Ou comment, après avoir règlé ses comptes personnels par télévision interposée, on vient donner des leçons.
a écrit :A propos des textes mis au vote au congrès de LO
Le numéro de décembre de Lutte de classe, la revue politique de Lutte ouvrière, publie les textes mis au vote à son dernier congrès.
On est étonné de constater à quel point le repliement de LO sur elle-même s'exprime dans ces textes. Ils sont des constats voire des commentaires auxquels le plus souvent nous souscrivons mais il n'y a aucun lien entre l'activité militante, les perspectives politiques et les analyses. Rien n'est pensé du point de vue de l'action collective, l'analyse n'est pas faite du point de vue de la lutte de classe réelle, c'est-à-dire dans l'optique de saisir ce qui, dans les évolutions sociales, économiques, politiques, renforcent ou affaiblissent les travailleurs, quelles transformations des consciences ouvrent un espace pour l'action des révolutionnaires, ou de formuler les perspectives en fonction de ces évolutions… Non, rien de tout cela, LO commente et ne pense ses perspectives que de façon auto-centrée en les considérant uniquement d'un point de vue volontariste.
Cet article ne prétend pas discuter de l'ensemble des questions abordées dans les textes du congrès de LO ni en faire une critique exhaustive mais plus simplement souligner les points significatifs des raisonnements de LO et de la façon dont aujourd'hui elle se définit politiquement
La situation internationale, constat, généralités et référence à soi-même
Le texte sur la situation internationale plante le cadre du raisonnement et de l'optique de la direction. Le regard est tourné vers le passé, la direction est dans une attitude d'auto-justification. Le texte est introduit par une citation du congrès précédent et se termine par la conclusion… du même congrès. Le monde ne bouge que pour confirmer les analyses de la direction de LO : " Les attentats de New York et de Washington, les manœuvres diplomatiques et les opérations militaires qui s'en sont suivies ne constituent pas un tournant dans les relations internationales mais un révélateur. " Mais révélateur de quoi ? Peut-être… d'un tournant dans… Et, de fait, c'est ce que décrit le texte d'un point de vue que l'on partage, mais chut, il ne faut pas le dire… Au détour de quelques phrases, l'auteur se trahit, " malgré la disparition " de l'ennemi soviétique ", le budget militaire américain atteint des sommets qu'il n'avait jamais atteint aux pires moments de " la guerre froide ". Il se serait donc peut-être passé quelque chose, un tournant, une rupture… Mais tout cela ne prouve qu'une chose, c'est que l'impérialisme reste l'impérialisme !
Et de " reprendre cette conclusion ", celle du congrès précédent : " La seule alternative est la renaissance du mouvement ouvrier révolutionnaire ". Certes, nous votons des deux mains, mais quelles sont les évolutions qui rendent possible une telle renaissance, comment y œuvrer concrètement, pratiquement ?
Les réponses ne sont pas simples, en les formulant ou en formulant différentes hypothèses, on prend inévitablement le risque de se tromper et ne pas pouvoir se citer avec autant de certitude au… prochain congrès. Prendre ce risque suppose de garder l'esprit critique vis à vis de soi-même…
Et si nous faisions " le bilan des trente ans écoulés "
Quand la direction de LO aborde la " situation économique ", elle ne cherche pas à établir de lien entre l'évolution économique et les relations internationales, si ce n'est sous l'angle de l'Europe. Elle emploie la même méthode, l'analyse-constat d'un monde fermé dont l'histoire ne serait que répétition.
On est un peu stupéfait de voir l'auteur balayer d'un revers de main l'idée d'une " révolution technologique " en prenant argument de l'effondrement de " la nouvelle économie ". N'est-il pas pourtant, pour un marxiste, assez évident de dissocier les progrès techniques de la façon dont le capitalisme en use ? Au dix-neuvième siècle, les krachs qui ont jalonné le développement des chemins de fer n'ont pas fait de la locomotive l'équivalent de la charrette à bras !
L'auteur est bien obligé de s'interroger sur le bilan " des trente années écoulées ". " Il est à la mode, écrit-il, de donner aux changements intervenus… le nom de " mondialisation ". ". Tout en dénonçant les ambiguïtés du mot, ce que personne ne conteste, il admet qu'il décrit une part de la réalité pour ajouter que cette réalité nouvelle " résulte de l'évolution de l'impérialisme lui-même dont les traits les plus caractéristiques se sont accentués encore depuis le temps où Lénine le décrivait. " La discussion s'arrête là sans discuter de l'importance de ces changements du point de vue du développement du mouvement ouvrier, voire de nouvelles luttes révolutionnaires et des possibilités de transformation de la société.
Pour conclure cependant : " mais les formidables moyens techniques, les formidables moyens de communication et d'échanges modernes à l'échelle de la planète, les formidables possibilités de mise en commun des connaissances, tout cela bute sur l'anachronisme des rapports sociaux. " Y aurait-il donc eu une révolution technologique ?…
" Les fausses évidences "…
Dans le texte sur la situation intérieure, la direction de LO revient longuement sur l'analyse qu'elle fait et des résultats d'Olivier Besancenot et sur le raisonnement qui justifie son sectarisme à notre égard.
Elle part en guerre contre les " fausses évidences " de ceux qui pensent que " le fait que le total des voix des candidats étiquetés à l'extrême-gauche ait dépassé les 10 % " permettrait de penser " que l'extrême gauche pourrait être une force politique capable de peser sur les événements, pour peu qu'elle sache s'unir. " Le raisonnement de ceux, dont nous sommes, qui militent pour l'unité, est pour le moins simplifié à l'extrême. L'unité n'a pas de vertu par elle-même, indépendamment du contenu et des objectifs que se donnent les différents protagonistes. Nous militons pour l'unité sur la base d'un contenu précis, celui du programme d'urgence sociale et démocratique que nous avons, les uns et les autres, défendu durant la campagne des présidentielles dans l'objectif de contribuer à la préparation d'une riposte de l'ensemble du monde du travail.
Pour justifier son préjugé sectaire, l'auteur du rapport enfonce des portes ouvertes, des " fausses évidences ", affirmant que l'électorat d'Arlette et celui d'Olivier ne sont pas les mêmes. Certes, il n'était pas possible de voter pour les deux à la fois, donc, ils sont différents ! Il n'empêche que quand les sondages donnaient Arlette à 10 %, la direction de LO pensait bien que toutes ces voix devaient avoir par delà la diversité des motivations des électeurs un dénominateur commun.
Le fait que ces voix se soient réparties sur principalement deux candidats dans le cours même de la bataille électorale à un sens politique qu'il faut analyser. Olivier Besancenot a permis que s'exprime une vision ouverte, démocratique, unitaire, jeune, de l'extrême gauche alors que la direction de LO enfermait Arlette dans une campagne sectaire et moraliste.
La direction de LO enfonce les portes ouvertes, ce qui est différent n'est pas pareil ! Bravo ! Mais il ne lui reste plus qu'à discuter de ces différences qui lui renvoient une image d'elle-même à laquelle elle devrait réfléchir .
Des perspectives " qui s'excluent mutuellement "
" LO se situe dans la perspective de reconstruire dans ce pays un véritable parti ouvrier révolutionnaire, un nouveau parti communiste. La LCR se situe dans la perspective d'une recomposition à la gauche de la gauche officielle, déconsidérée. Ces deux perspectives ne sont pas seulement différentes, elles s'excluent mutuellement. "
Le choix du verbe exclure a un sens précis. Deux politiques qui s'excluent se combattent, ce qui est contradictoire avec ce que prétend la direction de LO en particulier dans la motion qu'elle a fait voter contre la fraction. Il y a là une contradiction qui résulte de l'évolution de LO qui a pendant des décennies défendu une politique unitaire et opposée au sectarisme et qui aujourd'hui, dépassée par l'histoire, s'isole.
Ceci dit, le raisonnement de LO est purement formel et ambigu.
Un nouveau parti communiste se situera inévitablement… à gauche de la gauche faillie. Il se construira à partir d'éléments en rupture avec la gauche déconsidérée. Quoi que l'on pense de la formule " 100% à gauche ", de son ambiguïté, ou de celle de " à gauche de la gauche ", il ne faudrait pas faire de faux procès en oubliant que jusqu'à preuve du contraire, c'est bien la LCR qui s'appelle Ligue communiste révolutionnaire !
Alors bien sûr, le contenu politique que chacun met à l'idée d'une force nouvelle est l'objet de débat, mais ce débat est celui de l'ensemble de l'extrême-gauche. En effet, une fois que LO a dit vouloir construire un véritable parti ouvrier révolutionnaire, l'adjectif véritable ne définit ni le programme ni la forme, et encore moins une stratégie de construction de ce nouveau parti. Quant à l'expression " nouveau parti communiste " employée pour polémiquer contre la LCR, son usage est pour le moins ambigu. Ce nouveau parti ressemblerait-il à l'ancien ? On nous dira aussitôt que non, bien sûr. En fait, la formule est tout aussi ambiguë que " à gauche de la gauche ". Comme toute formule qui vise à tracer un lien entre l'ancien et le nouveau.
Il ne reste plus qu'à avoir un véritable débat sur nos tâches. C'est ce débat que la direction de LO ne semble pas vouloir.
" Proposer à la classe ouvrière un plan d'action, une stratégie de remobilisation "
Dans le même texte sur la situation intérieure, LO analyse assez justement la politique des grandes confédérations syndicales et en particulier de la CGT, pour conclure qu'elles ne sont en rien " soucieuses d'organiser la résistance de la classe ouvrière aux attaques. "
" Cette réalité, écrit-elle, limite évidemment les possibilités d'intervention de la petite organisation que nous sommes, mais nullement nos possibilités de propagande autour de la nécessité d'une lutte d'ensemble de tous les travailleurs, ni nos possibilités d'agitation pour que les journées de mobilisation ou de grève représentent un encouragement pour les travailleurs, et non pas une source de découragement supplémentaire. Nous n'aurons aucune influence pour une telle mobilisation. Mais convaincre des travailleurs autour de nous sur ce terrain nous permettra de renforcer notre influence politique ." Quel raisonnement étriqué et timoré !
Qu'est-ce que signifie faire de la propagande pour que les mobilisations soient un encouragement ?
Unir les forces de ceux qui défendent la même orientation sur la nécessité d'une riposte d'ensemble ne serait-ce pas le meilleur encouragement ? N'est-ce pas la seule façon de faire ce que les centrales syndicales ne font pas, agir ensemble dans le sens de " proposer à la classe ouvrière un plan d'action, une stratégie de remobilisation. "
Que la LCR et LO affichent leur volonté de s'unir, ne serait-ce que pour essayer d'aider à une riposte d'ensemble, serait de toute évidence un encouragement aux militants du PC, voire du PS, écœurés par la politique de leur parti comme de leur syndicat. Nous pensons pour notre part qu'au moment où le non au référendum d'EDF ouvre une crise dans la CGT, unir nos forces pour affirmer la perspective d'une riposte d'ensemble est indispensable.
Retour sur le vote Chirac
Ceux qui partagent l'analyse de LO sur le plébiscite offert par la gauche à Chirac, auraient aimé que LO discute des conséquences de cette politique qui n'a pas été que celle de la gauche plurielle mais aussi de l'ensemble des confédérations syndicales qui ont réussi à faire partager leurs préjugés réformistes, parlementaires à de larges fractions de l'opinion et de la jeunesse. LO ne discute pas politique, LO accuse et condamne.
On peut ironiser avec mépris, sur " les " manifestations citoyennes " de la jeunesse alors qu'elles rappelaient souvent celles du " Mondial " de football de 1998 ", mais ce jugement de vieux ne répond pas aux préoccupations des jeunes.
Au lieu de juger, de condamner, voire de mépriser, il vaudrait mieux discuter au moment où de nombreux travailleurs et jeunes comprennent qu'ils se sont trompés.
Il faut expliquer le lien entre la force du gouvernement et le vote Chirac, une force qui ne lui vient pas du Parlement et des députés UMP, mais bien du ralliement politique du PS, du PC, des Verts comme des syndicats, ralliement qui laisse sans armes les salariés et la jeunesse.
Notre problème n'est pas de juger mais de convaincre, d'accepter de faire l'expérience avec les autres sans abdiquer de nos positions justement pour pouvoir expliquer, convaincre et entraîner.
Mais pour cela, il faut avoir une politique, or LO n'en n'a pas.
Peut-on, en effet, appeler une politique l'objectif de " transmettre les idées communistes dont nous sommes les dépositaires " ?
Les idées du communisme ne sont pas un dogme laissé en dépôt mais les idées de la lutte pour l'émancipation. Elles ne se transmettent pas, elle vivent à travers les luttes d'émancipation, se pensent et se reformulent dans ces luttes qui naissent des transformations en cours et des crises qu'elles provoquent.
Les idées du communisme, c'est la vie, c'est la jeunesse.
Une minorité prisonnière de la politique de sa majorité
La lecture du texte de la minorité apporte comme une bouffée d'air bienvenue. " Notre orientation dans la période, écrivent nos camarades, est de faire campagne pour ce mouvement d'ensemble sur ces revendications d'ensemble. " On souscrit, tout en regrettant que ces propositions ne s'adressent pas prioritairement à l'extrême-gauche. Un des avantages d'une telle campagne, écrit la minorité, serait " de faire émaner de l'extrême gauche en direction du PCF d'autres propositions que celles de la LCR… "
Et de renchérir : " Les objectifs actuels affichés de la LCR et de LO s'excluent en effet mutuellement. " Et ensuite on apprend que la direction de LO a fait l'erreur de laisser la Ligue se renforcer : " Olivier Besancenot s'est fait un nom et une popularité en emportant des voix qui serait allées pour une grande part sur le nom d'Arlette aguiller s'il y avait eu une candidature commune. " Voilà qui a le mérite d'être clair. La minorité semble surtout reprocher à la majorité ses illusions sur " notre supériorité sur la LCR qui a amené la direction de LO à repousser avec mépris ses propositions ".
Ces lignes lui valent le vote d'une remontrance par la majorité publiée en note au texte de la minorité. Elle est accusée de " mensonge et hypocrisie ". Curieuse méthode de discussion !
La minorité souligne cependant le trait en écrivant : " à supposer que la LCR réussisse dans son entreprise […] un tel parti serait un obstacle dans la voie de la construction du parti communiste révolutionnaire. "
Critiquer notre organisation sur ses ambiguïtés est tout à fait légitime. Autre chose est de présenter sa politique, ou son succès, comme un obstacle à la construction d'un parti révolutionnaire. Les chemins de la radicalisation sont complexes et la vraie audace révolutionnaire est d'être capable d'intégrer dans sa propre politique différentes possibilités au lieu de se délimiter de façon sectaire.
La minorité de LO oscille autour d'un axe défini par sa majorité sans s'en émanciper. Après dix ans d'existence, elle n'a pas su formuler une autre politique que celle de sa majorité parce qu'elle ne peut dépasser son horizon politique. Pourtant, c'est bien de cela dont il s'agit.
Unanimité et moralisme ou unité démocratique et révolutionnaire
La minorité est prisonnière du même type de raisonnement que sa majorité, celle d'une organisation gauchiste qui se définit contre les autres de façon sectaire sans trouver les moyens de formuler une politique, une stratégie pour construire un nouveau parti, ce que LO dans le passé a su faire.
La minorité ne se dégage pas de sa majorité, elle-même prisonnière de son passé, qui se referme lentement sur elle. La direction de LO s'enferme dans son repliement que laissait augurer l'exclusion des militants qui ont fondé ensuite la tendance Voix des travailleurs et qui aujourd'hui militent au sein de la LCR. Elle arrive au terme de ses potentialités dynamiques quand elle représentait une politique originale tournée vers la classe ouvrière et prétendant rompre avec le gauchisme et le sectarisme.
L'unanimisme et le moralisme étouffent tout dynamisme en son sein au moment où la renaissance d'un mouvement ouvrier révolutionnaire passe par un regroupement démocratique, la constitution d'un cadre qui permettrait aux différentes politiques de se confronter en toute solidarité tout en permettant à ceux qui rompent avec le social-libéralisme et le réformisme de militer ensemble tout en faisant leur propre expérience.
LO comme toute l'extrême gauche ne pourra échapper aux transformations en cours. Nous souhaitons partout où cela est possible susciter le débat, mettre en œuvre une politique unitaire, aider au dépassement des clivages sectaires.