
L'épouse d'une victime raconte la marche vers la mort de son mari et accuse Renault.

(20min @ 19 mars 2007 a écrit :
«Nous vivons une douleur extrême mais l'entreprise s'en fout»
Sylvie est la veuve d'Antonio, qui s'est suicidé fin 2006. Elle raconte son calvaire à 20 Minutes.
« Nous étions mariés depuis dix-huit ans. J'aimais Antonio. Il m'aimait. Il était très beau, d'une extrême gentillesse, pas du tout dépressif. Cela faisait quatorze ans qu'il travaillait chez Renault comme ingénieur, il était très fier de son entreprise et faisait une bonne carrière. Les choses ont commencé à se dégrader un an avant sa mort, quand il a eu une nouvelle chef. Est-ce sa faute à elle ? La faute du système de management ? Sûrement les deux. Sinon, il n'y aurait pas autant de suicides au technocentre.Dès le départ, il disait qu'elle ne lui faisait pas confiance, qu'elle ne lui pardonnerait rien. En juillet, on lui a annoncé qu'il devrait sûrement partir en Roumanie en 2007. Après des missions au Brésil, je trouvais ça très dur pour notre vie de famille. Il ne voulait pas y aller mais avait peur que ça passe pour un manque d'engagement. Il doutait, racontait qu'il s'était fait engueuler en public.A la maison, Antonio ne parlait plus que de travail. Ça comptait énormément pour lui car il venait d'une famille très modeste où le travail était vu comme le moyen de s'en sortir. Et puis en septembre, ça s'est vraiment aggravé : il travaillait tous les soirs, le week-end, dormait deux heures, se levait la nuit, anxieux, pour recommencer un travail qu'il avait déjà fait. Il disait qu'il était nul et j'imagine qu'on le lui disait. Ils l'ont détruit, broyé. Il a vu deux médecins. Sans résultat. Début octobre, il s'est confié à un responsable des ressources humaines qui lui a proposé un poste... d'ingénieur débutant. On s'est disputé car je voulais qu'il accepte. Mais pour lui, c'était humiliant. Cela aurait été donner raison à sa chef. Le matin de son suicide, il était épuisé. Il tremblait. Je pensais qu'il allait avoir un accident sur la route et j'ai voulu l'empêcher d'y aller. Il m'a dit qu'il avait une réunion très importante à 8 heures. Je n'ai pas pu le retenir. A 10 h, quelqu'un l'a vu faire les cent pas. Puis il s'est jeté dans le vide, du haut du bâtiment. Mais moi, je ne l'ai appris qu'à 13 h 20 de la bouche d'un lieutenant de police qui m'a dit que, chez Renault, personne n'avait eu l'humanité et le courage de m'appeler.Cinq jours après sa mort, j'ai su que la direction disait que mon mari s'était suicidé parce qu'il avait des problèmes de couple. C'était ignoble. Depuis, en cinq mois, une seule personne de chez Renault m'a contactée, pour les papiers administratifs. J'ai reçu quatre lignes de condoléances. Mais on ne m'a jamais demandé si j'allais bien, si mon fils allait bien. Seule la CGT m'a soutenue.Après sa mort, Renault m'a refusé l'accès aux affaires de mon mari, prétendument sous scellés. Mais mon fils, qui a onze ans, me réclamait des dessins qu'il avait offerts à son père. J'ai appelé le commissariat, on m'a répondu qu'il n'y avait jamais eu de scellés. Quand j'ai récupéré les affaires, elles avaient été triées. Et toutes les données de son agenda électronique, effacées. Est-ce qu'ils voulaient éviter qu'on sache qui avait participé à la réunion ? Puis, ils ont refusé qu'une enquête indépendante soit menée. Comme ils ont refusé d'assumer leur part de responsabilité. Moi, j'assume la mienne : celle de ne pas avoir su l'aider dans cette période terrible. Aujourd'hui, nous vivons une douleur extrême, mais Renault s'en fout. Ils disent vouloir remettre l'humain au centre de l'entreprise. Très bien. Mais alors pourquoi ne veulent-ils pas reconnaître que c'est un accident du travail ? Pour leur image ? Pour du fric ? Je n'en veux pas de leur argent. Mais je vais me battre puisque Renault a déclaré la guerre aux familles de victime. »
Recueilli par Michaël Hajdenberg


