Gaby a écrit :
Et toi artza, quand tu as voté Royal
Cela fait plusieurs fois que cet argument ressort et sans déclencher vraiment de réponse-explication, il me semble. Alors, je vais essayer de m'y coller !
A LO on a toujours déterminé notre position au second tour en fonction du rapport de forces tel qu'on l'estimait, et de l'état d'esprit du moment des travailleurs.
En 1981, tout en sachant très bien qui était Mitterrand et en l'ayant suffisamment dénoncé, dans un contexte de pouvoir prolongé de la droite, alors que les travailleurs n'en pouvaient plus des Giscard, Barre, Lecanuet et autres Poniatowski, et alors que le PCF avait mené une campagne de calomnies contre LO accusée d'avoir eu ses parrainages grâce au soutien de la droite ("Arlette Laguiller, la candidate de Bonnet et des préfets" - Bonnet étant le ministre de l'intérieur de l'époque), LO a appelé "sans illusion mais sans réserve" à voter Mitterrand.
A l'époque, j'étais militant aux JC de mon lycée et sans connaître quiconque de LO - ça n'allait pas tarder - j'avais refusé de mener une campagne d'affiches anti-LO dans le lycée, comme la mairie de Saint-Denis nous le demandait, simplement parce que j'avais vu des spots d'Arlette à la télé et que ça ne collait pas du tout avec ce que le PCF en disait, lui qui la présentait comme une anticommuniste et un sous-marin de la droite. Si LO n'avait pas eu cette position au 2ème tour, je ne l'aurais peut-être pas aussi bien accueillie par la suite, et serais naturellement allé au PCF, dans cette ville où il était hégémonique.
En 1988, après sept ans d'union de la gauche au pouvoir et une sacrée cure d'austérité, après avoir vu 4 ministres PCF en costume-cravate sur le perron de l'Elysée, des restructurations massives dans les chantiers navals, les charbonnages, la sidérurgie, l'automobile, LO n'a pas appelé à voter Mitterrand, malgré l'épisode de la cohabitation Chirac et les grèves de l'hiver 1986 où, dans les manifs, le PS essayait de faire crier le slogan "Tonton, tiens-bon", "On s'en souviendra en 88".
En 1995, Arlette a fait ses 5 %, mais on n'a pas appelé à voter pour le PS (Jospin), après des années de présidence PS. Chirac a été élu président pour son premier mandat. En cours de mandat, après avoir inopinément dissout l'Assemblée nationale, il s'est retrouvé en cohabitation inverse avec un gouvernement de gauche dirigé par Jospin, qui a mené une politique désastreuse, privatisé à tour de bras, etc., avec le PCF au gouvernement (Gayssot, Buffet...)
En 2002, Arlette a fait 5,72 % et en ajoutant Besancenot 4,25 % et Gluckstein 0,47 %, l'extrême-gauche a dépassé les 10 % (mais le PCF est tombé à 3,37 %). Le second tour opposait Chirac et Le Pen père, Jospin ayant été éliminé à peu de voix au premier tour. LO a voté blanc. En refusant de participer à la grande union nationale autour de Chirac, on s'est fait traiter de tous les noms, d'alliés du FN etc. On en rediscutait ces jours-ci, un copain enseignant expliquait comment un collègue l'avait traité de fasciste ! Pression sociale monstrueuse, même autour de nous des gens qui s'étaient rapprochés rompent et s'éloignent comme si on avait commis l'impensable. Une fois Chirac réélu, toute la politique de la gauche a consisté non pas à dire pourquoi la gauche gouvernementale avait perdu autant de voix, mais à expliquer pourquoi il ne fallait surtout pas que les électeurs se dispersent vers l'extrême-gauche la prochaine fois si on ne voulait pas revoir Le Pen au deuxième tour et la gauche éliminée. Brebis, revenez au bercail ! Pourtant, cette gauche s'était elle-même éparpillée : Jospin, Hue, Mamère, Taubira, Chevènement, et si elle ne l'avait pas fait, elle aurait été au 2ème tour. Mais c'était la faute de l'extrême-gauche... Et ça a marché.
En 2007, après des années de gouvernement de droite à s'en prendre toujours plein la figure, et après avoir eu Sarkozy comme ministre, on avait d'un côté le candidat Sarkozy qui s'était déjà fait suffisamment haïr dans les milieux populaires, et de l'autre Ségolène Royal pour le PS. Au premier tour, Arlette avait fait 1,33 %, Besancenot 4,08 % et Schivardi 0,34 % (illustration de l'efficacité de la stratégie anti-extrême gauche de la gauche, particulièrement sur l'électorat LO). Dans ce contexte, et avec un écart faible dans les sondages entre les deux candidats, nous à LO qui n'avons pourtant jamais ménagé nos critiques du PS, nous n'avons pas voulu prendre le risque de nous faire accuser d'être responsables de la victoire de Sarkozy. Nous avons appelé à voter Royal. Sarkozy a effectivement gagné : personne n'a pu dire que c'était de notre faute. Cela a participé à recoller les morceaux avec un certain nombre de militants de gauche dans les milieux populaires, même si beaucoup n'étaient pas pour autant enthousiasmés par le vote Ségolène Royal, et nous non plus.
puis que tu as défendu un accord de premier tour avec le PS l'année d'après, pour une poignée de postes de petits élus
En 2008, aux élections municipales, dans un contexte où Sarkozy était vomi par les travailleurs et où, là encore, nous ne souhaitions pas nous faire reprocher de l'avoir aidé à gagner les élections, nous avons proposé une alliance à la gauche (en étaient exclues les alliances dans les villes où la gauche était conduite par un ancien ministre). Non pas "au PS", mais une alliance en priorité au PCF allant jusqu'au PS dans la mesure où le PCF n'aurait pas voulu se présenter à part. Nous n'avons pas dit au PCF "présente-toi à part sinon on ne veut pas faire alliance avec toi". Nous avons fait en fonction de ce que le PCF local faisait. Il y a des endroits où il a voulu se présenter à part, et lorsqu'il en était d'accord on s'est présentés avec lui. Il y a eu d'autres endroits où il voulait rester sur une liste d'union de la gauche, et, là où la gauche était d'accord, c'est-à-dire dans une minorité de cas, on s'est présentés ensemble.
C'est le cas par exemple dans la commune populaire où j'habite et où deux camarades ont été élus conseillers municipaux. La camarade élue avec une fonction dans le domaine de la santé est devenue très copine avec une ancienne ouvrière, élue PCF, qui avait pris la responsabilité du handicap parce que son mari décédé était handicapé et qu'elle voulait faire quelque chose là-dessus, mais par manque de niveau éducatif elle ne parvenait pas à mener à bien sa fonction. La camarade l'a aidé à le faire. Elle s'est fait énormément apprécier sur la ville. Avec les autres copains de la ville, on a fini par avoir autour de nous un milieu plus large et tisser des liens avec des gens du PCF, du PS et de toutes sortes d'associations en s'en faisant apprécier. C'est toujours le cas aujourd'hui : il en est vraiment resté quelque chose. L'élue PCF en question nous a même donné un coup de main à la fête.
Quand entre 2008 et 2009 la crise économique est arrivée, on a fait l'analyse que l'aggravation des exigences patronales allait de toute façon entraîner le PS en direction d'un cran supplémentaire en matière d'austérité s'il parvenait au pouvoir. Ce retournement de situation est intervenu alors même que nous avions des conseillers municipaux dans plein d'endroits. Mais, nous avons été - en tout cas, c'est ce que j'ai pu constater dans ma commune - en situation d'expliquer notre changement de position, et il a été, je crois, d'autant plus compris, que dans notre politique municipale nous avons gardé jusqu'au bout une attitude loyale, tout en expliquant nos désaccords. Nous n'avons pas appelé à voter Hollande aux présidentielles de 2012 (il est passé, et on ne pourra pas dire que c'est grâce à nous). Ce sont celles où on a fait 0,56 % avec Nathalie Arthaud pour la première fois. Aux municipales de 2014, nous nous sommes à nouveau présentés seuls, en expliquant que nous ne pouvions pas faire alliance avec la gauche lorsqu'elle est au gouvernement. Nous avons fait un effort sans précédent, facilité par le milieu élargi que nous avions dans certaines villes, qui a permis de compléter des listes plus vite et donc de se consacrer à d'autres villes où l'on partait de bien plus loin. Au final, 204 listes tout seuls, du jamais vu. Dans ma commune, nous avons dépassé les 5 % (mais pas eu d'élus car il y a eu un 2ème tour), la gauche a perdu, mais personne ne nous l'a reproché, tout le monde savait bien que c'était de la faute du contexte national.
Certains habitants de la ville continuent de venir voir la camarade pour lui demander conseil sur des sujets ayant trait à la santé ou au handicap. La nouvelle mairie de droite a démantelé une partie de ce que la gauche avait fait, mais n'a pas osé toucher trop ouvertement à ce qu'on avait mis en place sur le handicap : des réunions régulières avec les habitants de la ville pour voir à quels problèmes étaient confrontés les handicapés, et tenter de les résoudre. La structure existe toujours, formellement, simplement la nouvelle mairie ne la réunit pratiquement plus...
Aujourd'hui, dans cette élection présidentielle, sur l'agglomération lyonnaise c'est dans cette commune que l'on continue de faire le plus de voix (1,10 %) même quand le rouleau compresseur Mélenchon (et aussi Macron, dans les milieux immigrés notamment) passe par là. Une partie du PCF local (y compris d'anciens dirigeants locaux) a voté Nathalie Arthaud. Sur 55 voix LO dans la commune, on en connaît clairement une grande partie, et on sait qu'on doit ce vote aux liens individuels tissés année après année. On entretient aussi de très bonnes relations avec des tas d'électeurs de Mélenchon, dont certains avec qui on prend un café tous les week ends sur la place du marché.
Rien à voir avec le groupe sectaire que certains mentionnent parfois.
Pour ce deuxième tour, on fait l'analyse que, étant donné le rapport de forces entre Le Pen et Macron, il n'y a aucune raison d'appeler à voter Macron qui sera élu. Et on ne pourra pas dire demain que c'est à cause de nous. La situation vis-à-vis du 2ème tour a changé depuis 2002, et on n'est plus tout seuls, la pression du vote Macron reste très forte mais le milieu Mélenchon doit la subir plus fortement que nous, étant donnée la position adoptée par Mélenchon.
J'espère que j'aurai ici mieux montré de quelle façon on peut raisonner pour prendre position, qu'il n'y a pas de révélation mystérieuse qui fait que LO a telle position une année et telle autre position une autre. Nous sommes très attentifs aux relations que nous pouvons entretenir avec les travailleurs et les milieux militants de nos villes respectives, et c'est un paramètre essentiel de nos prises de position, qui ne sont pas pour autant opportunistes puisque l'on peut aussi bien adopter des positions à contre-courant si on le juge nécessaire, positions qu'il s'agit alors d'expliquer. Mais pour nous, il y a une grosse différence entre "être en désaccord et s'expliquer fraternellement", et "être en désaccord et avoir des relations exécrables qui ne permettent même pas de s'expliquer".
En tout cas, Gaby, j'espère que tu verras autrement la "
poignée de postes de petits élus". Et que tu remarqueras qu'aux municipales de 2014, nous avons choisi sciemment une position qui nous en faisait perdre une grande partie. Ce qui montre que ce n'était pas "
pour une poignée de postes de petits élus" que nous avions décidé de l'orientation en 2008.