Patrocle a écrit :
L'intention de mettre les enseignants en présence ouvrière ou populaire est louable mais dans quelle sens s'opère l'influence apparemment recherchée ?
Il n'y a aucune raison que ce soit en sens unique. LO n'est pas une armée de témoins de Jéhovah allant évangéliser les quartiers populaires. Les discussions sont multiples, les liens se tissent, et avant même de parler de faire de nouvelles recrues militantes ou sympathisantes (ce qui est toujours difficile et au compte-gouttes), il ressort dans toutes les réunions, AG ou autres, que LO est très sensible au terrain : l'organisation est très efficace pour prendre le pouls des quartiers populaires ou des travailleurs dans les entreprises. Sur ce plan, ce qui me surprend toujours étant donné que LO est beaucoup plus petit que le PCF et bien moins implanté, c'est que LO est même plus efficace que ce dernier où le poids des notables et de la petite bourgeoisie pèse beaucoup politiquement et fausse le diagnostic malgré les remontées des militants des quartiers populaires.
Donc, la précarité croissante, la dégradation de la situation dans les entreprises, la progression des idées réactionnaires (religieuses ou pas), la démoralisation ambiante, les "flashs" d'illusions électorales rapidement déçues etc., nos camarades enseignants qui n'enseigneraient pas et ne vivraient pas dans des quartiers spécialement populaires sont comme ceux qui y vivent aux premières loges pour les mesurer.
Par ailleurs les progrès de cette pratique devraient être mesurables et surtout visible depuis le temps. Or lors des initiatives publiques LO (meeting, manifestation, fêtes...) on constate toujours une apparente majorité de militants et sympathisants dans la fonction publique, les services... C'est le cas aussi dans mon entourage (100% de mes amis militants de LO sont dans l'enseignement, les services sociaux et la banque).
Quand je suis venu à LO au tout début des années 1980, LO était présente dans bien moins de villes qu'aujourd'hui. Les exemples sont nombreux, mais si je prends par exemple Reims, je me souviens qu'on faisait depuis Paris des activités régulières sur cette ville mais que localement on ne pouvait s'appuyer un peu que sur un ancien militant de France Télécom assez démoralisé. Cela a changé à partir des années 1990. Aujourd'hui, il y a un sacrément bon groupe sur Reims, et le camarade Thomas Rose (enseignant) y est pour beaucoup... Non loin de là, à Vitry-le-François, un travail autour de certaines entreprises comme la faïencerie ou une usine de plasturgie a pu être initié, d'abord de l'extérieur. Bien sûr, dans les entreprises, c'est difficile à maintenir dans le temps à cause des fermetures et des licenciements : la camarade Joëlle Bastien, la plus connue localement, qui travaillait dans l'une de ces usines a ainsi fini par être licenciée. Et la structuration de Reims a aussi aidé, plus récemment, au démarrage de Charleville-Mézières dans les Ardennes. Des exemples comme ça j'en ai plein en tête, un peu partout ailleurs que dans la Marne. Le phénomène est lent, années 1990, années 2000, années 2010, mais il est réel, et les enseignants d'une part et les camarades de boîte mutés d'une autre région d'autre part ont joué un rôle important.
Cela ne saute pas aux yeux car globalement on ne peut pas dire que LO ait beaucoup grossi (notamment du fait du départ de VDT qui a beaucoup affaibli Bordeaux-Angoulême et Rouen-Le Havre à l'époque). Mais l'organisation a fortement élargi, d'une part sa présence géographique et d'autre part son milieu, tout en reconstituant une présence dans les villes affaiblies.
La présence croissante de LO aux élections municipales en est un révélateur, car construire une liste tout seul c'est long et difficile et il faut à la fois des têtes de listes à la hauteur et un milieu suffisant. Si on prend les années où LO s'est présentée toute seule partout ou quasiment partout, on a 52 listes en 1995, 128 listes en 2001 et 204 listes en 2014 (et on peut déjà y rajouter Onnaing à l'occasion d'une partielle en 2017). Et on peut regarder en détail la composition sociale de ces listes...
Concernant la composition sociale de ton entourage de militants LO, il y a peut-être 100 % d'enseignants, d'employés des services sociaux ou de la banque (ce qui n'est déjà pas pareil que 100 % d'enseignants), mais je ne vois pas au profil de quelle ville de province cela pourrait correspondre... Je présume donc que tu es sur la région parisienne et que ton entourage LO est loin de représenter la totalité de LO sur ton agglomération ou ton département (mais peut-être que je me trompe...), sinon c'est que tu ne connais pas tous les LO de ton coin...
Je peux te donner le profil de l'agglomération lyonnaise où j'habite depuis longtemps. Les camarades de LO, on en trouve dans l'enseignement certes, chez les étudiants certes, dans le secteur public certes (plusieurs hôpitaux, plusieurs centres SNCF, la Poste), mais aussi dans les services privés (hypermarché Carrefour de Vénissieux), la métallurgie (Renault Trucks à Vénissieux), la chimie (Arkéma Pierre-Bénite, Solvay Saint-Fons, Cotelle Rillieux), la pharmacie (Sanofi Pasteur à Marcy-l'Etoile), la plasturgie (Toray à Saint-Maurice-de-Beynost)... liste non exhaustive, sans compter les usines de métallurgie, chimie et pharmacie où on a une présence via des sympathisants. Plus les chômeurs, les femmes de ménage, les secrétaires de petites boîtes, les mères au foyer... Et puis, si on regarde l'implantation de LO dans les hôpitaux ou à la SNCF par exemple, il y a proportionnellement à d'autres groupes d'extrême-gauche davantage de techniciens de laboratoire ou aides-soignants que d'infirmiers, davantage d'ouvriers des "technicentres" ou de guichetiers que de conducteurs de trains etc.
Quand au recrutement parmi les français issus de l'immigration je n'ai pas l'impression que les résultats de LO en la matière constitue une quelconque référence.
Le recrutement c'est toujours difficile, et ça l'est toujours plus dans les milieux que l'on vise en priorité que dans d'autres milieux où on est présent, comme les étudiants par exemple. C'est comme le recrutement des femmes : plus difficile que celui des hommes, et cela ne vient pas de notre politique, mais de la société. Les femmes sont nombreuses à LO et l'organisation a toujours eu une femme pour porte-parole, néanmoins elles sont minoritaires. Idem au NPA ou ailleurs (sans parler des partis bourgeois !) Pour les immigrés ou les français issus de l'immigration, c'est la même chose : c'est toujours plus difficile de recruter dans ces milieux. Et on a moins d'adeptes immigrés que le PS, les écolos, LREM ou même le PRG, qui captent nombre de petits arrivistes issus de l'immigration, pas plus gênés que ça de la politique anti-immigrés de leurs gouvernements... C'est bien à cause de notre politique cette fois-ci, non pas à propos de l'islam, mais parce qu'elle est révolutionnaire et ne permet pas de faire carrière... Ceux-là, on est bien contents de ne pas les avoir...
Quant à "recruter" des gens qui afficheraient toujours des convictions religieuses, d'autres groupes d'extrême gauche font sûrement mieux que LO, mais peut-on vraiment parler de "recrutement" ? C'est juste que les critères de "recrutement" sont plus lâches. Sur le fond, pas de différence, pas de formule "plus efficace".
En tout cas à travers le boulot en entreprise on recrute ou on agrège autour de nous des camarades d'origine immigrée, ça c'est sûr ! Et puis, à vivre dans les mêmes quartiers, nos familles fusionnent... ça fait partie de notre milieu, ça aussi.
il serait intéressant de définir ce qu''est la petite bourgeoisie musulmane en France, de dimensionner son importance, son influence en particulier dans les quartiers populaires, de citer ses organisations, de voir avec lesquelles des combats contre les discriminations seraient possible etc...
Artza a parfaitement répondu... Et quelle que soit l'origine, la petite bourgeoisie s'exprime, donne le ton, sur tout et partout. Chez les immigrés aussi. Chez moi, la plupart des commerces (et tous les commerces alimentaires hormis certaines supérettes et deux boulangeries) sont tenus par des maghrébins ou des turcs. Il y a des boutiques de mariage. Des marchands de voiles sur le marché du mardi. Il y a aussi plein de petits arrivistes, commerçants, artisans ou professions intellectuelles, qui tentent de monter des listes aux municipales et de jouer sur une fibre "communautariste" qui ne fonctionne pas toujours d'ailleurs...