Voici donc un article plutôt sympathique d'Arrêt Sur Images sur Nuit debout, sur Comme des lions et sur Jean-Pierre.
Les ouvriers en lutte, encore loin de La nuit debout
"Ce n'est pas les tweets, même nombreux, qui vont faire peur à Valls" (Mercier, CGT-PSA)
Et si les ouvriers rejoignaient le mouvement Nuit Debout ? C’est le vœu formulé par l’économiste et tribun Frédéric Lordon. Alors qu’une partie du film Comme des lions – qui retrace la grève des salariés de PSA à l’annonce de la fermeture du site d’Aulnay-sous-Bois – devait être diffusée ce mardi soir place de la République, sa réalisatrice Françoise Davisse reste sceptique : comment passer "la nuit debout" quand on travaille le lendemain ? Un constat partagé par Jean-Pierre Mercier, délégué syndical CGT de PSA, qui préconise... une occupation des entreprises.
"La nuit, c’est fait pour baiser et pas pour travailler" : ainsi s’adresse Jean-Pierre Mercier à la centaine d’étudiants présents dans l’amphi Y de l’université Paris 8 à Saint-Denis. Nous sommes lundi 21 mars à la veille des attentats de Bruxelles. La fac n’est pas en grève mais en lutte. Les tags des murs et des cages d’escalier en témoignent. Les haut-parleurs invitent à la projection du film Comme des lions de Françoise Davisse, deux jours avant sa sortie dans les salles de ciné. On ne se bouscule pas mais l’auditoire écoute attentivement Mercier qui présente au micro le documentaire dans lequel il apparaît. Mercier n’en est pas le héros. Délégué CGT et numéro deux de Lutte ouvrière, il était coordonnateur et porte-parole de la grève menée début 2013 à l’annonce de la fermeture de l’usine PSA-Peugeot-Citroën à Aulnay-sous-Bois.
Jean-Pierre Mercier
Pas de héros, mais des héros : les ouvriers en lutte pendant près de deux ans et en grève pendant quatre mois début 2013 ont été suivis par la réalisatrice, seule avec sa caméra. "AG, votes, engueulades, flics… la grève comme si vous y étiez" conclut Mercier avant la diffusion de Comme des lions. En effet nous y sommes. Et cette plongée a séduit aussi bien Libération – dithyrambique – que Mediapart, 20 minutes et même BFM Business, c’est dire. Le film n’est pas le premier à s’intéresser au sujet : LCP diffusait en juin 2014 un documentaire intitulé Les mots de la fin et qui donnait la parole à quatre anciens ouvriers de l’usine. Pas de mots de la fin pour Comme des lions mais plutôt des mots de la lutte en guise de mode d’emploi. La réalisatrice filme au plus près le groupe d'ouvriers qui résiste à la fermeture et n’en démord pas. PSA a du pognon – 11 milliards de trésorerie cette année-là selon Mercier qui rappelle que le groupe vendait 3,6 millions de voitures en 2010.
Alors pourquoi fermer une usine qui compte encore 3 000 salariés de 42 nationalités différentes ? "C’est criminel" lâche le syndicaliste en retraçant les grèves qui ont émaillé la vie de l’usine. Et de son propre aveu il y en a peu, hormis la grande grève de 1982 baptisée Le printemps de la dignité, puis celles de 1984, 2004, 2005, 2007… et enfin 2013. "On a pris notre pied en quatre mois" avoue un gréviste à la fin du documentaire. "Entre ça et la chaîne…" A ce jour, un tiers seulement des salariés ont été reclassés au sein de PSA alors que le gouvernement s’était engagé à n'oublier personne. De son côté, Mercier, par ailleurs cariste, a accepté son reclassement dans l’usine de Poissy. "Je voulais rester à PSA pour continuer à les faire chier" s’amuse-t-il dans l’amphi avant de se reprendre : "faut être lucide, il y a peu de patrons qui voudraient m’embaucher". Pour lui, la lutte doit continuer : "la force d’une grève, c’est la discussion". Un étudiant le remercie : "le film me motive pas mal pour continuer la lutte" dit-il.
Paris 8
Il y a quinze jours, les étudiants de Paris 8 découvraient donc la grève au sein de PSA et peut-être même le monde ouvrier. Nombreux étaient en quête d'un mode d'emploi pour lutter. L'un d'eux a même demandé à Mercier s'il en avait un. Sourire du syndicaliste : "si on en avait un, on l'aurait déjà publié !". N'empêche. Ce jour-là, sur les bancs de l'amphi, l'usine et la fac se parlaient. Mais aujourd'hui, à l'heure du mouvement Nuit debout, la jonction entre étudiants et salariés peut-elle se faire à grande échelle ? Elle est en tout cas appelée à toute force par l’économiste Frédéric Lordon qui a invité dimanche agriculteurs et chauffeurs de taxi sur la place de la République.
Si l’invitation a été en partie honorée, les ouvriers n’ont pas encore fait le déplacement. Et rien ne dit qu’ils le fassent – en tout cas pour le moment. Interrogé par @si, Mercier n’est pas emballé : "Lordon m’a invité à venir. Il craint que si le mouvement reste super boboland, ça ne va jamais tenir. J’ai refusé. D’abord je suis du matin cette semaine, je commence à 3h40. Donc je ne vois pas comment faire. Pareil pour ceux qui habitent Mantes-la-Jolie. Et puis, sans dénigrer le mouvement, je ne me détourne pas pour autant de mon idée d’occuper les usines. Certes le mouvement participe à l’ambiance, au climat. Mais ce n’est pas les tweets, même nombreux, qui vont faire peur à Valls ou à la famille Peugeot". Il faudrait donc que Nuit debout occupe les usines plutôt que l’inverse ? "C’est en gros ce que j’ai répondu à Lordon" concède Mercier.
"les questions de travail, ce n’est pas la nuit que ça se passe"
Le syndicaliste n’a donc pas encore mis les pieds sur la place où se rassemblent les Nuitdeboutistes. Et il ne sera pas présent non plus ce soir lors de la projection d’un extrait de Comme des lions. En revanche Davisse y sera. Elle doit intervenir avec François Ruffin, réalisateur de Merci patron et invité d’une récente émission, pour parler lutte et cinéma. Si elle trouve le mouvement très utile – "c’est important de se réunir et de se tenir chaud, d’autant que nous sommes vachement isolés" – elle reconnaît qu'il n’est pas simple de venir veiller : "les questions de travail, ce n’est pas la nuit que ça se passe. Comment fait-on avec les enfants et le boulot le lendemain ? Et puis pour mobiliser les milieux populaires, il faut des lieux qui leur ressemblent, des lieux de confiance. Il suffit d’écouter la musique place de la République : il n’y a ni rap ni hip-hop !"
Bande-annonce du film Comme des lions
Davisse croit-elle en la convergence des luttes ? Pas vraiment. "Pour qu’il y ait convergence des luttes, il faut des luttes" estime la réalisatrice. "Certes il y a la loi El Khomri. Mais les luttes doivent aussi avoir lieu dans les entreprises ou dans les quartiers. Et il y a peu d’entreprises en grève pour le moment. Mais je changerai peut-être d’avis après la nuit passée place de la République. Ce que je sais, c’est que je serai la seule de mon quartier de Saint-Denis à y être". La nuit, c’est fait pour baiser… mais pas encore pour lutter.
Par Anne-Sophie Jacques le 05/04/2016 - Arrêt sur Images
Je rajouterai que certains passent déjà la nuit debout, dans les ateliers, sur les chaines, les trains, les hôpitaux, etc.
Arrêt sur images suit Rufin, rédac' de Fakir, journal satyrique picard, et auteur de Merci patron ! (j'en parlerai ultérieurement) et à l'initiative de Nuit debout.