Manifestants et casseurs

Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité politique en France

Message par Matrok » 19 Oct 2010, 17:34

Je poste ci-dessous un reportage paru dans Libé Lyon. Je n'étais pas à la manif aujourd'hui : mes collègues de labo ne sont pas en grève, ce qui est compréhensible au moins pour les étrangers, et j'avais certaines obligations professionelles vis-à-vis de certains d'entre eux... Je n'ai donc rien vu de ce que cet article décrit, mais comme je sais que pas mal de lyonnais fréquentent ce forum certains auront peut-être des témoignages. Et même si vous n'êtes pas du Rhône, vous avez peut-être un témoignage ou un commentaire sur ces évènements ou ceux similaires par exemple en région parisienne.

a écrit :Il est 11 heures du matin. La rue de la République, artère principale du centre de Lyon, semble avoir été ravagée par le passage de Godzilla. Les voitures sont retournées comme si elles étaient tombées du ciel. Les poubelles brûlent. Les abribus et les vitrines ont été éclatés par des jets de pierre. Un camion est couché sur son flanc. Plus loin, des boutiques sont pillées. En fait de Godzilla, un millier de lycéens et de collégiens ont envahi le centre ville en fin de matinée. Ils n'ont pas de banderoles, pas de slogans. Juste des cris, se résumant à un appel groupé à la sodomie du président de la République. Et des gestes, ruades par groupes et jets de projectiles sur tout ce qui se casse. Certains posent à côté des voitures renversées tandis que leurs copains les filment avec leurs portables. Ils n'ont pas l'intention de rejoindre le cortège syndical qui part au même moment de l'autre bout de Lyon. Parmi ceux que nous avons interrogés, certains ignorent même qu'il y avait aujourd'hui une journée de mobilisation nationale…
Pendant ce temps, dans le 8è arrondissement de Lyon, la manifestation officielle s'élance tranquillement. Chacun est rangé derrière sa banderole syndicale ou professionnelle. La CFDT, comme toujours, a prévu un orchestre rock. Autour, les gens dansent. Les élus PS défilent une rose à la main. Aux abords du cortège, le service d'ordre de la CGT veille. Il y a peu de lycéens. Au milieu, le lycée de Givors (banlieue sud de Lyon), pour qui la municipalité communiste avait affrêté un bus et prévu un encadrement. Derrière la banderole "lycée du Parc", chic lycée du 6è arrondissement de Lyon, il n'y a que des profs. Le gros des jeunes troupes est en tête du cortège.

Seules quelques voitures retournées ci et là le long du parcours donnent la température de ce qui se passe en dehors de la manifestation. Les manifestants s'en désolent. Marie-Christine, enseignante et militante CFDT, s'inquiète de ce qui se passe avec les lycéens. "C'est terrible, mais c'était prévisible. On a tous les ingrédients pour que ça pète. Et le gouvernement le savait. Il y a une part d'irresponsabilité". Marc, un travailleur social, n'arrive pas bien à savoir si le mouvement est en train "de dégénérer ou de se régénérer". Mais il sait que ce qui se passe "dépasse le débat sur la réforme des retraites" et dénonce "l'arrogance du gouvernement".

Le cortège officiel est arrivé place Bellecour peu après midi. Il s'est télescopé avec les groupes de jeunes qui venaient d'écumer la rue de la République. Et avec les escadrons de CRS. Confusion de jets de pierres, de slogans et gaz lacrymogènes. Vers 14 heures, la police essayait toujours de faire évacuer une place enfumée. Les yeux piquants, des militants  CGT tentaient de maintenir leur buvette. Des jeunes nez sous leurs foulards continuaient à se chercher avec les forces de l'ordre. Le centre ville de Lyon ne comptait plus guère de commerces ouverts. Gérard Collomb, le maire socialiste, en voyage depuis quelques jours en Asie, fait savoir qu'au vu de la situation, il rentrait dans ses pénates. Il retrouvera les abords de son hôtel de ville un peu en bazar.

Alice Géraud et Anne-Caroline Jambaud

Précisions à l'attention de nos lecteurs-commentateurs incrédules :

- Nous étions bien sur place, Alice Géraud dans le centre presqu'île, et Anne-Caroline Jambaud, dans le cortège officiel.

- Effectivement la moitié nord de la rue de la République est bien ouverte à la circulation et nous avons pu constater sur place les voitures renversées tout au long de cette partie. Ces voitures ont été ramassées peu avant midi par un camion à étage transporteur de véhicules.

- Il y a effectivement aussi eu des vitrines cassées et d'autres dégâts rue Victor Hugo, au sud de la place Bellecour mais nous ne pouvions y accéder à ce moment-là. Ce qui explique que nous les ayons pas mentionné ce midi.

- Il y avait bien des tirs de lacrymogènes place Bellecour (comme l'indique la photo ci-dessus prise aux alentours de midi). Plusieurs personnes ont d'ailleurs dû être prises en charge par les pompiers à cause des émanations irritantes. Il y a eu ensuite d'autres tirs de gaz lacrymogènes plus haut rue de la République.
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Message par ianovka » 19 Oct 2010, 20:29

Oui, ça correspond bien à ce que j'ai pu voir et entendre.
Je n'ai pas vu les rues commerçantes, donc ni les voitures et vitrines vandalisées, mais quelqu'un m'a dit avoir vu un groupe retourner une voiture alors qu'il se rendait à la manif.
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Message par ianovka » 19 Oct 2010, 20:34

Juste une chose de fausse : "Il y a peu de lycéens."

Il y en avait quelques milliers dans le cortège de la GCT.
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Message par Matrok » 20 Oct 2010, 10:49

Il semblerait que ça recommence aujourd'hui : d'après une brève sur le site de Libé à 11h00, "De nouveaux incidents éclatent dans le centre de Lyon, où un véhicule était en feu et un très important déploiement de forces de l’ordre a été mis en place." Qu'on le veuille ou non les médias associent ces évènements au mouvement contre la réforme des retraites, ce qui permet à Hortefeux de pérorer sur les "voyous" qu'il faudrait arrêter. Il me semble qu'il y a clairement un risque de pourissement rapide du mouvement. Est-ce qu'on peut faire quelque chose, et quoi, pour canaliser cette révolte des jeunes avant qu'elle serve complètement Sarkozy et compagnie ?
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Message par quijote » 20 Oct 2010, 11:39

(Matrok @ mercredi 20 octobre 2010 à 11:49 a écrit : Il semblerait que ça recommence aujourd'hui : d'après une brève sur le site de Libé à 11h00, "De nouveaux incidents éclatent dans le centre de Lyon, où un véhicule était en feu et un très important déploiement de forces de l’ordre a été mis en place." Qu'on le veuille ou non les médias associent ces évènements au mouvement contre la réforme des retraites, ce qui permet à Hortefeux de pérorer sur les "voyous" qu'il faudrait arrêter. Il me semble qu'il y a clairement un risque de pourissement rapide du mouvement. Est-ce qu'on peut faire quelque chose, et quoi, pour canaliser cette révolte des jeunes avant qu'elle serve complètement Sarkozy et compagnie ?
ce qu'il faut faire ? d 'abord , je me demande dans quelle mesure ces groupes ne sont pas plus ou moins manipulés par la police . ce ne serait pas la première fois ;Ce qu'il faut faire ? d 'abord , si on a une certaine influence , si on est prof par exemple bien mettre en garde ses élèves .. leur dire qu'il faut éviter de se laisser entraîner par ces éléments qui peuvent se glisser dans les manifs .. toujours rester groupés .. Et surtout se démarquer nettement de ces "casseurs" .. dire que leur projet n ' a rien à voir : ce sont des vandales , des voleurs , ils font partie des couches les moins conscientes , le lumpen prolétariat , le dire tout haut , sans complexe , mais sans faire ce qu'a fait la CGT , coopérer avec les forces de police pour les neutraliser . C'est à nous à faire le ménage dans nos rangs .
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Message par ianovka » 20 Oct 2010, 14:44

(Matrok @ mercredi 20 octobre 2010 à 11:49 a écrit : Il me semble qu'il y a clairement un risque de pourrissement rapide du mouvement. Est-ce qu'on peut faire quelque chose, et quoi, pour canaliser cette révolte des jeunes avant qu'elle serve complètement Sarkozy et compagnie ?

Oui, il y a effectivement un risque de pourrissement, et même un risque important d'éloigner des travailleurs et des jeunes de la mobilisation.
Drôle d'ambiance, gros silence quand le cortège passait devant les voitures vandalisées.
Les lycéens les plus conscients semblaient un peu perdus face à ça, ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas inciter à la réflexion face à cette violence.

Mais alors que faire ? En tous cas à Lyon hier je ne vois pas ce qui pouvait être fait, tout c'est déroulé bien loin du cortège. Sauf à l'arrivée, ce qui a entrainé une dispersion encore plus rapide que d'habitude (même les buvettes de la CGT ont mis les voiles, noyées sous les fumigènes).
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Message par luc marchauciel » 20 Oct 2010, 21:38

Il y a quelques années, j'avais participé à la direction du SO des manifs lors d'un mouvement lycéen / étudiants. Il y avait eu un manif un peu chaude à gérer, parce que la préfecture voulait nous interdire le passage par les rues piétonnes et commerçantes du centre-ville pour des raisons de sécurité. On avait annoncé qu'on passerait quand même... mais il fallait assurer question sécu.
On avait convoqué en AG d'avant manif des représentants de tous les bahuts, et on les a briefés sur l'organisation de la manif qu'on voulait (ce qui les a rassurés) On a fait manifester tout le monde par établissement, et chaque établissement avait marché en cortège fermé par des chaînes humaines. Avec les orgas, on avait monté des SO mobiles qui circulaient entre les cortèges et qui se positionnaient en avance là où il pouvait y avoir des problèmes (on avait par exemple fermé par nos chaînes humaines l'entrée du centre commercial le temps que la manif passe). Les types qui étaient manifestement là pour casser n'avaient en gros pas eu le moyen de le faire (mais c'était une petite échelle par rapport à ce qui se passe à Lyon, évidemment)
C'était une victoire politique pour le mouvement, et la presse régionale avait loué notre organisation, ce qui avait contribué à légitimer les manifs au yeux du lecteur moyen (c'est à dire plein de gens)
Je crois que pour les manifs ces jours ci, il faut prioriser la protection des manifestants, parce qu'on a déja vus un mouvement lycéen (en 2004 ?) complètement pété par la violence des casseurs. Les cortèges fermés plutôt qu'une masse compacte où les casseurs peuvent venir se réfugier (cf la stratégie des blaireaux du black block), avec un SO très visible, me semble être un dispositif utile pour assurer la sécu le long de la manif. Après, ce qui se passe en amont et en aval, on peut pas maîtriser (tant qu'il n'y a pas des millions de gens organisés dans les syndicats et partis)
luc marchauciel
 
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Message par colbleu » 23 Oct 2010, 05:42

Voici un témoignage et une analyse politique que je soutien

Un témoignage sur la répression lors de la manifestation du 19 octobre à Lyon

Lyon, mardi 19 octobre, nouvelle manifestation contre la réforme des retraites. Ce sont plus de 45 000 personnes qui sont présentes, dont des milliers de lycéens. Ceux-ci se regroupent dès le matin devant les lycées pour rejoindre en cortège la manif unitaire. Les flics omniprésents interviennent dès le début à divers endroits du centre ville contre les « débordements » qu'ils ont largement aidé à provoquer de par leur présence agressive.
Sur la place Bellecour, en plein cœur de Lyon, alors qu'une grosse partie de la manifestation est arrivée et arrive encore, les forces de l'ordre sont de plus en plus présentes. Quelques dizaines de jeunes leurs font ostensiblement face. Elles réagissent immédiatement et violemment, au milieu des milliers de manifestants : tirs de gaz lacrymogènes systématiques, charges flash-balls à la main ! Toutes les forces répressives sont mobilisées : flics en civil, éléments du GIPN… Ils utilisent des marqueurs orange pour marquer les manifestants. Des hélicoptères policiers survolent la place pour prendre des photos, signaler et orienter les flics au sol. Des navettes fluviales sont aussi postées sur le Rhône. Bref, tous les efforts sont déployés pour mater brutalement la jeunesse et, du même coup, saboter la fin de la manifestation !
Les affrontements vont durer jusque dans la soirée et pas seulement avec les jeunes : de nombreux manifestants répondent eux-mêmes à cette provocation policière et empêchent de manière physique des interpellations plus que musclées.
La question se pose immédiatement : pourquoi un tel niveau de répression, une telle disproportion de moyens policiers face à une situation somme toute assez classique ? A qui profite le crime?
A l'évidence, le pouvoir n'a pas "pété un câble" ! Avec le déchaînement de cette violence provoquée délibérément, il veut faire passer un message clair :
• Faire peur à nombre de jeunes qui voudraient s'impliquer dans la lutte mais ne veulent pas subir une telle répression.
• Faire peur à leurs parents, manifestants ou non, les dissuader de participer à de prochaines manifestations face à un tel niveau de répression policière.
• Provoquer les lycéens et étudiants déjà en lutte et cristalliser leur mécontentement sur le seul terrain de la répression et de l'affrontement physique. Et ainsi tenter de faire oublier toutes les leçons de la lutte contre le CPE en 2006 où, justement, les jeunes avaient refusé de répondre à la provocation policière.
• Dénaturer tout le questionnement en cours dans ce mouvement social contre la réforme des retraites et cristalliser sur l' « irresponsabilité » du seul Sarkozy en essayant de faire oublier le fond de notre colère face à la crise que nous impose le capitalisme.
• Mais un tel déferlement de violence aboutit surtout à empêcher des centaines d'ouvriers et manifestants qui restent présents toujours plus nombreux Place Bellecour, à la fin des manifs, pour se retrouver, débattre, envisager la suite de la lutte et se demander collectivement comment lutter.
Jusqu'à ce jour, ce sont les multiples sonos syndicales hurlantes qui contribuaient à empêcher que se tiennent de véritables débats collectifs ou de véritables AG massives que l'ensemble des syndicats ont ouvertement refusé depuis le début du mouvement. Ce sont aujourd'hui des dizaines d'interpellations, de blessés chez les jeunes.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : cette répression, cette violence de l'Etat est directement adressée à l'ensemble de la classe ouvrière ! L'ORDRE DOIT REGNER ! Voilà le message de l'Etat !
- Nous devons y répondre mais pas sur le terrain de cette confrontation que nous imposent les flics :
- Nous devons d'abord affirmer notre solidarité entière aux lycéens ou étudiants réprimés et tabassés !
- Nous devons ensuite réfléchir au pourquoi de cette violence et en discuter directement dans toutes les AG qui se tiennent, à Lyon comme ailleurs!

Un témoin direct de ces évènements à Lyon, le 20 octobre.



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