Les ruptures de stocks de médicaments importants sont devenues assez fréquentes. Elles concernent principalement des produits anciens (mais toujours utiles), et plus marginalement des récents.
En France, les ruptures sont suivies par l'ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) et, quelle que soit la période de l'année, elles sont toujours nombreuses :
http://ansm.sante.fr/S-informer/Informa ... edicamentsCette situation est une conséquence économique directe de "l'anarchie" économique capitaliste.
Les laboratoires font de très gros bénéfices sur la plupart des médicaments protégés par brevet. Lorsque le brevet vient à expiration (en général autour d'une dizaine d'années de commercialisation), les génériques se multiplient et il peut y avoir ainsi 2, 5, 10 références d'un médicament voire plus là où il n'y en avait qu'une, tandis que les prix baissent. Le marché se trouve donc divisé, atomisé, et face à une diminution de la rentabilité, il n'est pas rare que le laboratoire pharmaceutique qui vendait l'original (le "princeps") laisse tomber ce produit : soit il cesse de le vendre (s'il y a des alternatives), soit il cède la marque à un laboratoire plus petit prêt à se contenter d'une marge plus faible ; dans ce cas, par la même occasion, le grand laboratoire se défausse de sa responsabilité en cas de rupture.
Puis, le marché se concentre à nouveau, seuls les génériqueurs ayant capté une part de marché suffisante restant en course, et il arrive parfois qu'il ne susbiste plus qu'un ou deux acteurs.
Il n'y a pas que l'effet des génériques : lorsqu'un produit ancien est détrôné par un produit nouveau et voit ses volumes décliner, la situation est la même, même s'il n'y a aucun générique. La rupture est d'autant plus grave s'il reste une petite indication rare mais vitale très spécifique du médicament en question, alors que l'on peut le substituer sans problème dans l'indication principale (d'où la baisse de la demande).
La conséquence est une forte baisse des volumes au point que la plupart des producteurs laissent tomber la fabrication, et souvent, il ne reste plus qu'un ou deux fabricants.
En cas de problème industriel - et ils sont fréquents sur de vieilles lignes de fabrication sur lesquelles plus personne ne veut investir - c'est vite la rupture, qui dure tant que le problème n'est pas résolu, en particulier si les stocks sont déjà faibles.
Le problème industriel peut d'ailleurs être tout simplement dû au resserrement des normes concernant les "Bonnes Pratiques de Fabrication" (BPF) qui rend non conforme l'ancienne façon de faire alors qu'il n'est pas jugé rentable d'investir pour s'adapter à la nouvelle... On l'a vu notamment avec le B.C.G., qui va de rupture en rupture dans son indication principale (vaccination contre la tuberculose) mais aussi dans une indication secondaire où les pénuries ont été encore plus dramatiques (cancer de la vessie) : on repoussera une vaccination, on ne repousse pas sans conséquences un traitement du cancer. Or, le B.C.G. disponible en France est fabriqué soit au Canada (chez Sanofi Pasteur), soit au Danemark, et le Canada a dû à maintes reprises stopper sa production pour cause de non conformité... Sanofi a consenti de mauvaise grâce à y investir quelques millions d'euros, sans vraiment solutionner le problème, et il va certainement carrément abandonner la fabrication ce qui ne fera qu'aggraver les choses.
Lorsque les volumes d'un produit sont très faibles, les lignes de production s'adaptent aussi pour n'en produire qu'une seule campagne par an, sur la base de besoins estimés. La campagne suivante n'est prévue que l'année suivante et entre temps, les lignes doivent produire autre chose. Si pour une quelconque raison la demande se met brutalement à monter - par exemple, si du fait de la rupture de stock d'un médicament, la demande se reporte brutalement sur un autre - alors cela crée rapidement une nouvelle rupture. Il y a ainsi des ruptures avec "effet domino" où différents médicaments pouvant se substituer les uns aux autres entrent en rupture les uns après les autres. On a pu le voir avec certains médicaments contre les troubles de la thyroïde par exemple : l'usine anglaise de la société Euticals à Sandycroft a été fermée administrativement pour des raisons de sécurité, d'où une rupture en carbimazole, la molécule la plus utilisée dans certains troubles thyroïdiens, ce qui a fait se reporter la demande sur d'autres molécules moins utilisées dont les capacités de production se sont vite retrouvées débordées.
A l'hôpital, le phénomène des ruptures est encore accru du fait du fonctionnement par appels d'offre. Les budgets des hôpitaux étant très serrés, la recherche du médicament le moins cher les pousse à privilégier le génériqueur qui propose les prix les plus bas et celui-ci rafle une grosse partie du marché... sans nécessairement avoir les capacités industrielles pour y répondre. Ce phénomène est aussi courant pour les médicaments de ville en Allemagne, car de gros organismes régionaux de remboursement passent des appels d'offre, et seuls 1, 2 ou 3 fournisseurs sont finalement référencés et reçoivent tout à coup une grosse demande d'approvisionnement d'un Land entier.
Il y a aussi bien d'autres raisons aux ruptures. Une raison secondaire, mais très mise en avant par les laboratoires (histoire de se disculper), est due à certains distributeurs peu scrupuleux qui achètent un médicament bon marché dans un pays pour le revendre dans un autre où il est bien plus cher, asséchant le pays de départ.
Dans cette économie capitaliste, l'un des principaux "antidotes" aux ruptures est la très forte hausse du prix des anciens médicaments que plus personne ne voulait fabriquer, de manière à rendre la production à nouveau rentable. Certains laboratoires se sont même spécialisés dans ce type de pratiques, par exemple le groupe canadien Valeant qui a défrayé la chronique à maintes reprises, augmentant même le prix d'un médicament pour une maladie rare de 3.000 % aux Etats-Unis. Un autre scandale américain a concerné le stylo injecteur d'adrénaline EpiPen (contre les chocs allergiques), dont Mylan a augmenté le prix de 500 %.
La conséquence du capitalisme est d'une part la recherche du profit qui conduit à des choix non basés sur l'utilité sociale, d'autre part l'absence d'une économie planifiée à l'échelle de la planète qui pourrait permettre de faire face sans difficulté à tous les aléas.