par Plestin » 19 Mai 2016, 18:28
Gaby,
Je crois que tu ne vois vraiment que ce que tu veux voir, avec des idées préconçues.
Voici les termes exacts du discours de dimanche : "Bien sûr, la fraction de la jeunesse qui fait des études supérieures peut espérer mieux en décrochant un emploi de cadre, d'ingénieur, de médecin ou d'enseignant. Mais le problème est collectif. Le problème, c'est que même ceux qui peuvent tirer leur épingle du jeu le font au milieu d'un océan de misère et d'injustice."
Tu conviendras que "peut espérer mieux", ça ne veut pas dire "obtiendra mieux". Donc ça suggère clairement que tous les étudiants ne s'en sortent pas. Je ne vois pas en quoi c'est contradictoire avec le fait que beaucoup d'étudiants se retrouvent facteurs, cheminots, postiers, serveurs, vendeurs ou standardistes.
Il faut replacer ce passage dans son contexte. Juste avant, Nathalie avait expliqué que "Les jeunes des classes populaires sont ballottés de petits boulots en périodes de chômage, de stages non rémunérés en missions d'intérim. Pour espérer un emploi durable et un salaire à peu près correct, tout ce que l'Etat leur propose est de s'engager dans la police ou l'armée. Autrement dit, ils ont le choix entre servir de chair à patron ou de chair à canon !"
Dans le passage d'après, le discours s'adresse à la fois aux uns et aux autres : "Alors aux uns et aux autres, je veux dire qu'il y a un autre avenir. Ne cédez pas au conformisme ! Exprimez votre révolte !" etc. et à la fin du discours, "rejoignez nous dans le combat révolutionnaire", ça s'adresse aussi aux deux.
Il ne s'agit donc pas du tout d'un quelconque dénigrement des étudiants ni d'une dénonciation de leur caractère petit-bourgeois, contrairement à ce que tu suggères (si j'ai bien compris). Ni d'un simple appel à l'humanisme pour les seconds. L'humanisme (qui est largement répandu chez les étudiants) ce n'est pas exactement pareil que la révolte ni que le combat révolutionnaire... Jeunes des classes populaires ou bien étudiants, les deux sont bien mis sur le même plan dans ce discours, mais (par préjugé sur LO ?) ce n'est pas du tout ce que tu en as retenu !
Tu dis que pour LO, Nuit Debout c'est une réunion de petits-bourgeois qui tapent la discute alors qu'il serait plus indiqué de lire les classiques du mouvement ouvrier. En tout cas, tu auras peut-être remarqué que Nathalie s'est bien gardé de dénigrer Nuit Debout dans son discours. C'est une chose que d'avoir un avis sur Nuit Debout (comme on peut en discuter dans un débat LO-LCR ou même Mercier-Lordon), et de ne pas avoir pour politique d'y aller systématiquement et d'y prendre la parole, mais on ne va pas s'amuser à se répandre en critiques à tout bout de champ sur Nuit Debout quand on s'adresse à un public plus large. Le but n'est certainement pas d'affaiblir Nuit Debout. C'est quelque chose à côté, mais nous ne sommes pas contre et on explique même que c'est positif car cela entretient un climat de contestation sociale.
Pourquoi LO continue à dire que la classe ouvrière est majoritaire ? Parce qu'elle l'est. Nathalie a même expliqué, dans son discours, à quel point cette classe ouvrière s'était diversifiée et complexifiée, avec toutes sortes de travailleurs manuels ou intellectuels. "La classe ouvrière concentrée dans l'industrie", c'est déjà autre chose. Elle s'affaiblit radicalement en France ? Voire. Tout dépend de ce qu'on appelle s'affaiblir. Ce n'est pas parce que les effectifs d'une usine sont en diminution constante qu'on s'achemine nécessairement vers l'effectif zéro. Le pays est plein d'usines moins grosses qu'avant, mais c'est du concentré et elles peuvent être très stratégiques. Il suffit d'une usine du groupe Colgate-Palmolive dans la banlieue de Lyon, avec moins de 200 personnes, pour produire toute la javel La Croix en berlingots et en flacons et tous les berlingots de Soupline que l'on va retrouver partout dans tous les magasins de France même les plus petits dans les villes les plus reculées. Et aussi un peu dans les pays voisins. Près de Bordeaux, l'usine Sanofi fabrique aujourd'hui avec 700 ou 800 personnes au moins deux fois plus de médicaments qu'elle ne le faisait il y a vingt ans, mais son effectif n'a pas beaucoup bougé : s'il n'y avait pas eu des gains de productivité considérables, elle devrait aujourd'hui employer peut-être 1.500 personnes. Tous les gains de productivité, "lean management" et autres ont réduit les effectifs ou ont bridé leur augmentation. Des usines à la production variée se sont aussi spécialisées sur une seule gamme de produit à l'échelle de toute l'Europe, générant des flux de camions monstrueux d'un bout à l'autre du continent mais employant moins de monde. Les travailleurs de ces usines sont souvent tétanisés par la crainte d'une fermeture - et de temps en temps il y en a effectivement une qui ferme -, mais globalement, s'ils réalisaient la force qu'ils ont entre les mains, ils se rendraient compte qu'elle est considérable.
Une partie de la baisse des effectifs des usines est aussi en trompe-l'oeil. Bien des postes de travail sont occupés par des précaires qui ne sont pas forcément comptés à l'effectif. Bien des fonctions ont été mises en sous-traitance, par exemple le nettoyage : les ouvriers qui font le ménage dans l'usine sont toujours là, mais ils sont sortis de l'effectif, et administrativement ils sont passés dans la catégorie des services.
Les ouvriers d'un atelier SNCF, ou du service technique d'un hôpital, ou d'une station d'épuration des eaux de Veolia, ne sont pas classés dans l'industrie. Pourtant ce sont des ouvriers. Le bâtiment n'est pas compté dans l'industrie, pourtant il est plein d'ouvriers, et en quoi la fabrication de maisons ou d'immeubles ne serait-elle pas une opération industrielle ? Et fabriquer toute la journée des sandwichs au fond d'un fast-food pourquoi ce serait si différent que de les fabriquer sur la chaîne d'une usine de sandwichs ? Emballer des prospectus dans une entreprise de routage ? L'industrie textile a presque disparu. Les entrepôts logistiques stockant et distribuant des textiles importés, et les grandes chaînes de magasins de vêtements, on appelle ça de la logistique et du commerce, mais ce ne sont que les derniers maillons de l'industrie textile, et on y rencontre plein d'ouvriers, caristes, ou pour la préparation de commandes, ou la mise en rayons. Inversement, une industrie peut avoir elle-même son propre service commercial, son service Achats, son service RH etc. qui ne sont pas pour autant classés dans les services. Alors, "la classe ouvrière concentrée dans l'industrie s'affaiblit radicalement en France", je ne vois pas ce que ça veut dire. Les limites de l'industrie sont très discutables. Il n'y a jamais eu autant d'entrepôts logistiques et de supermarchés qu'aujourd'hui.
La réalité d'aujourd'hui, c'est que la France est l'un des pays les plus industrialisés du monde, et bien des pays aimeraient avoir une industrie aussi développée.
Et que font nos camarades de Combat Ouvrier en Martinique et en Guadeloupe ? Il y a peu d'usines au sens propre sur ces deux îles. Est-ce que ça les empêche de militer ? Ils sont dans les plantations de canne ou de banane, les hôpitaux, les supermarchés, où est le problème ? Est-ce que, quand les travailleurs de Guadeloupe sont massivement descendus dans la rue pour manifester au moment du LKP, ça a empêché que les travailleurs des entreprises publiques ou privées un peu plus grandes entraînent ceux des entreprises plus petites ? Non ! Nos camarades, qui sont peu nombreux, avaient auparavant concentré leurs efforts sur l'implantation dans les quelques lieux où les travailleurs sont les plus nombreux. Ils ont bien fait. Ils auraient aussi pu choisir de faire quelque chose un peu comme Nuit Debout. Mais ils se sont retrouvés aux bons endroits au bon moment, bien qu'en nombre très inférieur à celui des indépendantistes. Est-ce que Combat Ouvrier a une politique différente de celle de LO sous prétexte que le profil de la classe ouvrière est différent ? Non !
Tu dis que LO n'a pas de politique pour les chômeurs. Mais dans son discours, Nathalie a été très claire là-dessus, en expliquant que les conditions de travailleur et de chômeur étaient indissociables, les deux faces de la même pièce, que tout travailleur est un chômeur en puissance et inversement, et que cette situation a toujours été. On n'a pas de politique spécifique pour les chômeurs. Et on ferait quoi pour les semi-chômeurs que sont les travailleurs à temps partiel imposé ? Il vaut mieux les organiser en tant que chômeurs ou que travailleurs ? Mais en réalité, c'est plus une question de moyens qu'autre chose. Si LO était un parti révolutionnaire, ce parti pourrait se permettre d'organiser bien plus de choses, et pourquoi pas des luttes de chômeurs si on avait de nombreux camarades au chômage et sans aucune perspective de trouver un travail. Mais nous ne sommes qu'une organisation, pas ridicule mais pas un parti pour autant. Donc notre priorité c'est de nous implanter. Où ? Si possible dans les lieux où les travailleurs sont les plus nombreux. Est-ce qu'on délaisse les chômeurs et les travailleurs des petites entreprises ? Non. Si on gagne un chômeur à nos idées, on ne le pousse pas à militer chez les chômeurs, on essaye de le faire embaucher quelque part. Si on gagne un travailleur d'une petite entreprise, on essaye de le convaincre de se faire embaucher dans une plus grande. En aucun cas on ne les dédaigne !!! Et on ne va pas demander aux camarades qui militent dans les entreprises d'en sortir et de devenir des chômeurs histoire de faire une grosse section LO chez les chômeurs...
Pour reprendre ta dernière phrase en la modifiant un peu (bonjour l'image stéréotypée), "si la classe était une famille, on dirait à l'épouse au foyer et aux frangins chômeurs de l'ouvrier d'usine"... de devenir des militants révolutionnaires, de se faire embaucher si possible dans une entreprise assez grande, et s'il n'y a pas moyen, de toute façon de militer avec LO dans leur ville ou leur quartier.