Cyrano a écrit :Plestin a fait un long texte bien ordonné, mais, j'aimerais bien qu'on m'éclaircisse.
«L'émergence d'un parti révolutionnaire nécessite d'avoir créé quelque chose qui tient la route,» Mais quand saura-t-on à partir de quoi? de quand? que ce quelque chose tient la route? Qui décidera? Car on peut toujours faire mieux et mieux tenir la route.
Déjà tenir la route sur le long terme en période d'absence de luttes significatives, ce qui signifie garder une certaine cohésion et ne pas exploser en morceaux comme a pu le faire le NPA, mais aussi réussir à se construire patiemment en s'implantant dans toujours plus de villes, de quartiers populaires et d'entreprises. C'est un bon début car un parti révolutionnaire pourra mieux s'appuyer sur les organisations qui en ont été capables et se structurer autour d'elles. Je ne crois pas du tout au parti révolutionnaire qui naîtrait à partir de rien (de rien de préalablement organisé s'entend), a-t-on déjà vu de tels cas par le passé ?
Ensuite et surtout, tenir la mer dans la tempête des événements, qu'ils soient des événements réactionnaires avec une pression sociale monstrueuse comme par exemple en cas de guerre, ou des événements révolutionnaires nécessitant d'être capables de saisir les occasions d'y défendre ses idées et de jouer un rôle significatif ; et les deux types d'événements peuvent se succéder ou alterner ! Cela, on ne peut le savoir aujourd'hui, si nos organisations céderont à la première pichenette ou fondront comme neige au soleil car leur milieu se détournera d'elle dans un contexte délétère etc. (et même là, la question sera de savoir s'il subsiste une structure qui tient le coup contre vents et marées ou s'il n'y a plus qu'un pantin désarticulé et des individus livrés à eux-mêmes et à la répression). Ou si elles seront capables non seulement de se maintenir malgré la répression mais aussi d'agréger de plus en plus de travailleurs autour d'elles et autour des idées révolutionnaires communistes ; de faire en sorte que ces idées soient reprises dans de larges couches de la classe ouvrière, y compris en dehors de l'organisation elle-même (et si tel est le cas on pourra incontestablement parler de parti).
Si on prend (au hasard) le cas de LO, la première étape "sur le long terme" est plutôt réussie, l'organisation est effectivement présente dans davantage de villes et de quartiers populaires qu'il y a une trentaine d'années par exemple, mais pas forcément dans davantage d'entreprises même s'il y a des raisons objectives (l'évolution du tissu économique avec de nombreuses fermetures et peu d'ouvertures de grandes entreprises ; l'explosion des emplois précaires qui font qu'il est devenu très difficile de se faire embaucher en CDI dans certaines boîtes et d'y effectuer un travail sur la durée) ; de plus, il y a des villes avec beaucoup de jeunes mais d'autres où il n'y en a guère. D'autres organisations issues de l'éclatement d'orgas plus grandes comme l'ancien NPA ou l'ancien POI sont peut-être dans une situation similaire (de progression organique à leur échelle), cela reste à voir, mais elles sont plus petites et donc encore plus loin de pouvoir devenir l'ossature d'un futur parti, d'autant que le nombre de leurs membres est quelque peu gonflé par le fait que leurs critères d'inclusion sont plus larges que ceux de LO.
Si on prend d'autres organisations de l'UCI que LO, Combat Ouvrier en Martinique et en Guadeloupe a montré sa capacité à tenir sur le long terme elle aussi malgré parfois une répression plus forte qu'en métropole, avec peut-être aussi la question du rajeunissement qui (vu de loin) me semble plus sensible en Martinique qu'en Guadeloupe où des jeunes ont été organisés autour du journal Rebelle ! ; et les organisations de certains pays ont fait mieux, tenir sur le long terme quand les conditions sont extrêmement difficiles comme en Côte-d'Ivoire (un pays qui a tout de même connu pendant des années une coupure entre Nord et Sud avec des affrontements "ethniques" traversant jusqu'à la classe ouvrière d'Abidjan) voire carrément épouvantables comme en Haïti, pays en pleine déliquescence où il faut de la constance, de la solidité et des principes pour ne pas être submergé par l'envie de se trouver une issue personnelle en émigrant. Dans ces pays, les étapes 1 et 2 sont quelque peu concomitantes...
Cyrano a écrit :Et aussi: «il n'y a aucune raison de se constituer en un seul "parti", qui d'ailleurs n'en serait pas un.» Et pourquoi ça en serait pas un, d'ailleurs?
Cela n'en serait pas un tant que le regroupement porterait sur des organisations dont l'addition ne changerait rien à leur faible influence dans la classe ouvrière, comme ce serait le cas aujourd'hui avec LO + le NPA "pas Poutou" + RP + le POID + La Riposte, si seulement une telle addition hétéroclite avait du sens. Évidemment, se regrouper dans une période où toutes les organisations concernées "prendraient l'ascenseur" en réunissant de plus en plus de travailleurs autour d'elles sur la base des idées révolutionnaires, ce serait autre chose... Ce serait un parti.
Il en serait de même pour une Internationale.
Mais c'est vrai que dans l'histoire du mouvement ouvrier, même en France, au tout début du XXème siècle il y avait bel et bien des partis (par l'influence qu'ils avaient dans la classe ouvrière) dont l'implantation géographique était peut-être moins large que celle de l'actuelle LO. Et du vivant de Trotsky, il y a eu une IVème Internationale proclamée par lui face à l'approche de la guerre, avec des organisations qui étaient pour la plupart loin d'être des partis - en fait, en-dehors de Trotsky lui-même, seule l'organisation russe en butte à une répression féroce disposait de l'importance et de l'expérience nécessaires et la répression l'a quand même faite complètement disparaître par la suite.