La bourgeoisie française essaie de défendre sa petite part de marché
C'est sûr, mais avec du recul et ayant vu de près quelques-uns des plus grands groupes français à travers mon boulot, j'en suis un peu revenu de cette envie de minimiser l'importance de la bourgeoisie française. Je sais qu'on utilise souvent nous-mêmes l'expression "impérialisme de seconde zone" ou même "de troisième zone", et que ça sert à moquer les prétentions pas possibles de la bourgeoisie française, en particulier sur le plan diplomatique, bien supérieures à son poids réel dans l'économie mondiale. Et c'est clair que les bourgeoisies américaine, japonaise et allemande sont plus importantes. Mais c'est un peu à double tranchant, car en réalité, la bourgeoisie française elle est quand même vachement puissante et vachement costaud, avec des intérêts très présents dans le monde entier ou presque. On finirait par l'oublier. Si on cherche à compter le nombre de multinationales françaises d'un côté et espagnoles de l'autre, y'a pas photo... Je ne sous-estimerais pas la puissance de Total, Sanofi, Air Liquide, PSA, Renault, Carrefour, BNP Paribas, L'Oréal, LVMH, Michelin et quelques autres... Quand tu te balades en Andalousie ou en Chine et que tu tombes sur un hypermarché Carrefour, tu relativises...
coincée qu'elle est entre le capital américain dominant et le capital allemand qui utilise l'Union européenne et ses règles de casse tous azimuts du coût du travail à son seul profit (et aussi des multinationales US installées en Europe), à la fois contre ses concurrents européens et contre l'ensemble des classes ouvrières du continent, l'allemande et la française les premières qui ont le plus à perdre socialement.
Et là où ça devient dangereux, c'est lorsqu'on commence à considérer la France comme une sorte de pays dominé et opprimé par les bourgeoisies plus puissantes, allemande et américaine par exemple. Ce qui amène à dénoncer surtout ces deux dernières. Et là,
on entre vraiment sur le terrain du PCF et de Mélenchon.
C'est précisément ça, leur stratégie : nous faire croire que l'ennemi est lointain et inaccessible, "l'Europe", "l'Allemagne", jouer sur les réflexes chauvins et du coup, dédouaner la bourgeoisie française. Attention Bradley, je ne dis pas que c'est ton intention à toi. Mais ce discours contient vraiment ce type de danger.
D'autant que le capital français n'est nullement une victime et utilise tout autant l'Union européenne et ses règles de casse tous azimuts du coût du travail. On pourrait croire que seuls le capital américain et allemand sont responsables de ce qui arrive aux classes ouvrières du continent. "L'allemande et la française les premières qui ont le plus à perdre socialement"... Enfin les classes ouvrières grecque, portugaise, espagnole, italienne, belge, britannique et autres ont beaucoup morflé et même plus, non ?
Et en plus, les règles de casse du coût du travail ne sont pas l'apanage de l'Union européenne. Le Brexit n'y mettra pas un terme pour les travailleurs britanniques. La Suisse s'attaque aux travailleurs sans faire partie de l'Union européenne. L'Union européenne sert encore de dérivatif : les responsables on les a sous la main, ici, en France, mais on veut nous faire croire qu'ils sont à Bruxelles. Alors c'est peut-être pas la peine d'en rajouter... Surtout dans une période où les nationalismes remontent !
Que la gauche PCF-Mélenchon ait cette politique, ce n'est pas étonnant. Cela lui sert à se dédouaner à l'avance de ce qui se passerait si elle était au gouvernement : c'est pas moi, c'est l'autre. Le PCF nous a fait toute une campagne anti-européenne au moment du traité de Maastricht, et après on l'a retrouvé dans le gouvernement Jospin, avec un Gayssot qui entérine la privatisation partielle d'Air France et la coupure en deux de la SNCF avec RFF (à l'époque). Ce qui ne l'a pas empêché de nous refaire le coup du discours anti-européen plus tard.
En même temps, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit démontrée par Marx contraint l'ensemble des bourgeoisies, l'américaine la première, à bousiller tous les acquis sociaux
Bousiller les acquis (qui méritent donc mal leur nom) oui, mais plus largement faire pression sur les salaires, et utiliser pour ça le poids du chômage etc. On est bien d'accord.
La baisse tendancielle du taux de profit c'est la tendance de fond et ça le reste (quoi qu'en disent certains). Autre tendance de fond, la bourgeoisie cherche en permanence à le rétablir : elle écrase les travailleurs et recherche des gains de productivité précisément pour contrer cette baisse et rétablir un taux de profit supérieur. Ce qui explique la remontée des profits. Qui n'est que provisoire et qui fera que la bourgeoisie continuera ses attaques. Au niveau des capitalistes individuels, ceux-ci essayent aussi de se lancer dans de nouveaux secteurs à meilleure marge lorsqu'ils en ont la possibilité (il y a eu les ordinateurs, les logiciels américains...) Mais comme ils sont trop nombreux à le faire, la baisse tendancielle du taux de profit reprend dans ces nouveaux secteurs immédiatement après l'embellie initiale... A moins de se construire des positions de monopole (autre façon de contrer la tendance), qui permettent de fausser les règles pendant toute une période (les logiciels américains chers à Gaby...) Tout ça n'est pas une découverte, et pour aller dans ton sens, je pense que ceux qui croient que la baisse tendancielle du taux de profit n'est plus valable parce que les profits remontent, n'ont vraiment pas compris ce que ça voulait dire. Marx n'était pas dogmatique dans sa définition, et eux font comme s'il l'était.
à détruire en masse les forces productives pour tenter de restaurer la rentabilité du capital sous direction du capital financier, le seul rentable à court terme au détriment notamment du capitalisme industriel.
Oui mais. En tout cas il ne faut pas laisser croire que la richesse se crée dans la finance (mais je ne crois pas que ce soit ce que tu penses). S'il n'y avait plus de capitalisme industriel, la finance serait mal... Et les deux ont toujours été étroitement imbriqués. Mais c'est vrai que la production de biens et de services se heurte aux limites du marché solvable et que si un capitaliste veut toujours plus, il lui faut trouver des artifices. Ecraser les travailleurs, fermer des usines pour regrouper la production et la faire faire par moins de travailleurs, en font partie, mais ça réduit encore le marché. Limiter les investissements aussi. Alimenter la spéculation c'est une autre solution qui, comme tu dis, est à court terme. Tôt ou tard la bulle spéculative éclatera, ceux qui auront retiré leurs billes à temps s'en sortiront, d'autres capitalistes y laisseront des plumes ou n'y survivront pas. (Si ce n'était qu'une histoire de capitalistes entre eux, une sorte de jeu à somme nulle, on s'en ficherait... Mais derrière, il y a des faillites, des travailleurs au chômage, et aussi des famines quand les capitalistes s'amusent à spéculer sur des denrées alimentaires comme le blé, le riz, le maïs...) Et la finance ce n'est pas que la spéculation, c'est aussi le métier de banquier : on voit à quel point il peut saigner des pays entiers.
Mais la finance est aussi capable de remettre de l'argent dans l'industrie de temps en temps, si elle en escompte davantage de profit. Quand une branche industrielle rapporte mais que l'outil vieillit dangereusement, ne pas remettre de l'argent c'est comme tuer la poule aux oeufs d'or.
Il faut juste faire attention de ne pas laisser penser qu'il n'y a plus d'industrie, il n'y a que la finance qui rapporte etc., parce que d'abord c'est faux - des usines il y en a un nombre astronomique malgré tout ce qui ferme - et qu'ensuite ça peut véhiculer le sentiment que dans les usines on ne peut plus rien faire, du genre "la classe ouvrière a disparu". Alors que c'est bien là que la plus-value est créée.
Mais je suis d'accord, l'aspect le plus "parasitaire" du capitalisme par le biais de la finance est de plus en plus flagrant, précisément en confisquant la plus-value créée dans les autres secteurs.