Un peu plus haut j'ai écrit :
Mais on est encore loin, ici, même dans les milieux les plus progressistes, à accepter le fait qu'il n'y a aucune différence de nature entre homo- ou hétérosexuel : ce n'est pas EUX et NOUS, c'est NOUS TOUS, nous sommes les mêmes, et je dirais même exactement les mêmes, le comportement sexuel étant éminemment variable dans l'espèce humaine. Y compris d'ailleurs à l'échelle d'un même individu à différentes époques de sa vie. Ce qui est à la fois un formidable atout pour l'humanité - le cerveau humain est capable d'explorer plein de directions, en matière de sexualité comme sur bien d'autres sujets - et bien sûr aussi un élément de fragilité, aggravé par la société - un cerveau humain est capable de devenir un cerveau d'agresseur.
J'aimerais bien savoir si cet avis, que je me suis forgé au fil du temps, est partagé, car il y a sûrement beaucoup de choses à en dire.
Pour moi, au départ il y a l'idée d'un cerveau humain "quasi page blanche" à la naissance, handicap majeur par rapport à certains animaux capables de se débrouiller tout seul quelques instants après leur naissance, et qui nécessite des soins importants et prolongés de la part de l'entourage (la mère et/ou le reste du milieu social et familial et/ou la société) mais qui se révèle ensuite un avantage décisif en grandissant. Le côté "page blanche" fait que toutes les directions sont possibles, là où beaucoup d'animaux sont pilotés par des instincts (mais pas tous). Un peu comme si ce qui caractérisait l'espèce humaine, c'est d'être l'animal chez lequel la nature a le plus abdiqué des comportements automatiques (même s'il en reste), laissés aux bons soins du milieu social et familial qui ont pu prendre le relais, l'être humain étant un animal sociable.
Dans ces conditions, et en fonction du milieu en question (mais pas que), le meilleur et le pire, et le différent, sont possibles. Y compris d'être un individu pas du tout sociable au sein d'une espèce qui l'est. Y compris dans la variation des comportements sexuels. Y compris en générant des individus capables de se passionner pour les coléoptères là où d'autres explorent les mathématiques ou la philosophie ou le sport, et où d'autres encore sont totalement rebutés par ces sujets.
On voit bien ici le côté "formidable atout" qui laisse la possibilité à l'espèce humaine d'être exploratrice dans de multiples directions. On voit bien aussi le risque et la fragilité, exactement pour les mêmes raisons : possibilité d'évoluer vers des comportements asociaux, agressifs, haineux... même quand rien ne le justifie, et avec comme option l'agression sexuelle. Possibilité de se raccrocher au religieux, à l'irrationnel etc. (avec l'appui du corps social, en plus) et inversement, possibilité de développer un niveau de conscience individuel permettant d'y échapper ; et, mieux, une conscience collective capable d'incarner un corps social qui fait pression cette fois-ci dans le sens inverse de la société majoritaire.
Et puis, tout cela serait trop simple s'il n'y avait d'autres phénomènes susceptibles d'interférer et compliquer encore les choses.
Il me semble bien que le principe du plaisir / de la récompense, qui peut aller jusqu'à l'addiction, joue un rôle super important dans l'élaboration de l'individu. On apprend à aimer quelque chose, un type de musique ou la génétique des escargots, plutôt que de l'aimer spontanément (surtout la génétique des escargots
). On peut aussi apprendre à aimer faire plaisir, ou à aimer faire du mal.
Ensuite, le système de récompense pouvant aller jusqu'à l'addiction prend le relais et fixe, fossilise, tel ou tel trait de caractère ou de comportement, qu'il devient ensuite difficile de modifier. Et ça, plaisir et addiction, c'est un phénomène biologique qui se surimpose, l'homme et les animaux supérieurs sont naturellement sujets à ce type de phénomènes. A commencer par quelque chose d'aussi important que la sensation de faim, sorte d'addiction dont l'existence est vitale pour l'individu et pour l'espèce et dont la résolution entraîne du plaisir et la satiété ! Le bricolage chimique en filigrane, c'est l'héritage de l'évolution et c'est un système qui est loin d'être parfait mais qui fonctionne.
Ensuite, jugé "bon" ou "mauvais" par les autres, l'individu est un peu enfermé dans un carcan et ce n'est pas facile d'en changer. Et plus le temps passe, plus c'est difficile, l'âge semblant être lui aussi facteur de "fossilisation" (un vieux fossile un peu marteau ?
) Comme pour l'ouvrière de Moulinex qui a fait la même chose toute sa vie et se retrouve licenciée à 50 ans, et a les plus grandes difficultés à s'adapter à autre chose (si tant est qu'on lui en donne l'occasion !) alors que plus jeune, ça aurait été possible.
Les traits individuels se fossilisent donc, sauf à avoir cultivé très tôt le plaisir de la polyvalence et le côté touche-à-tout, ce qui laisse alors ouvertes plein de possibilités ultérieures et ce, jusqu'à un âge avancé ! Que ce soit en matière de bricolage, d'ouverture d'esprit, de goûts musicaux, de sexualité. Et on peut être polyvalent en bricolage et pas en sexualité...
Mais là non plus, rien d'automatique et les possibilités du cerveau humain peuvent aussi permettre de trouver les moyens de surmonter l'enfermement dans un type de comportement ! A fortiori avec l'aide et la participation de l'entourage !
L'évolution de l'espèce humaine a fait que le "champ des possibles" touche un domaine aussi important que la sexualité, qui interfère fortement avec la reproduction, elle-même vitale à la survie de l'espèce. Cela explique peut-être l'orientation hétérosexuelle majoritaire, qui a été un phénomène naturel piloté par la biologie chez de lointains ancêtres des hominidés, mais dont on ne sait pas vraiment si c'est toujours le cas ou si c'est simplement la transmission sociale qui le pilote désormais. Mais sexualité et reproduction restent deux choses bien distinctes et on ne peut pas opposer par exemple à l'homosexualité le fait d'entraver la reproduction. Un individu qui a eu 2 ou 3 enfants, peut bien avoir 0 ou 1 ou 1.000 rapports homosexuels à côté, ça ne change rien sur le plan de la perpétuation de l'espèce. Alors que l'hétérosexuel absolu qui choisit de ne pas avoir d'enfants (pour des raisons religieuses, militantes, professionnelles...) l'entrave bel et bien, lui. Ce qui n'est pas un problème non plus, puisque la survie de l'espèce réside dans la statistique, pas dans le fait que chaque individu se reproduise.
Tous les comportements sexuels sont donc possibles, qu'ils soient considérés comme normaux ou pathologiques, avec une variabilité en matière d'orientation (hétéro-, homosexuelle) mais aussi orientation vers des objets, des animaux, des enfants ou que sais-je, et aussi orientation altruiste, égoïste, ludique, agressive, destructrice etc. Et le même principe d'une "fossilisation" du comportement avec le temps, les individus se retrouvant plus ou moins enfermés dans leur comportement sexuel (a fortiori si l'on atteint le stade de l'addiction). Enfermés sauf là encore à avoir cultivé la polyvalence (ex. : bisexualité ou évolutions du comportement sexuel au cours de la vie) ! Avec bien sûr la société et le milieu réel qui s'en mêlent. Fantasmer sur les femmes ou hommes blonds est plus confortable à vivre en Suède qu'au milieu du Sahara et n'aura pas les mêmes conséquences sur l'individu et la nécessité ressentie de s'adapter s'il veut vivre une sexualité épanouie...
La fossilisation des comportements (et des envies) passant par là, beaucoup peuvent dire avec le temps : "
moi, j'ai toujours été hétérosexuel, ça ne fait aucun doute", ou "
moi, je me suis toujours senti homosexuel", ou "moi, homme des cavernes, j'ai toujours été attiré par les peaux d'ours"
, mais ce n'est en aucun cas une preuve qu'aucune autre possibilité n'a jamais existé et qu'ils sont vraiment "comme ça" par nature. (Oui, ça peut en choquer plus d'un, tellement nous sommes habitués à raisonner "EUX" et "NOUS"). Autrement dit, ce phénomène entraînerait une forme de perte de liberté pour l'individu.
J'ignore si, dans une autre société, la disparition de la pression sociale ou son changement de nature conduirait la bisexualité à devenir majoritaire par exemple (y a-t-il une raison valable de ne pas aimer une moitié de l'humanité ?
), les agressions à disparaître ou simplement se raréfier, etc. Il faut aussi voir si, à côté de la "page quasiment blanche" du cerveau il subsiste, ou pas, en survivance de l'évolution, d'autres choses relevant du biologique et pas du social, qui orienteraient quand même dans une direction majoritaire, par exemple l'hétérosexualité, ou dans le choix des partenaires. Il y a bien eu des expériences menées sur les phéromones. Notamment la fameuse expérience de Liverpool avec sa salle d'attente dont une seule chaise a été imprégnée de phéromones masculines et où la majorité des femmes va spontanément s'asseoir. Mais cette expérience me semble peu crédible car critiquable dans sa méthode et même dans l'interprétation des résultats, et en plus, pas sûr qu'elle ait été reproductible ni reproduite. Pour l'instant je n'ai rien trouvé de vraiment convaincant de ce côté-là. Quant à l'aspect hormonal ou pas de l'agressivité masculine ou féminine, je ne maîtrise pas le sujet... Seul le principe d'avoir un instinct sexuel (sans préjuger de ce vers quoi il se dirige) semble établi, et encore, il y a même quelques personnes qui semblent n'en avoir aucun. Avec là aussi une grande difficulté pour distinguer l'inné de l'acquis.
La bonne et la mauvaise nouvelle à la fois, c'est qu'avec cette explication,
l'espèce humaine est unique quel que soit son comportement sexuel. Agresseurs compris. Et le truc qui me chiffonne un peu mais bon, difficile de faire autrement, c'est que finalement on se retrouve avec la morale en arbitre pour dire ce qui est bien ou mal ou ni bien ni mal. Or, question morale, chacun, et chaque société, peut avoir la sienne ("leur morale et la nôtre"...) Je serai adepte du "pas de problème sur ce que l'on fait à partir du moment où l'on parle de sexualité entre adultes consentants", ce qui ne règle pas la question de la définition du consentement d'ailleurs (qu'est-ce qui pousse à consentir ?) Mais certaines sociétés prônent le mariage d'enfants (ou de pré-adolescents) considéré comme normal. Certaines sociétés intègrent relativement bien les homosexuels, d'autres ne font que les tolérer, d'autres les pourchassent voire les tuent. Certaines sociétés condamnent fortement les agressions sexuelles, d'autres protègent davantage les agresseurs que leurs victimes. Et à l'intérieur de chaque société, plusieurs "morales" peuvent cohabiter. On le voit bien ici, avec les adeptes du "un papa, une maman"... et les quelques policiers ou juges qui ne qualifient pas de viol un rapport sexuel imposé par un adulte à une gamine de 11 ans.
On en revient donc à cette société d'oppression, une oppression qui prend des formes variées suivant les pays. Oppression qui se décline en fonction du sexe masculin ou féminin - en dehors de l'oppression de classe, le plus gros morceau sur la planète c'est quand même l'oppression des femmes - et aussi en fonction de l'orientation sexuelle. (Sans parler de la couleur de peau, de l'origine, de la religion etc.) On retrouve là le meilleur point d'appui des responsables d'agressions sexuelles : épouser le masque d'une oppression officiellement ou officieusement admise. Dans un même pays il y aura des agressions sexuelles admises ou considérées comme ayant des circonstances atténuantes, et d'autres non : pour un agresseur, il est plus confortable de se situer dans le premier cas. La prédominance des agressions sexuelles réalisées par des hommes à l'encontre des femmes, cela peut venir de là.