par Louis » 17 Déc 2002, 22:14
Retraites
Riposter du tac au tac
Il ne passe plus un jour sans que l'affaire des retraites n'occupe la une de l'actualité. Nous assistons à la chronique d'une bataille annoncée.
Il est très rare qu'un dossier social soit à ce point commenté sous toutes les coutures avant même son cadrage officiel. Depuis dix ans, les retraites constituent l'affaire sociale d'Etat par excellence, dont Rocard avait dit qu'elle pouvait faire sauter plusieurs gouvernements. Rocard avait déjà préparé les esprits en ouvrant de fait le premier grand recul social sur ce sujet : la réforme éclair de Balladur en 1993. Juppé s'est cassé les dents deux ans plus tard sur les régimes de fonctionnaires et sur les régimes spéciaux. Après une nouvelle campagne idéologique sous Jospin (rapport Charpin), une offensive brutale du Medef sur les retraites complémentaires, enrayée provisoirement en janvier 2001, Chirac et Raffarin mobilisent tout l'arsenal de la "gouvernance" publique. Pour enfoncer l'idée que quelque chose de grave et d'inéluctable va se produire : bombardement d'annonces, de petites phrases assassines (Fillon) suivies de démentis (Raffarin), saucissonnage du débat entre régimes publics et privés, promesse qu'on ne touchera rien à la SNCF avant fin 2003, mobilisation de grands principes libéraux, de grands outils démocratiques (référendum), calendrier couperet (30 juin 2003).
Face à cet arsenal médiatique, peu de riposte émerge. Or, il faudrait être en mesure de bâtir une sorte de centre unitaire de riposte politique immédiate, à chaque fois qu'un ministre ou que le Medef ouvre la bouche. Ce centre national de contre-information de qualité, rassemblant le mouvement syndical opposé aux fonds de pension, les réseaux altermondialistes, les associations, les économistes contre la pensée unique est la précondition d'une résistance qui devienne l'affaire de toute la société, une affaire politique.
Par exemple, très rapidement, il est nécessaire de battre l'idée que les agents des fonctions publiques sont des privilégiés. En 1995, la grève des agents publics était apparue comme la "grève de tous", parce que son argumentation était porteuse, quoique que très insuffisamment, d'une dimension sociale générale. Cela peut toujours être le cas aujourd'hui, si la lutte des salariés publics, première cible du gouvernement, englobe une dimension interprofessionnelle solidaire. Selon le dernier baromètre mensuel CSA (Le Monde Initiative, L'Humanité, la Nouvelle vie ouvrière), les retraites ont fait un bond de 10 % dans les préoccupations principales, passant en tête, devant la sécurité. Stéphane Rozès (CSA) commente ainsi l'éventuel alignement des retraites du public sur le privé : "Si derrière cette mesure, l'action du gouvernement était perçue comme une remise en cause d'un certain nombre d'avantages acquis par les salariés, le privé pourrait alors soutenir les mouvements du public." (NVO)
La CGT semble avoir compris l'enjeu d'une bataille d'arguments grand public. Elle a fait connaître une réaction immédiate contre les "sept mensonges" à propos des retraites de la fonction publique. En effet, si la retraite fonction publique est légalement garantie à 75 % du salaire indiciaire des six derniers mois à 60 ans, lorsque la comparaison se fait avec le salaire net et hors primes, le vrai taux de remplacement est légèrement plus faible en moyenne que le privé pour les bas et moyens salaires. En revanche, les retraites privées indexées sur les prix depuis 1993 évoluent de manière catastrophique. Ces constats sont la base possible de plates-formes communes, mettant en avant une logique statutaire de défense des retraites de tous. En commençant par refuser toute dégradation, sur aucun secteur. Ce que se refuse à dire la CGT sur les annuités de cotisation des fonctionnaires, laissant entendre que ce ne serait pas un casus belli. La clarification de cette question est la condition sine qua non d'une plate-forme mobilisatrice. Le privé ne bougera pas plus si le public entérine des reculs avant la lutte.
Dominique Mezzi