a écrit :Fadela Amara: «Le communautarisme favorise l'oppression des femmes»
La présidente de l'association «Ni putes, ni soumises» était, mardi 8 mars, l'invitée de Libération.fr, à l'occasion de la Journée de la femme.
mercredi 09 mars 2005 (Liberation.fr - 12:00)
pierre: Quels sont pour vous les grands chantiers de cette vingt-neuvième journée de la femme ?
En priorité, des actions qui permettent les prises de consciences pour faire évoluer les mentalités. La deuxième action prioritaire c'est de répondre à l'immense besoin d'hébergement d'urgence pour les femmes victimes de violences, quel que soit le type de violence. Il y a pénurie, toutes les organisations qui travaillent sur cette thématique le disent. En même temps, il faut développer des lieux d'accueil pour les hommes acteurs de violence.
morad: Vous avez déclaré dans «Libé» : «Moi, fille d'immigrés, je devrais proclamer que je suis une colonisée, ici et maintenant, dans ma cité en mars 2005.»
ça c'est en réponse à l'appel de la République indigène : je trouve scandaleux qu'on me lie ou qu'on pense de moi que je suis traitée ici dans la République laïque, en France, en 2005, comme une indigène. A l'époque des colonies, les indigènes n'avaient pas le droit de vote, n'étaient pas considérés comme citoyens, ce n'est pas le cas aujourd`hui. Il y a aujourd'hui des problèmes dans cette République en termes de fonctionnement, notamment en ce qui concerne les discriminations, mais nous avons tous la possibilité en tant que citoyens, parce que nous sommes dans un Etat de droit, de nous défendre en utlisant le dispositif légistatif, et en exigeant de cette République que l'égalité des droits s'applique à tout le monde quelles que soient nos origines. Ce qui n'était pas le cas de mon père, quand l'Algérie était un département français. Ce que je veux dire c'est que je suis actrice de ma vie, et non pas passive, on a des possibilité de se défendre. Par ailleurs, dans cet appel-là ce qui me scandalise aussi c'est que les familles françaises de souche, les «petits Benoît» ou les «petites Christine» ont complètement disparu. Alors qu'ils habitent les quartiers en difficulté comme nous. Ils vivent exactement les mêmes souffrances, ils peuvent être discriminés comme Mohammed et Fatoumata, même si évidemment, la pratique de la discrimination est plus importante sur des gens issus de l'immigration.
malik : Pensez-vous qu'en stigmatisant une minorité des cités à problèmes, en alimentant les peurs, à une époque où la peur pousse les français de toutes confessions au communautarisme et en excusant les propos orduriers sur l'islam d'un des membres du haut comité à l'intégration, vous faites avancer le débat et apportez un peu d'optimisme à la société française.
Je crois qu'en pointant du doigt ce qui ne va pas dans nos quartiers en difficulté, notamment en dénonçant la présence des islamistes, mais aussi malheureusement les petits caïds avec le fonctionnement de la loi des cités, c'est permettre à la grande majorité des gens qui habitent ces quartiers-là, de prendre la parole et de s'exprimer. Pointer du doigt l'existence de groupes de pression, notamment des islamistes, c'est important justement, à la fois pour le débat franco-français et aussi pour le débat international, pour que l'opinion publique en générale, ne fasse pas l'amalgame entre l'islam en tant que foi et religion, et l'intégrisme religieux islamique, en tant que projet politique. C'est d'ailleurs pour ça que je dis souvent que je suis musulmane mais laïque.
AFdenver : bonjour, je suis prof à l'alliance Française de Denver et j'ai fait un cours de 3 heures sur votre mouvement. Les élèves americaines avaient du mal à imaginer la situation en France. Pensez-vous que la
France essaye de cacher la réelle urgence des femmes des quartiers ?
A mon avis, avant de parler de la France, il faudrait que les Américains parlent de la situations des femmes blacks américaines. Ce que nous vivons actuellement en France, les femmes issues de la communauté black aux Etats-Unis l'ont vécu il y a vingt ans. Je crois que le fonctionnement communautariste favorise l'oppression des femmes. C'est pour ça que je ne suis pas d'accord avec le modèle anglo-saxon. Et qu'un modèle comme celui que porte la France, dans le cadre d'une République laïque, favorise l'émancipation des individus et protège les femmes. Le problème que nous avons en France, avant tout, est un problème d'exclusion sociale qui touche une catégorie de population, particulièrement celle qui est issue de l'immigration.
lin : Comment expliquez vous, vous la fille d'immigré, cette montée du communautarisme ?
Je dirais que trois paramètres l'expliquent. Le premier paramètre c'est les mauvaises politiques qui ont été mises en place depuis plus de trente ans. Le deuxième paramètre, c'est le chômage de masse qui existe dans notre pays et qui touche les populations les plus fragiles. Notamment les immigrés ou ceux qui en sont issus et y compris les femmes. Le troisième paramètre c'est l'émergence des groupuscules islamistes, ce qu'on a appellé dans les années 90, ce qu'on appelle communément l'islam des caves. Ensuite justement, c'est la mauvaise volonté des gouvernements qui se sont succédés pour mener des vraies politiques d'intégration et qui instrumentalisent une petite partie de notre jeunesse à des fins politiques.
siam : Quels sont les mouvements de l'extrême gauche française dont vous vous sentez proche ?
Très facilement proche de Lutte ouvrière, qui avec Arlette Laguiller à sa tête a toujours été claire sur la laïcité, sur la question de l'égalité des droits pour les femmes, quelles que soient leurs origines. Pour le reste, je regrette qu'au nom du relativisme culturel, même si je suis pour la diversité, en tant que fille d'immigré, certaines acceptent et tolèrent dans notre pays, des traditions archaïques qui oppriment des femmes. Leur discours s'accompagnent d'une analyse politique, doublée d'une alliance politique avec les islamistes au nom d'une pseudo révolution contre l'impéralisme américain.
boum : Pourquoi n'y a-t-il plus un mouvement international de la condition de la femme ?
C'est une excellente question ! C'est pour ça d'ailleurs que le mouvement Ni putes ni soumises, s'inscrit dans une démarche internationale. Nous considérons que la liberté et l'égalité c'est pour toutes les femmes, quel que soit le pays où elles vivent, quelles que soient leurs origines. Je considère que le combat féministe aujourd'hui, ici et ailleurs, est un facteur de démocratie et de liberté.
morad : Pensez-vous qu'avec un nom aussi provocant, vous pouvez rallier un large public ?
Ecoutez, je crois que l'expérience, ça fait deux ans qu'on existe, prouve qu'«on râtisse très large». Les gens qui nous soutiennent appartiennent à différentes classes sociales, sont de tous les âges et des deux sexes, de tous les milieux. Si on a choisi ce slogan, c'était justement parce qu'il fallait donner un grand coup de pied dans la fourmilière, il fallait briser l'omerta.
Anna : Je suis une femme de gauche, antisioniste mais de confession juive... Tout pour plaire ! NPNS a-t-il une position sur le mélange (volontaire?) qui est aujourd'hui fait par les association islamistes entre «sionistes» et «juifs», notamment au cours de manifestations féministes ?
Nous nous sommes signataire du Pacte de Genève. Nous considérons qu'il est important aujourd'hui dans le processus de paix au Moyen Orient, parce qu'il existe deux peuples, qu'il y ait deux Etats. Nous savons pertinement que dans le discours des islamistes, malheureusement dans certaines cités, il asseoie idéologiquement l'antisémitisme. Mais je considère que rien ne naît de rien, que si nous avions été capables d'éradiquer l'antisémitisme «blanc» , il n'y a pas si longtemps, aujourd'hui, on n'en parlerait plus.
morad : Vous dites certains politiques instrumentalisent une petite partie de la jeunesse ? De quels politiques s'agit-il ? Et de quels jeunes s'agit-il ?!!!
Ceux qui instrumentalisent politiquement certains jeunes dans nos cités, ce sont d'abord les islamistes, y compris certains partis politiques officiels, qui pour des raisons électoraliste ont une complaisance à l'égard des islamistes.
haqq : Comment pouvez-vous affirmer être musulmane et en même temps partager des idées de partis chez qui la religion est l'une des raisons de tous les maux de l'humanité ??
C'est parce que je suis profondément démocrate et profondément laïque, que je peux parler avec tout le monde. Pour moi la liberté de conscience est une liberté fondamentale, de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, et ma tolérance s'arrête quand on instrumentalise la liberté de conscience pour asseoir l'obscurantisme. C'est pour défendre le concept du vivre ensemble, que je défends la laïcité.
siam : Pensez-vous qu'une tendance du mouvement féministe a rejoint les thèses de Ramadan sur la femme musulmane moderne ?
Je pense que c'est plus complexe que ça. Je ne partage pas l'idéologie de Tarik Ramadan, même si je considère qu'il a une manière très intelligente d'aborder les choses et qu'il brosse dans le sens du poil, des jeunes notamment, qui sont à la recherche de respectabilité et de dignité. C'est parce qu'il a eu cette intelligence-là, que certaines organisations se sont laissé piégér, y compris certaines féministes. Et je crois qu'aujourd'hui le voile a été levé, une clarification a été faite, et ceux qui persistent sont ceux qui sont dans une analyse politique dangereuse. Je crois que nous devons être très ferme, mais surtout très solidaire avec le combat des femmes dans les pays musulmans, pour leur émancipation, et aider les forces progressistes pour réussir l'égalité. Je considère aujourd'hui que la France et l'Europe seront en contradiction si au nom du relativisme culturel, elles continuent à tolérer des traditions archaïques, alors que dans les pays d'origine, des hommes et des femmes se battent pour la liberté et l'égalité, dans un contexte par ailleurs beaucoup plus dangereux qu'ici, exemple l'Algérie.