Extrait de la dernière "Lutte de Classe", débat au dernier congrès de LO, , un passage de "Discussions sur les textes d’orientation" :
La manifestation du 10 novembre contre l’islamophobie
Pour les camarades étrangers qui n’ont sans doute pas suivi la chose, expliquons en deux mots. Un appel à manifester le 10 novembre a été lancé à l’initiative d’organisations communautaristes, dont le CCIF réputé proche des Frères musulmans, pour dire « stop à l’islamophobie ». Appel auquel la plupart des dirigeants de gauche se sont ralliés, du moins dans un premier temps. Nous avons décidé d’y participer sur la base de notre propre appel et avec nos propres mots d’ordre.
Cette participation n’a pas été contestée dans les assemblées préparatoires de ce congrès, mais elle a suscité beaucoup d’interrogations dans nos rangs et elle a provoqué de nombreuses réactions dans notre milieu sympathisant et parmi ceux qui nous suivent de plus loin. Ces réactions sont allées de l’incompréhension à l’hostilité. C’est donc un point important sur lequel nous n’avons pas fini de nous expliquer autour de nous. Dans toutes ces réactions, il y a une constante : celle d’être plus préoccupés de notre pureté théorique que de la solidarité que nous avons à exprimer vis-à-vis d’une partie des nôtres, les travailleurs immigrés. C’est le fond du problème.
Nous avons réagi dans un contexte bien particulier. Pendant plusieurs semaines, nous avons assisté à un matraquage intense contre les immigrés et contre les musulmans en particulier. Il y a eu la polémique sur les femmes voilées en sortie scolaire, la démagogie du gouvernement sur l’immigration. Il y a eu l’attentat de la préfecture de police et tous les amalgames habituels. Enfin, du gouvernement jusqu’à l’extrême droite, en passant par de nombreux chroniqueurs télé, ils en ont tous profité pour mettre en accusation les musulmans et les femmes voilées. Pour les accuser de ne pas être républicains, de ne pas vouloir s’intégrer et de produire le terrorisme. Un élu du RN a pris à partie une femme voilée au conseil régional de Bourgogne, et un raciste a tenté de mettre le feu à la mosquée de Bayonne et a tiré sur deux personnes. Tout cela a suscité de l’émotion, de la colère et un fort sentiment d’injustice parmi les travailleurs immigrés. Et nous nous devions d’exprimer notre solidarité.
Alors oui, nous étions mal accompagnés et nous le savions quand nous avons pris notre décision. Mais ceux qui ont refusé de manifester et, pire, ceux qui y ont renoncé sous la pression, n’étaient pas en meilleure compagnie. Et, en refusant de manifester, ils ont laissé le terrain au RN, à la droite et au gouvernement ! Encore une fois, nous sommes dans le camp des travailleurs, et quand certains d’entre eux, parmi les plus opprimés, les plus écrasés, sont attaqués, il faut le dénoncer et il faut les défendre. Évidemment, nous n’avons rien à faire avec les islamistes, ce sont des ennemis politiques, mais nous avons à faire avec les travailleuses et les travailleurs musulmans. Ils font partie des nôtres, nous menons la lutte de classe quotidienne avec ces travailleuses dont certaines sont voilées, avec ces travailleurs qui se réfugient dans des pratiques rigoristes de la religion. Et nous voulons qu’ils sachent que nous sommes capables d’entendre leur colère et de la partager, même si nous sommes athées, même si nous pensons que la religion est l’opium du peuple, même si nous pensons que le voile est un instrument d’oppression.
Au-delà de nos différences d’origine et de croyances, nous voulons dire aux exploités qu’il y a quelque chose de supérieur qui nous unit : notre solidarité de classe. Nous voulons démontrer que quand on attaque injustement un des nôtres, on se sent tous attaqués. C’est un choix de classe.
Le dilemme face auquel nous nous sommes retrouvés avec cette manifestation est assez classique. Nous y sommes régulièrement confrontés parce que nous sommes petits et parce que nous ne sommes pas en mesure d’influencer les événements. Alors on se retrouve en permanence à devoir se rallier et se mettre à la remorque d’un tel ou un tel. C’est vrai quand on manifeste notre solidarité avec les Palestiniens. On ne peut plus le faire sans se retrouver derrière ou à côté du Hamas ou de certains islamistes. Et, parce que l’on critique la politique d’Israël, on est taxés d’antisémites. Alors, faut-il renoncer à dire notre solidarité vis-à-vis des Palestiniens et à s’adresser aux travailleurs d’ici qui sont révoltés par la situation ? Bien sûr que non.
À un tout autre niveau, prenons la guerre d’Algérie. Se solidariser avec le combat pour l’indépendance, c’était se mettre dans le camp du FLN, qui avait imposé son hégémonie sur le peuple algérien et dont on savait qu’il allait se retourner contre les travailleurs et qu’il le ferait avec la force d’une dictature implacable. Eh bien, il fallait le faire, parce que c’était le seul moyen de se positionner, sans ambiguïté, dans le camp du peuple algérien qui se battait pour son émancipation.
Alors oui, tant que nous ne serons pas en mesure d’influencer de grandes masses de travailleurs, nous aurons à exprimer notre solidarité vis-à-vis des opprimés malgré les dirigeants qu’ils se donneront, malgré les idées et les préjugés que les opprimés, eux-mêmes, véhiculeront.
Notre combat contre les intégristes et contre les religions
Aujourd’hui, certains nous accusent de complaisance par rapport aux islamistes politiques, et de renier nos idées, alors que des femmes et des hommes doivent résister aux pressions et au flicage de ces mêmes islamistes.
Nous savons que ces pressions existent, et nous sommes du côté de ceux qui les combattent. Mais la seule façon de faire reculer ces intégristes, c’est de leur disputer l’influence sur la classe ouvrière. Les intégristes ont d’autant plus d’influence qu’ils sont désormais les seuls à être implantés dans les quartiers ouvriers et à répondre à leur sentiment d’injustice et d’abandon. Cela fait partie des problèmes. Dénoncer le racisme ne peut pas, ne doit pas être le monopole des islamistes politiques. C’est un piège et un grand danger pour les travailleurs. C’est précisément le but visé par l’extrême droite franco-française et son symétrique, l’extrême droite musulmane.
Nous nous battons pour que les travailleurs ne tombent pas dans ce piège. Des deux côtés il y a des ennemis des travailleurs. Les deux veulent diviser les travailleurs, les opposer les uns aux autres. Nous avons à défendre une autre politique, une voie indépendante pour les travailleurs sur leur terrain de classe. La seule perspective, là encore, c’est de militer dans les entreprises et les quartiers ouvriers vis-à-vis de ces travailleurs, pour les intégrer au combat de classe et les faire adhérer à leur communauté de classe. Mais c’est aussi faire un certain nombre de démonstrations, comme cette manifestation.
Quant à notre attitude sur la religion, il faut s’entendre.
D’abord il faut revenir sur notre démarche de fond. Nous combattons la religion parce qu’elle est la négation du matérialisme et des idées communistes révolutionnaires. Le marxisme, et le matérialisme dialectique qui en est à la base, sont même nés en réaction à la religion. Et comme le disait Lénine, nous considérons que « la religion et ses Églises sont des organes de réaction bourgeoise, qui servent à défendre l’exploitation et à intoxiquer la classe ouvrière ».
Tout militant qui s’engage dans nos rangs doit être athée et débarrassé de toutes ces toiles d’araignée. Pour revenir à nos listes, nous voulons que ce soient nos listes, et pas la liste d’un tel ou d’un tel connu pour animer le catéchisme ou s’occuper de la mosquée, par exemple. Alors parfois on ne le sait pas, et on ne le voit pas. C’est vrai, eh bien il faut essayer de connaître au mieux les femmes et les hommes qui se mettront sur nos listes, il y a aussi à vérifier leurs idées par rapport à l’immigration et à Le Pen, enfin un tas de choses à vérifier.
Tout cela vaut pour ceux qui s’engagent dans nos rangs ou nous représentent. Mais ce n’est pas sur la religion que nous cherchons à influencer ou à gagner la grande masse des travailleurs. Là où l’on bataille avec les nôtres, où l’on veut les gagner, c’est sur le terrain de classe. Nous voulons les gagner à la nécessité de la lutte contre le pouvoir et la domination de la bourgeoisie. Contrairement aux militants de l’athéisme, nous ne sommes pas en guerre contre la religion, et sûrement pas contre les femmes voilées. Dans un texte de Lénine intitulé De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion (1909)[1], il revient sur les positions de Marx et d’Engels :
« En 1874, parlant du fameux Manifeste des réfugiés de la Commune des blanquistes émigrés à Londres, Engels traite de sottise leur tapageuse déclaration de guerre à la religion ; il affirme qu’une telle déclaration de guerre est le meilleur moyen d’aviver l’intérêt pour la religion et de rendre plus difficile son dépérissement effectif.[2] »
Engels impute aux blanquistes de ne pas comprendre que seule la lutte de classe des masses ouvrières, amenant les plus larges couches du prolétariat à pratiquer à fond l’action sociale, consciente et révolutionnaire, peut libérer en fait les masses opprimées du joug de la religion, et que proclamer la guerre à la religion tâche politique du parti ouvrier n’est qu’une phrase anarchiste.
En 1877, dans l’Anti‑Dühring, s’attaquant violemment aux moindres concessions de Dühring‑philosophe à l’idéalisme et à la religion, Engels condamne avec non moins de force l’idée pseudo‑révolutionnaire de Dühring relative à l’interdiction de la religion dans la société socialiste. Déclarer une telle guerre à la religion c’est, dit Engels, « être plus Bismarck que Bismarck lui‑même ».
Nous avons nos conceptions, et elles s’opposent aux illusions, aux préjugés d’une partie importante des travailleurs. Nous ne les cachons pas, il faut dire ce que nous pensons des religions, de leurs interdits, du voile, de la condition de la femme. Mais ce n’est pas sur ce terrain que nous nous battons vis-à-vis des travailleurs. Même après la révolution russe, les bolcheviks ne sont pas partis en guerre contre la religion. C’est Staline qui a fermé les églises, brisé les croix et emprisonné les popes. Et il n’a pas fait disparaître le sentiment religieux !
C’est précisément parce que nous sommes marxistes et matérialistes que nous savons que les préjugés religieux sont les sous-produits de la société de classe et d’exploitation, et qu’ils ne disparaîtront qu’avec l’émancipation totale des travailleurs et la disparition des classes sociales.
Lénine ajoute : « Aucun livre de vulgarisation n’expurgera la religion des masses abruties par le bagne capitaliste, assujetties aux forces destructrices aveugles du capitalisme, aussi longtemps que ces masses n’auront pas appris à lutter de façon cohérente, organisée, systématique et consciente contre ces racines de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes. »