par Nero » 29 Oct 2023, 21:10
Je ne crois pas sortir du sujet en postant cet extrait d'une excellente brochure de LO de 1983 que je n'ai pas trouvée sur le site (mais j'ai peut-être mal cherché). L'extrait est très long, et je n'arrive pas à le transférer en pièce jointe. Le texte est conforme à mon exemplaire et je me suis contenté de moderniser légèrement la typo.
La lecture de ce long passage, avec lequel je suis d'accord, montre en tout cas que l'attitude de LO n'a pas toujours été celle qu'elle adopte aujourd'hui... et qu'elle peut réadopter demain !
Lutte ouvrière dans le mouvement trotskiste
(1983, pages 18 à 23)
POUR UNE COLLABORATION AU SEIN DU MOUVEMENT TROTSKISTE, AU PLAN NATIONAL…
Si, au stade où nous en sommes, l’unité n’est ni possible ni souhaitable, cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir de bons rapports entre les différentes organisations trotskistes au plan national – comme entre les différentes tendances au plan international d’ailleurs – et même collaboration entre elles.
D’abord, le fait que nous soyons trotskistes, c’est-à-dire que nous nous réclamions de la même tradition du marxisme révolutionnaire, du même programme fondamental et que nous ayons le même but, la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire et d’une Internationale, maintient entre nous, malgré les divergences, des liens. Si ce n’est pas possible maintenant, à terme par contre nous savons que nous devrons nous retrouver dans le même parti. Un parti qui d’ailleurs ne sera pas forcément monolithique mais démocratique, dans lequel les tendances s’affronteront, si elles existent, mais en même temps coexisteront parce qu’elles partageront en commun plus de choses et des choses plus fondamentales que celles qui les diviseront. Une telle perspective devrait suffire à amener les différentes organisations à nouer dès maintenant des rapports fraternels.
Mais de plus, dès aujourd’hui, ces rapports nous seraient utiles pour poursuivre chacun de notre côté des politiques différentes. Les expériences opposées et même contradictoires que nous menons n’ont rien à craindre mais au contraire tout à gagner d’être confrontées en permanence entre elles et chacune soumise à la critique permanente de la tendance opposée.
Enfin, le fait que nous soyons du même côté face à nos ennemis communs, la bourgeoisie d’abord, mais aussi les bureaucraties réformistes, social-démocrates ou staliniennes, ou au moins, que nous le voulions ou non, mis dans le même sac par tous ceux-là, devrait suffire à nous amener à nous retrouver au coude à coude et agir en commun en maintes occasions.
De tout cela, Lutte ouvrière a fait une certaine démonstration ces dernières années avec la Ligue communiste révolutionnaire.
Les rapports que nous avons entretenus et les liens que nous avons noués avec la LCR ne nous ont certes pas permis de changer la situation objective et d’unir nos deux groupes en une seule organisation. En 1971, une tentative dans ce sens ne dépassa pas la signature d’un protocole d’accord essayant de prévoir par quelles étapes nous pourrions aller vers la fusion. L’unité a achoppé dès la première étape du rapprochement, étape qui prévoyait la publication d’un hebdomadaire commun dans lequel chacune de nos deux organisations aurait exprimé librement ses positions respectives. La Ligue communiste jugea qu’il n’était pas possible pour elle d’entreprendre même cela. Et sans doute l’échec de cette tentative d’unité démontre simplement ce que nous disions plus haut, qu’elle n’est pas possible au stade actuel.
Mais en revanche, nous avons pu avoir avec la LCR, au fil des ans, toute une série d’apparitions et d’interventions communes, notamment dans les élections (un simple accord de répartition des candidatures aux élections législatives de 1973 mais des listes communes aux Européennes de 1979, ainsi qu’aux municipales de 1976 et encore de 1983) mais aussi dans des meetings, dans des manifestations, dans des fêtes même.
Sans empêcher les deux organisations de mener chacune leur politique, les rapports que nous avons noués nous ont permis d’apparaître en commun quand il s’est avéré que ce que nous avions à dire était semblable ou en tout cas pouvait être dit ensemble. Nous avons pu alors montrer d’abord que le mouvement trotskiste et révolutionnaire existe au-delà des clivages de tendances, et sans doute aussi agrandir l’impact que chacune des organisations aurait eu dans ces occasions en agissant seule.
Cette apparition publique commune de nos deux organisations pourrait d’ailleurs, à notre sens, être renforcée encore et rendue plus constante. Nous avons proposé à plusieurs reprises à la LCR de publier un hebdomadaire commun qui permettrait certainement de faire une presse plus riche, mieux informée, meilleure en un mot que les hebdomadaires actuels des deux organisations. Dans cet hebdomadaire, chacune des deux organisations pourrait y exprimer ses analyses et y défendre sa politique. Cette collaboration renforcée, en élargissant l’impact du mouvement trotskiste tout entier, élargirait celui de chacune des organisations, et sans les empêcher en quoi que ce soit de mener leurs activités et leurs politiques propres, créerait aussi les conditions pour que l’action ou l’intervention commune soit réalisée chaque fois qu’elle est possible.
Et plus généralement, nous pensons que nous pouvons avoir toute une activité de type propagandiste systématiquement commune, dans les meetings publics par exemple. En matière de propagande, en effet, dans la presse ou dans les meetings, nous pourrions apparaître en commun, même si nous exprimons alors des divergences. C’est dans les luttes ou dans les activités que, lorsqu’il y a des divergences, alors l’intervention de chacune des organisations doit être indépendante.
La LCR a jusqu’à maintenant refusé cette proposition d’hebdomadaire commun, n’acceptant que la publication d’un supplément mensuel commun à Rouge et Lutte ouvrière qui n’a certes ni la même portée ni le même sens. Notre proposition demeure pourtant.
Et si nous n’avons pas de rapports avec le PCI, ce n’est que parce que l’attitude sectaire de celui-ci les rend complètement impossibles. Il est difficile en effet de collaborer, ou même d’avoir la moindre relation avec un groupe dont les dirigeants n’hésitent pas à calomnier, comme ils le firent en 1973 en accusant la Ligue communiste et Lutte ouvrière d’être « propulsées par la bourgeoisie » pour se présenter à des élections législatives… après avoir eux-mêmes négocié avec ces deux organisations, pendant des mois, la possibilité de se présenter ensemble. Ou qui prennent leurs propres engagements tellement peu au sérieux qu’ils n’hésitent pas à les rompre sans explication, comme ils le firent encore en juin dernier à propos d’une manifestation projetée en commun par nos trois organisations lors de la venue de Reagan à Paris.
Mais il nous souvient que le groupe du PCI, dans d’autres circonstances, plus difficiles pour lui, accepta jadis de collaborer avec Voix ouvrière dans les années 1959-60. Nous ne perdons donc nullement espoir de le voir revenir à une attitude plus digne, plus saine et plus correcte, quand son absurde triomphalisme actuel lui aura passé ou qu’il aura enfin compris qu’il est vain de croire qu’il sera plus facilement accepté par les dirigeants sociaux-démocrates parce qu’il aura pris davantage de champ d’avec les autres organisations trotskistes.
… ET À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE
Les rapports que Lutte ouvrière s’efforce d’avoir avec la LCR en France pourraient exister aussi au plan international. En tout cas, en ce qui concerne Lutte ouvrière, elle y est prête, et les imagine fort bien.
Bien sûr, surtout dans l’état actuel des organisations trotskistes, il est certainement plus difficile de trouver des occasions d’apparitions communes à l’échelle internationale telles qu’il peut en exister à l’échelle d’un pays. C’est vrai que les élections n’existent pas à cette échelle, mises à part les élections au Parlement européen…
Mais ce qui serait possible tout de même, c’est une collaboration et des relations qui permettraient d’échanger et de confronter les idées, les analyses, les positions politiques et les critiques mais aussi les expériences des uns et des autres.
C’était le sens de la proposition faite par Lutte ouvrière dans une adresse au mouvement trotskiste en 1976. Le fait qu’à part celui de quelques petits groupes, notre proposition n’ait pas rencontré d’assentiment, n’a pas permis de lui donner suite ni même de mettre sur pied un cadre de discussion comme nous projetions.
C’était d’ailleurs aussi le sens de l’acceptation, dès 1966, par Voix ouvrière de participer à une conférence internationale organisée par le Comité international sous la direction des groupes français et anglais de l’OCI et de la SLL. Là aussi, ce fut la prétention de ces groupes, prétention dont le vide devait être bien démontré par la suite, de se considérer comme l’Internationale plutôt que d’entamer une réelle discussion, qui nous amena à l’abandonner.
Car c’est bien là, plus que la difficulté de trouver des occasions d’apparaître en commun, le véritable obstacle à la collaboration et l’établissement de liens entre les différentes tendances trotskistes. Trop d’entre elles se considèrent, sans le dire ou même en le disant, comme la Quatrième Internationale. Même le Secrétariat unifié ne peut réellement prétendre être ne serait-ce que l’embryon d’une véritable Internationale. Ses sections n’ont en aucun point du globe d’influence sur une partie des masses prolétariennes et sa direction n’a en rien fait la preuve de sa compétence, ni en ce qui concerne la construction d’une organisation, ni en ce qui concerne la direction de luttes sociales ou politiques, pour étayer un tant soit peu cette prétention.
Il est sans aucun doute normal que les groupes qui partagent une même orientation générale ou qui ont établi certains rapports de confiance entre eux nouent des relations et même se donnent éventuellement des structures internationales. Mais la prétention du SU d’être la Quatrième Internationale qu’il n’est pas, qu’il ne peut être et que nul groupe ne peut être aujourd’hui (il n’est pas le seul à avoir cette prétention, mais le fait que d’autres y prétendent avec encore moins de raisons que lui n’est pas une excuse) constitue un obstacle à ce qui pourrait être fait dès aujourd’hui pour commencer à s’engager dans la voie de la construction de l’Internationale. Car une telle prétention écartant du coup tous ceux qui ne l’admettent pas, empêche que se nouent des relations et des liens entre les groupes et les tendances.
De plus la prétention du SU à être une organisation internationale fonctionnant suivant les règles du centralisme démocratique est en grande partie une fiction, fiction puisqu’il est bien connu que ses plus importantes sections, SWP aux États-Unis ou LCR en France, mènent chacune de leur côté des politiques opposées sans reconnaître quelque autorité que ce soit, fiction que le SU lui-même reconnaît pour telle parfois, quand il écrivait par exemple dans une lettre à Lutte ouvrière en date du 9 mars 1976 que ce centralisme démocratique exclut formellement « la possibilité pour des congrès ou des directions internationales de modifier administrativement la composition des directions nationales ou de déterminer la tactique des sections nationales ». Le SU est très probablement bien avisé d’agir ainsi. Mais cette fiction qu’il maintient par ailleurs d’une organisation internationale centralisée et disciplinée est source de confusion. Elle ne fait que contribuer à masquer la situation réelle dans laquelle est le mouvement trotskiste international, et du coup le but à atteindre qui est pourtant bien un parti international de la révolution fonctionnant d’une manière centralisée et démocratique. Mais pour ce faire, il faudra prendre une conscience claire du chemin encore à parcourir et des conditions à remplir, dont l’une au moins est bien l’établissement de rapports de confiance et de sérieux entre les groupes et les tendances. Aucune fiction ne peut aider à cela.
Nous ne sommes pas naïfs. La reconstruction de la Quatrième Internationale suppose certainement bien d’autres choses que l’établissement de relations fraternelles à l’échelle du mouvement trotskiste international. Elle suppose des succès dans l’organisation du parti révolutionnaire et aussi dans la direction de luttes. Mais de telles relations aujourd’hui placeraient cependant le mouvement tout entier en meilleure position et pour entreprendre cette construction dans l’avenir, et peut-être même pour les tâches immédiates qui sont celles de chacune des organisations. C’est pour cela que, sans illusions excessives, mais avec conviction, nous militons pour qu’elles s’établissent.
Le mouvement trotskiste existe, faible mais bien vivant, à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale. Nous sommes persuadés, parce que le programme trotskiste est le condensé de l’expérience du mouvement ouvrier révolutionnaire, que c’est bien à partir de lui que peuvent être reconstruits des partis ouvriers révolutionnaires et l’Internationale.
Nous savons aussi que tout reste à faire et qu’il ne suffira pas seulement de la bonne volonté réciproque bien sûr, mais qu’il faudra l’épreuve des faits et des succès qui justifieront certaines orientations et démontreront l’inconsistance d’autres, ou même leur nocivité. C’est pour cela que nous sommes les premiers à défendre et à tenir à notre indépendance.
Mais nous savons aussi que cela ne devrait pas empêcher des relations, une collaboration même, des différentes organisations qui se réclament du trotskisme, à l’échelle nationale et internationale. Cette collaboration est possible. Nous en donnons un petit exemple avec la Ligue communiste révolutionnaire.
À cette collaboration, ces relations, Lutte ouvrière est, pour sa part disposée, à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale.