauche " et de lutte de la " gauche sociale " contre la " gauche
gouvernementale ". toutes deux se retrouvent sur une position de " gauche
de la gauche ", qui poussotte gentiment la gauche plurielle pour qu'elle
lâche quelques mesurettes, pour qu'elle régule le capitalisme, puisqu'il
faut " changer le monde sans prendre le pouvoir ". Toutes deux
participent au fameux Forum Social, financé à hauteur de 22 millions par
l'Etat qui achève ainsi l'intégration corporatiste de ces organisations
dites contestataires qui n'ont pour seul mérite que d'avoir citoyennement
mis la lutte des classes au vestiaire et participé à la mise en place
d'une structure de dialogue social. Toutes deux sont dans une perspective
"participative" associant les exploités à leurs exploiteurs.

Ce n'est pas pour rien que les " anarchistes " qui prennent la parole
dans cette revue préfèrent quoi qu'ils en disent le terme de libertaire à
celui d 'anarchiste.. Manfredonia, Spadoni, Pucciarelli réduisent
l'anarchisme, par leurs discours ou leur simple participation créditrice
à un numéro peu innocent, à une certaine " pratique " libertaire, à une
revendication de fonctionnement politique démocratique. La seule
légitimité de l'anarchisme serait d'avoir incarné au temps du "
dogmatisme " trotskiste la lutte contre la bureaucratie : la LCR ayant
rompu avec ces pratiques, l'anarchisme n'a plus aucune raison d'être et
doit intégrer la nouvelle extrême gauche plurielle, car c'est bien de
cela qu'il s'agit, et se préparer, comme il l' est rappelé, à voter une
nouvelle fois pour la " démocratie chiraquienne " ou encore, pour un
candidat jugé " proche " : " trotskiste ou écologiste par exemple ". Que
de bons sentiments, en effet, dans ces appels à l'action dans ces grands
syndicats que sont SUD ou la CGT, tout dévoués au syndicalisme
subsidiaire, tout à fait compatible avec cet autre modèle de corporatisme
qu 'est la " démocratie participative ". Que de bons sentiments dans ces
appels à la collaboration avec ces grands révolutionnaires des Verts et
de la Rifondazione ! " Collaboration ", c'est bien de cela dont il
s'agit. la " gauche de la gauche " façon PCF ou LCR revendique " une
autre Europe ", définie comme le cadre de nos luttes, tout en affirmant
que ce qui édicte 80% des mesures appliquées en France n'est pas une "
réalité géopolitique ".

N'en déplaise à tous, l'anarchisme n'est pas réductible à un amas de
pratiques " démocratiques " menées par des " libertaires ". La légitimité
de l'anarchisme est que c'est le seul courant politique qui, prenant fait
et cause pour les exploités, refuse de laisser un seul élément hors du
champ de sa critique et de sa réflexion, à l'inverse du trotskisme, qui
refuse de se pencher sur la question de l'autorité et de ses expressions
sociales que sont le parti ou l'Etat. C'est cela l'actualité du différend
entre l' anarchisme et le trotskisme : d'abord, il est vrai, une "
pratique " (le récent coup de main de la LCR, après d'autres trotskistes,
sur l'Ecole Emancipée prouve d'ailleurs à quel point la LCR s'est
dé-trotskisée), mais pas une pratique réduite à un fonctionnement interne
démocratique, une pratique qui lui interdise de participer à l'Etat, une
pratique qui prévienne toute dérive, de quelle nature qu'elle soit. Je
vous préviens, messieurs, que les anarchistes ne confondent pas unité et
unicité, et qu'ils ne laisseront pas les trotskistes se déclarer
impunément libertaires !

Pucciarelli nous invente des catégories fumeuses entre " anarchistes
sociaux " et " anarchistes du quotidien ", cela lui permet d'intégrer
dans le mouvement anarchiste les poivrots qui restent dans les " bistrots
après avoir bu quelques verres ", cela lui permet de donner de la
légitimité à des " anarchistes " qui, à force de se pencher sur "
l'imaginaire ", sont devenus des anarchistes imaginaires.

Richard G.




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