CITATION (Le Monde @ 31 octobre 2003)
Au conseil régional de Nord - Pas-de-Calais, les élus de Lutte ouvrière cultivent l'intransigeance
Ils s'opposent à la majorité de gauche, qui les juge "sectaires"
Lille correspondance
Ils sont sept. Sept conseillers régionaux de Lutte ouvrière sur 113, au sein du conseil régional de Nord - Pas-de-Calais. Depuis près de six ans, ils entretiennent une solide réputation de "chevaliers blancs" antilibéraux. Et font beaucoup parler d'eux.
Ils ont fait leurs armes dans le syndicalisme et le militantisme politique du début des années 1970 comme Nicole Baudrin, l'actuelle présidente du groupe. Alors qu'elle débute dans le métier de sage-femme, en 1974, elle s'indigne du manque de moyens dans les hôpitaux et crée un syndicat dans la petite structure qui l'emploie à l'époque. "Trente ans après, rien n'a changé", constate-t-elle.
Ouvrier mécanicien chez Aluminium Dunkerque (Pechiney) depuis 1991, Dominique Wailly est devenu trotskiste après 1968. Ouvrier métallurgiste dans les années 1970, il a vu progresser les attaques patronales tandis qu'il vivait les combats contre les licenciements, les occupations d'usines, les fermetures. Pour lui non plus, rien n'a changé.
En entrant au conseil régional, les élus LO n'ont pas voulu renier ce vécu. "Nous avons gardé un emploi, fût-ce à mi-temps", insiste Nicole Baudrin, pour qui il importe de rester en contact avec les réalités du terrain et des luttes syndicales et politiques. Autre conseiller, Régis Debliqui, licencié de l'usine Lever, à Haubourdin (près de Lille), reste présent aux côtés de ses "camarades de lutte".
Connu pour son franc-parler, le président (PS) du conseil régional, Daniel Percheron, ne peut cacher son agacement et sa "perplexité" devant les votes apparemment contradictoire de ces élus. Il dit regarder "avec beaucoup d'intérêt les arrière-petits-enfants de Trotski joindre leurs voix à celles du Front national et de la droite classique".
C'est en effet le principal reproche des conseillers de gauche à leurs collègues d'extrême gauche. Systématiquement, ces derniers rejettent le budget. La raison est toujours la même : pas question pour eux d'apporter quelque aide que ce soit aux entreprises.
"SOCIAL-TRAÎTRES"
Sénateur (PCF) du Nord, Ivan Renar les juge "simplistes et sectaires". Il leur reproche aussi de rejeter systématiquement toutes les délibérations issues de la commission consacrée au développement économique et à l'emploi. "Pour eux, ajoute le président Percheron, aider financièrement l'implantation d'une usine comme Toyota à Valenciennes est le comble de l'horreur. Tans pis pour l'emploi." Paradoxe : lors des délibérations, les aides visant à améliorer les nombreux plans sociaux de la région sont également repoussées.
"Faux !" rétorque Nicole Baudrin, qui a fait ses comptes. "Durant la dernière année, en commission permanente, nous avons voté plus de 66 % des délibérations et nous nous sommes abstenus pour 17,8 %."
"C'est vrai, reconnaît le conseiller Vert Louardi Boughedada, les élus de LO s'opposent rarement aux délibérations concernant la culture. Mais ils peuvent aller jusqu'à refuser de voter des subventions pour la rénovation des lycées publics au prétexte que cela revient à aider les entreprises du BTP ! Cette obsession en a fait de véritables experts en matière de composition du capital des entreprises. Ils étudient chaque dossier à fond."
Une attitude qui leur vaut parfois l'indifférence lors des réunions plénières ou à la commission permanente. "Ils ont des choses intéressantes à dire, plaide Nicole Taquet (élue LCR qui siège dans le groupe des Verts), mais lorsqu'ils prennent la parole on ne les écoute pas."
Autre grief des conseillers LO vis-à-vis de leurs collègues : l'implication et la responsabilité de la gauche plurielle dans la politique libérale. "Ils ne pensent qu'à nous considérer comme des social-traîtres", estime Ivan Renar. Le conseiller régional (PS) et député du Nord Jean Le Garrec en sait quelque chose. Un jour où il allait à la rencontre d'infirmières grévistes, à Lille, il a tendu la main à Nicole Baudrin, qui est restée stoïque : "Je ne serre pas la main d'un ancien ministre."
Philippe Allienne
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