Bon alors, Lindental, tu te méprends à la fois sur qui je peux être, qui sont mes "potes" et dans quel monde je vis, mais bon, ce n'est pas bien grave.
Tu donnes là certains arguments, et par ailleurs le sujet est plus complexe qu'il n'y paraît, je reconnais bien volontiers que ça mérite explication, parce que tout ne saute pas aux yeux.
Tu retournes très justement l'argument des chemises d'Air France en mettant en avant que les ouvriers ne s'en sont pas pris aux actionnaires, mais à un DRH qui est aussi un salarié - ce que tu appelles la "bourgeoisie salariée". Effectivement, il existe toute une fraction de cadres jouant un rôle dirigeant et je ne les mets pas dans le "camp des travailleurs", rassure-toi. Oui, les PDG des entreprises sont aussi souvent des salariés, nommés par le conseil d'administration élu par les actionnaires etc. (enfin, ça dépend du type de boîte). Si tu parles de ceux-là, je n'ai aucun problème avec ça. Leur travail est clairement nuisible à la masse des travailleurs et ils sont payés pour les faire suer au travail. Que des ouvriers leur arrachent leur chemise, ça ne me laisse qu'un seul regret, c'est qu'on leur ait laissé leur pantalon
Maintenant, je fais la distinction avec d'autres types de salariés qui ne jouent pas un rôle d'exploiteur ou de supplétif des exploiteurs. Le pilote est mieux payé que le steward ou l'hôtesse de l'air, le mécanicien au sol, l'avitailleur (qui fait le plein de carburant), la personne qui vide les poubelles de l'aéroport ou celle qui fabrique les sandwichs servis aux passagers, mais tous sont utiles pour que le voyage en avion se déroule correctement. Savoir si l'écart de salaire est mérité ou pas est un sujet qui ne me plaît pas, car il n'y a pas davantage de mérite, pour moi, à être pilote plutôt qu'hôtesse de l'air ou mécanicien au sol. Je crois que c'est ça que tu n'a pas compris, ou que j'ai mal expliqué, dans ma position. Je ne suis pas en train de justifier le fait que certains soient mieux payés que d'autre ! C'est juste un fait : le salaire est fixé par le niveau de l'offre et de la demande, ce qui varie selon les métiers (il s'agit ici d'une généralité bien sûr ; des conventions collectives ont fini par fixer un peu plus durablement les choses, ce qui déplaît au patronat dans les circonstances d'aujourd'hui). Il y a des métiers à risque particulier, ou des métiers à la fois qualifiés et peu demandés ou peu pourvus qui font que, pour avoir des salariés à ces postes (par exemple, travailler sur une plateforme pétrolière en mer du Nord en plein hiver), les patrons sont prêts à payer plus. D'ailleurs, j'imagine que si j'étais l'un de ceux-là (ce qui est loin d'être le cas...) je ne dirais pas au patron : "non, c'est trop, donnez-moi moins et gardez le reste". Mais tu ne me feras pas dire que, parce que certains sont plus qualifiés que d'autres, ils mériteraient plus de 5.000 euros et les autres mériteraient moins. Encore une fois, leur salaire c'est juste un fait constaté.
Quand le patronat s'attaque aux différentes catégories de travailleurs, du transport aérien par exemple, il met en avant le salaire élevé des pilotes précisément pour que les autres catégories ne se sentent pas solidaires et n'entrent pas en lutte. Quand il s'attaque à d'autres catégories, certains syndicats corporatistes de pilotes viennent à la rescousse du patron pour que les pilotes à leur tour ne bougent pas. Souvent ça marche, mais pas toujours, et les personnels qui refusent de se laisser enfermer dans une corporation ont raison. Je te vois venir, les pilotes tu t'en fiches etc. Mais on peut exactement transposer le même modèle à la SNCF avec un cran de salaire très en-dessous, entre les conducteurs de train et les autres, et entre les conducteurs de TGV et les autres trains. LO s'est toujours refusé, et se refusera toujours, à dresser les uns contre les autres, et luttera toujours contre les tentatives du patron de rogner le salaire même des mieux payés (et si il le fait, ce n'est pas pour le redistribuer aux moins bien payés, tu en conviendras). C'est un problème qui se pose de fait, sous différentes formes, dans plein d'entreprises, et dans certaines c'est même encore pire que d'autres parce que les strates de salaire correspondent peu ou prou à des différences de nationalité ou d'origine, comme j'ai pu le constater à une époque dans l'usine automobile où j'ai travaillé un mois l'été comme ouvrier quand j'étais étudiant : les Blancs Français comme cadres, les Blancs Portugais comme agents de maîtrise, les Maghrébins comme ouvriers et les Noirs Africains comme balayeurs. De sorte que quand les ouvriers maghrébins avaient à subir une sale mesure décidée par la direction (l'actuel PSA), leur première réaction était de dire que c'était la faute des Portugais.
Maintenant, pour revenir à nos "cadres", je veux bien admettre que savoir dans quelle classe sociale on les place dépend aussi de leur propre sentiment, savoir de quelle classe sociale ils se sentent. Il n'y a aucun risque à ce que les DRH des grandes entreprises se sentent de la classe ouvrière. Mais, si un chercheur, un pilote ou autre se sent appartenir à la classe ouvrière, il aura parfaitement raison, et c'est ce sentiment-là qu'il faudrait réussir à cultiver parmi ces catégories de salariés, et surtout pas débarquer en lui disant : "non, tu gagnes 5.150 euros, tu ne fais pas partie de la classe ouvrière, retourne chez tes amis les bourgeois".
A la fin, tu mentionnes ton amie Camerounaise pour qui 50 € c'est énorme. Eh bien, cette fois-ci, c'est ton exemple que j'aimerais bien utiliser. Quand tu vois l'énorme écart de revenus entre les pays, si on perd la boussole de la classe sociale, on peut se dire que, après tout, l'ouvrier en France est un bourgeois salarié avec ses 1.300 euros par mois ou même ses 800 euros à temps partiel, par rapport à bien des Camerounais. Est-ce que ça ferait une politique révolutionnaire de dire qu'il faut prendre tout ce qui est au-dessus de 300 euros pour le redistribuer aux habitants des pays pauvres ? Non bien sûr ! Pourtant, n'importe quel ouvrier français partant en voyage dans un pays très pauvre sera confronté au désagréable sentiment d'être considéré comme un portefeuille sur pattes, et sera vu comme un riche par une bonne partie de la population. Prolétaire en France, bourgeois ailleurs ? L'ouvrier camerounais pourrait bien dire qu'on s'en fiche de savoir s'il faut qu'en France le salaire minimum soit à 1.800 euros, parce que ses copains à lui, ils gagnent moins. De fil en aiguille, il n'y a pas de limite si on suit ton raisonnement.
Pour résumer : non je ne justifie pas les salaires à plus de 5.000 euros et encore moins les écarts de revenu. Ils sont là, c'est un fait. Réclamer une hausse des salaires, et notamment des plus bas, ça va bien dans le sens d'une réduction des écarts, et il n'est nul besoin de réclamer que les salaires plus élevés baissent. Je te signale au passage que la position de LO (à l'inverse des syndicats), c'est, quand les travailleurs d'une entreprise font grève pour les salaires, de mettre en avant une augmentation uniforme pour tous (ex. : 300 euros pour tous, lors d'un mouvement de grève à PSA Aulnay il y a quelques années) et non une augmentation en pourcentage qui préserve l'injustice des écarts salariaux en augmentant davantage les cadres. Par contre, si des salariés "à plus de 5.000" se battent contre leur patron qui veut réduire leur salaire, ils ont raison. S'ils se considèrent comme membres de la classe ouvrière et solidaires des travailleurs moins bien payés, ou mieux, cherchent à lutter ensemble, ils ont encore plus raison. Quand Sanofi supprime des emplois dans la recherche pharmaceutique et que les chercheurs luttent aux côtés des laborantins, ils ont raison et ça n'aurait pas été possible si l'on avait avant cela dressé les laborantins contre les chercheurs en leur disant que les chercheurs gagnaient trop.
Enfin, je te rassure sur un autre point : je ne considère en rien ce que tu appelles la "petite bourgeoisie salariée" comme "le fer de lance de la révolution prolétarienne". Je ne sais pas où tu as vu ça. Quant à nos scores, si l'on suit ton raisonnement, notre programme de 1995 et celui de 2002 étaient-ils meilleurs ???