Rouge rapporte semaine, après semaine le succés régulier de réunions tenues aux quatres coins du pays.
La presse s'en fait l'écho.
Vendredi dernier se tenait un meeting à Paris.
a écrit :"Le prolétariat, c'est 85 % de la population"
Extrême gauche. Vu et entendu dans un meeting de la LCR.
Valentin Goux, le 06-06-2008
Alors qu’Olivier Besancenot s’apprête à lancer son nouveau parti anticapitaliste, la LCR a réuni ses fidèles à la Mutualité à l’occasion des 40 ans de Mai 68.
Vendredi 30 mai, 20 h 10, palais de la Mutualité à Paris. La Ligue communiste révolutionnaire tient son “meeting internationaliste”. Tous les médias nationaux sont présents, et les haies de caméra attendent l’arrivée de Besancenot, le trotskiste people, amis des stars du rap et admirateur du Che. La foule qui remplit l’amphithéâtre est un condensé de la société française : quelques vieux ouvriers moustachus, des jeunes babas cool, mais aussi beaucoup de quinquas en costume et, plus étonnant, un nombre important de jeunes trentenaires propres sur eux, portant cheveux courts, chemise et veste en velours, dans un style très universitaire.
Un petit groupe s’installe à la tribune. Au centre : Olivier Besancenot, qui arbore un tee-shirt de soutien aux sans-papiers. À ses côtés, se tiennent Alain Krivine, fondateur historique de la LCR, et Daniel Bensaïd, le théoricien de la Ligue. La salle applaudit un court instant alors que Krivine s’avance vers le micro dans son éternel costume sombre, sans cravate. C’est l’heure du refrain sur les sociaux-traîtres, ceux « qui ont renoncé, qui sont passés de l’autre côté ». Lui n’est pas là pour fêter Mai 68, mais pour continuer la lutte. Tous le répéteront au cours de cette soirée. Une soirée « de combattants, de futurs combattants » selon Krivine. S’il n’est pas là pour célébrer, le dinosaure de l’extrême gauche enchaîne néanmoins les poncifs sur ces « trois semaines de liberté ». Il se prend même à rêver : « Quand tout le monde se mobilise, un ouvrier peut devenir peintre, un étudiant chanteur et un agriculteur poète. »
C’est ensuite au tour de Daniel Bensaïd de prendre la parole, dans le rôle de l’ancien combattant. Tout y passe, et Bensaïd accuse Mitterrand, ce « politicien bourgeois », d’avoir voulu confisquer la révolte populaire, avant d’affirmer que le Grand Soir aurait pu arriver entre le 27 et le 30 mai 1968… très précisément. Le vieux gourou s’éternise, multiplie les citations, ennuie la salle. Il se perd dans les “si”, revisite l’histoire, essaye de se convaincre lui-même que « quelque chose était possible ». Mais il s’abstient prudemment de citer Engels : « Quand l’histoire se répète, c’est toujours une comédie. »
Boguslaw Zletec, du Parti polonais du travail, monte à son tour à la tribune, auréolé des victoires récentes des mineurs en grève de Budryk. « Je suis venu de Pologne pour vous raconter ce qui s’y passe, mais aussi parce que Sarkozy y arrivait. L’ambiance était horrible, je ne sais pas comment vous pouvez le supporter au quotidien. » Toute la salle éclate de rire et applaudit à tout rompre. On imagine tout de même mal la situation inverse : Besancenot en Pologne, injuriant le président Kaczynski en public. Il poursuit. « Le premier ouvrier candidat à la présidentielle polonaise est mort dans d’étranges circonstances, un peu avant le scrutin, et c’est pour cela que j’ai été très heureux de rencontrer aujourd’hui votre candidat. » Regards amusés de quelques initiés. Personne n’a dû avertir le brave syndicaliste qu’Olivier Besancenot n’a rien d’un ouvrier, qu’il est fils d’un professeur et d’une psychologue et lui-même titulaire d’une licence d’histoire. Myriam Martin, membre du bureau politique de la LCR, prend maintenant le micro, donnant un ton nettement plus nerveux à la soirée. La jeune femme s’emporte, se revendique de « la révolte des jeunes en 2005 », affirme que « Mai 68 fait peur ».
Radicale, la jeune garde trotskiste ringardise les anciens
En brandissant le poing, elle fait le tour des “injustices” perpétrées par nos gouvernements successifs, dénonce la Françafrique. « N’oublions pas notre politique impérialiste en Afrique et en Kanakie [Nouvelle-Calédonie], où on emprisonne nos camarades de l’USTKE [Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités]. » Plus démonstrative que ses aînés, plus en colère aussi, elle enchaîne les appels à la lutte. « On doit se battre au côté des ouvriers quand ils occupent leurs usines et même quand ils retiennent leurs patrons. » Ses phrases sont rythmées par les salves d’applaudissements. La Pasionaria poursuit : « Sarkozy et ses copains se plient en quatre pour plaire à Parisot et au Medef. On travaillera bientôt 48 heures, comme avant 1919. » Il y en a pour tous les goûts : régularisation des sans-papiers, « abrogation de toutes les lois racistes » et discours féministe. Assis à côté d’un des grands poteaux qui supportent la tribune, deux hommes détournent le regard, un peu honteux, lorsque la harangueuse aborde la question des tâches ménagères, trop souvent effectuées par les femmes.
C’est ensuite au tour de Flavia D’Angeli, dirigeante du parti italien Sinistra Critica, de s’exprimer. La petite femme commence son discours par un trait d’humour. « Nous avons de nouveau Berlusconi. C’est un peu la revanche d’Astérix : ils sont fous ces Italiens. » Le public en poche, elle se lance ensuite dans une diatribe contre le pape, « qui impose encore à l’Italie une politique familiale qui opprime les femmes ». Elle s’emporte en évoquant le problème napolitain, la Camorra et ses « poubelles de merdes ». Puis elle se fait sombre, presque amère d’avoir fait rire la salle : « Je fais un peu rigoler les gens, mais la situation est vraiment difficile. » Elle quitte la tribune, remplacée par Francisco Louçã, député du bloc de gauche portugais, qui évoque rapidement une « haine de la droite pour Mai 68 », qui ne « cesse de le surprendre ». Une phrase plus tard, il parle carrément de « cette haine du passé » ! Étrange propos de la part d’un député communiste qui a pu chanter cette phrase de l’Internationale : « Du passé, faisons table rase. »
Dans l’entrée, des étals proposent une Histoire de la révolution russe, par Trotski. Plus loin, un stand des Jeunesses communistes révolutionnaires distribue tracts et prospectus appelant à des grandes manifestations ou au soutien des sans-papiers. De nombreux lycéens restent pourtant dehors, plus intéressés par leurs cigarettes que par les discours intellectualisant, malgré leurs tee-shirts à l’effigie de Ho Chí Minh ou les étoiles rouges qu’ils arborent sur leurs blousons en cuir.
Il est 22 heures quand Olivier Besancenot prend finalement la parole. Le jeune loup médiatique de la LCR prend garde à rendre hommage à ses aînés et à leurs combats avant d’expliquer le sien : la création du nouveau parti anticapitaliste qui succédera à la LCR, en rassemblant des militants associatifs et les déçus de la gauche française. « Notre courant politique est né avec Mai 68 », affirme-t-il avant de glorifier les porteurs de valises du FLN. Brillant tribun, il n’hésite pas à utiliser l’histoire afin de servir son discours. Ainsi transforme-t-il le combat de Solidarnosc en Pologne dans les années 1980, en le réduisant à « des luttes ouvrières qui voulaient rendre au socialisme son visage humain ». Besancenot prend bien garde à ne pas utiliser le mot “communiste” lorsqu’il glorifie un combat qui s’est mené contre cette idéologie. Après avoir passé en revue les luttes de ses aînés, le porte-parole de la LCR affirme enfin que « le cycle historique qui s’est ouvert avec la révolution russe s’est terminé en 1989 ». Il faut donc le dépasser mais « sans oublier cet héritage ».
Pour justifier la création de son nouveau parti, que beaucoup au sein de la LCR appellent le parti d’Olivier, Besancenot réinvente complètement la lutte des classes. « Pour Marx, le prolétariat, c’est tous ceux qui ont besoin de travailler, d’avoir une fiche de paye. Aujourd’hui, c’est donc 85 % des gens. » Ainsi, en jouant avec les mots, le porte-parole de la LCR élargit la notion de prolétariat. Le petit-bourgeois diplômé d’histoire a bien compris que s’appuyer seulement sur les ouvriers avait mené les autres partis d’extrême gauche à l’extinction.