par Plestin » 09 Fév 2017, 09:23
En France, depuis quelques années, les propos racistes ou antisémites sont condamnés par la loi (en théorie mais aussi, parfois, dans la réalité, en particulier concernant la chose écrite). Aussi, les racistes ont volontairement glissé sur le terrain, moins exposé, des propos anti-islam, sous couvert de laïcité ou de liberté d'expression dans un pays où les traditions anti-religieuses sont une réalité. Cela donne une tournure d'islamophobie là où il y a en réalité avant tout du racisme. Et c'est bien sûr un prétexte, puisque les mêmes n'hésitent pas à soutenir les crèches dans le hall des mairies tandis que les milieux influencés par le FN ne font pas la différence entre des Arabes ou des Noirs musulmans ou pas, ni des Roms d'ailleurs.
Cette tournure anti-islam plus commode que le racisme, les militants religieux de l'islam l'ont bien comprise et saisissent l'occasion d'avancer leurs propres pions. Cela leur permet de doubler les anciennes organisations antiracistes, par ailleurs souvent compromises avec le PS (ce qui contribue à leur discrédit). Il est regrettable que le NPA y apporte sa contribution.
Aujourd'hui, dans mon quartier populaire, où la majorité des habitants est d'origine maghrébine et le plus souvent musulmane, les gens ne subissent pas un racisme de voisinage dans le quartier-même. Les gens s'entendent plutôt bien, arabes ou pas, musulmans ou pas, des fois il y a un connard dans le lot mais bon tout le monde sait que c'est un connard et personne ne met ça sur le dos de son origine ou de sa religion. Les racistes sont minoritaires et n'osent pas se montrer (ils s'expriment plutôt dans les urnes).
Le racisme, brut, celui qui n'a pas besoin de se camoufler en islamophobie et touche les gens de toutes origines et de toutes religions, la population le vit essentiellement ailleurs (dans la recherche d'un boulot suivant le type de boulot, dans certains lieux publics...), ou alors dans certaines occasions bien particulières (interventions de police).
Par exemple, il y a quelques semaines, j'ai eu un accident avec ma voiture. Je laissais tranquillement passer des piétons à un passage piéton, quand un jeune en mobylette, roulant comme un fou d'après les témoins, et avec un casque simplement posé sur la tête mais pas attaché, est venu s'encastrer dans l'arrière de ma bagnole après avoir brusquement doublé la voiture qui me suivait. Le gamin (16 ans depuis 1 jour !) était par terre, la tête en sang sur le trottoir (son casque ayant volé), enchevêtré dans sa mobylette complètement déformée et avec de temps en temps des pertes de conscience ou des convulsions. On pouvait clairement craindre le pire. La quasi-totalité des passants, jeunes ou adultes, étaient d'origine maghrébine. Tout le monde s'est immédiatement préoccupé du gamin, et bien sûr moi aussi. Il n'y a eu absolument aucun geste d'hostilité à mon égard. Ensemble on a appelé les secours, ensemble on essayait de faire parler le jeune pour qu'il reste éveillé. Sont arrivés, dans l'ordre (ça fait peur), d'abord la police municipale, puis la police nationale, puis enfin seulement les pompiers et le SAMU. La police municipale a été d'une connerie sans limites. S'adressant uniquement à moi, elle m'a demandé les papiers du véhicule, est-ce qu'il y a des dégâts matériels, ah oui l'arrière du véhicule est enfoncé, et les voilà à tourner autour de ma voiture sans se préoccuper le moins du monde du gamin (un jeune d'origine turque) dont on pouvait se demander s'il n'était pas sur le point de mourir ! Une attitude clairement raciste, tous les passants l'ont ressenti comme tel et moi aussi, à l'unisson. Cela a suscité un festival de réflexions amères de la part des gens, si le gamin était blanc ça ne se passerait pas comme ça, et vous ne voyez pas que la priorité c'est s'occuper du jeune, etc., et j'ai bien évidemment abondé dans le même sens. Alors, l'un des flics municipaux se retournant vers le jeune à terre, avec un air de mépris, montre du doigt la jeune maman maghrébine qui épongeait le sang sur le visage du gamin et dit "de toute façon, la dame, là, elle a l'air de savoir très bien s'en occuper", et revient autour de la voiture. Là, ça a failli déclencher une émeute, mais les gens en sont restés aux paroles, pas aux gestes. Puis la police nationale est arrivée, et, plus intelligente, a commencé par aller voir dans quel état se trouvait le gamin et ça a tout de suite calmé le jeu. (Les secours, ensuite, ont été très professionnels et très bien. Ils sont même venus à la fin me rassurer en m'expliquant que le jeune n'avait rien de grave, et je leur en suis très reconnaissant. Le jeune a été hospitalisé par précaution et je sais qu'il est sorti dès le lendemain, il n'avait rien de grave.
Voilà, ça c'est une image du racisme ordinaire (et on ne parle pas d'islam). Une sorte de racisme social, aussi : quand la fille de ma compagne cherche du boulot, elle a beau être blanche et avec un nom français, elle rencontre les mêmes problèmes que si elle était maghrébine, il suffit que l'employeur voie où elle habite et comment elle s'exprime, on voit tout de suite d'où elle vient.
Par contre, ce qu'on vit vraiment dans notre quartier, c'est l'avancée des militants religieux, principalement de l'islam, qui cherchent à isoler les musulmans et à dresser les uns contre les autres. Cela ne fonctionne que partiellement, mais on voit clairement leurs avancées. J'ai déjà évoqué dans un autre fil le cas de mes voisins de palier, un couple très sympathique avec deux gamines, et dont la femme qui jusque-là était plutôt coquette et sortait en toute liberté a brusquement pris le voile (un peu plus que le foulard, le bas du visage est caché), évite les regards de ses voisins, n'ouvre plus la porte quand quelqu'un sonne (les petites y vont à sa place), rase les murs lorsqu'elle doit sortir, tandis que l'homme se laisse pousser la barbe. Ils restent gentils, ils nous aiment bien en tant que voisins, on continue de s'échanger des petits plats ou des petits cadeaux et il n'y a qu'avec nous qu'il le font, ils ont l'air de s'excuser de ce qui leur arrive et, pour tout dire, j'ai la désagréable impression que ça ne vient pas d'eux et qu'on leur a imposé cela, même à l'homme. Les exemples de ce type se multiplient dans le voisinage. De plus en plus de femmes portent le foulard, de plus en plus portent un voile, quelques-unes portent même le voile intégral. Cela génère une relation assez pourrie entre les gens. Alors que ce sont pratiquement tous des travailleurs, ouvriers, chômeurs, artisans, commerçants, on voit une méfiance qui s'instaure. Entre maghrébins. Beaucoup ne veulent pas suivre cette évolution, parlent à voix basse de "ceux qui font la prière", mais ne résistent que mollement, voire font une ou deux concessions "ostentatoires" pour que les religieux leur fichent la paix. C'est juste un phénomène réactionnaire qui prend de l'ampleur, et c'est une véritable plaie ! Ici même, c'est bien plus de cela que l'on souffre, que du racisme ! Cela me fait drôle d'écrire ça, parce que, il y a quelques années, on me l'aurait dit, je ne l'aurais pas cru.
Alors, quand je vois que les luttes contre le racisme, trop rares, se transforment en luttes contre l'islamophobie où l'on retrouve une partie de ceux qui nous pourrissent l'ambiance du quartier, je n'ai vraiment pas envie de faire un bout de chemin avec ces gens-là. Je préfère rester aux côtés des autres musulmans.