Où va la CFDT ?

Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité politique en France

Message par Sudiste » 31 Jan 2004, 12:44

La question n'est pas nouvelle mais elle connaît une acuité particulière depuis le 15 mai 2003 qui a vu les dirigeants de la CFDT apporter leur caution à la réforme Fillon des retraites et se retirer brutalement d'une mobilisation sociale d'envergure. Répondant dans ces colonnes à ceux qui dénonçaient le “recentrage” opéré depuis 1978, l'ancien Secrétaire Général de la CFDT, Edmond Maire, ironisait sur les “nostalgies” de ceux qui “prétendent regretter la CFDT de leur jeunesse”. Il soulignait dans le “recentrage (sur les missions fondamentales du syndicalisme) de l'autonomie et de la négociation” la continuité avec les origines de la centrale et faisait l'éloge du “réalisme” nécessaire pour “prendre la mesure du possible” dans le partage des richesses. Nous ne discuterons pas ici des divers degrés de “continuités” et de “ruptures” qui jalonnent le parcours de la CFDT et de la “minorité” au sein de la CFTC. Nous aborderons simplement deux thèmes revendiqués par la direction confédérale: “le réalisme du possible” qui éclaire la nature de son “réformisme moderne” et son rapport au mouvement social qui éclaire sa conception de “l'autonomie du social”.

La réforme des retraites illustre bien l'appréciation confédérale de “la mesure du possible”. L'équilibre financier y est principalement recherché par l'allongement de la durée de cotisation et la confirmation des critères de calculs des retraites issus de la réforme Balladur, conduisant à une baisse des pensions de l'ordre de 20 à 30 %. Les quelques mesures en faveur des plus défavorisés (smicards et carrières longues) sont financées par des régressions sensibles pour le plus grand nombre. Comment pourrait-il en être autrement en l'absence de financements supplémentaires ? Ce renoncement à exiger que soit affectée à un nombre croissant de retraités une part croissante du revenu national est la marque du “réformisme moderne” revendiqué par François Chérèque. Depuis vingt ans, la répartition des richesses dans notre pays a vu la part des salaires reculer de dix points au bénéfice des profits. La “fracture sociale” et ses conséquences politiques ont été le prix à payer de cette “victoire” des actionnaires et des rentiers face à des salariés placés sur la défensive. La direction de la CFDT considère pourtant que l'on ne peut pas modifier sensiblement cette répartition des revenus. Dans la logique de ce “réformisme moderne”, il n'y a plus de marges pour faire progresser graduellement les droits sociaux du plus grand nombre par une plus juste répartition des richesses produites. Les seules possibilités se résument désormais à redistribuer suivant ce “nouvel impératif” entre salariés du public et du privé, entre actifs et retraités ; et non plus entre revenus du capital et revenus du travail.

L'essentiel est désormais, au nom de la lutte contre l'exclusion, la mise en place de minces et fragiles filets de sécurité. Les droits sociaux se voient ainsi remplacés par des mesures d'inspiration caritative. Considérer comme intangible, dans le cadre du capitalisme globalisé, l'actuel partage des richesses, c'est se condamner à ne mener au mieux qu'une politique syndicale d'atténuation des politiques libérales voire, au pire, à inscrire l'action syndicale dans l'acceptation des reculs sociaux que - selon le patronat et les idéologues libéraux - les salariés doivent consentir pour se couler dans le nouvel ordre mondial. D'où des positions confédérales accompagnant la régression des droits des salariés et des chômeurs, la libéralisation des services publics, le désengagement de l'Etat, etc. D'où aussi cette horreur des mouvements qui prétendent résister à cette entreprise de démantèlement social. Le dernier magazine confédéral aux adhérents contient une violente attaque contre le mouvement altermondialiste et la CFDT se tient à l'écart de la préparation du Forum Social Européen. On se souvient des prises de positions de Nicole Notat à l'égard du mouvement des chômeurs en 1997 et de celles exprimées sur la marche des chômeurs organisée par AC! en 1994, les occupations de logements vacants initiées par le DAL en 1995, ou les manifestations des sans-papiers.

Ce ne fut pas toujours le cas. En 1984, Edmond Maire écrivait dans “La CFDT en question” : “Les nouveaux mouvements sociaux ont eu pour nous l'immense intérêt de nous obliger à ouvrir les yeux sur des aspirations qui, si fortes soient-elles, ne sont pas spontanément reprises par une collectivité syndicale. (Ils) ont montré la possibilité de types de regroupements, de mobilisation sociale sur des thèmes que nous prenons encore mal en compte. Ainsi stimulés, nous avons l'ambition de participer à ces combats sans prétendre nous substituer à de tels mouvements, qui doivent poursuivre leur action propre”. Le recentrage allait pourtant bon train, mais qu'ont de commun la référence au rôle du mouvement social et l'articulation avec l'action syndicale qu'il décrivait alors et la vision d'aujourd'hui de la direction de la CFDT qui ne voit que manipulation et complot dans les mouvements qui agitent la société depuis une douzaine d'années ? Si la coupure à l'égard des mouvements sociaux semble désormais profonde et systématique, le même chemin est emprunté à l'égard des conflits du monde du travail. Les seuls conflits qui trouvent grâce aux yeux de la direction confédérale sont ceux qui voient s'opposer des salariés à une catégorie du patronat jugé particulièrement rétrograde (routiers, Maryflo). La grève redevient ce qu'elle fut du temps de la CFTC d'avant guerre, “l'ultima ratio” face au patron qui exagère. Pour le reste, les conflits et notamment ceux qui émanent du secteur public, sont vécus à regret quand il ne sont pas purement et simplement condamnés.

Le sommet de cette coupure avec les conflits du travail fut atteint en novembre-décembre1995. Pour la première fois de son histoire, la direction confédérale n'a pas accompagné l'expression du profond malaise social qui se faisait jour dans le monde du travail. Elle a alors adopté une démarche de défense globale du plan Juppé contre le mouvement social. Tirant les leçons de cet épisode lors d'un Conseil National Confédéral en janvier 1997, Nicole Notat faisait de l'attitude adoptée fin 1995 “le passage à l'acte d'une stratégie revendicative réfléchie de longue date”. Que signifie dans ces conditions la revendication “d'autonomie du social” si elle ne s'appuie pas sur les dynamiques qui traversent la société ? Si dans les années 70, “les luttes sont le moteur de la transformation sociale”, elles ne visaient pas seulement, comme on nous le dit aujourd'hui, à imposer la négociation comme seul mode de régulation de la société ; elles signifiaient aussi l'implication des travailleurs dans tous les processus qui déterminaient leur existence sociale, selon la démarche autogestionnaire de l'époque. Cette ambition de faire des travailleurs les acteurs de leur propre émancipation, réaffirmée jusqu'au milieu des années 80 n'a plus cours. Désormais, les mobilisations viennent menacer la vocation de porte-parole global de la société que prétend incarner la direction de la confédération. Une telle attitude ne peut manquer de glisser vers une conception avant-gardiste de son rôle social. “Avec la CFDT, soyez révolutionnaires, lance Nicole Notat à Charléty en mai… 1998, fabriquez le possible, le possible qui change le présent et façonne l'avenir”. Mais qui décide ce qui est possible et ce qui ne l'est pas ? Le Bureau National disposant de la conscience des priorités et de la juste mesure du possible, connaissant seul les vrais enjeux et sachant seul où se trouve l'intérêt général ! Le sommet fut atteint avec l'annonce solitaire du 15 mai ! Le couple libéralisme économique - centralisme politique caractérise la stratégie et le fonctionnement confédéral d'aujourd'hui.

Sans doute conscient de la fragilité de l'argument de continuité absolue avec l'histoire de la CFDT, François Chérèque propose une autre lecture de l'histoire au Conseil National d'octobre 2003 : “Nos aînés ont aussi fait le choix de l'autonomie de la société vis-à-vis de l'Etat en plaçant la négociation collective au centre de l'action syndicale (…). En cela, 2003 pas plus que 1995 ne constituent une rupture dans l'histoire de la CFDT (…). On peut se demander, en revanche, si la vraie discontinuité n'est pas celle de la période des années 70”. Ainsi est reniée la période la plus “identitaire” de la CFDT, celle qui avait permis son affirmation sur le champ syndical, qui avait amené vers elle toute une génération militante, qui lui avait attiré la sympathie de la jeunesse et des nouveaux mouvements sociaux des années 70. Au bout de ce parcours, faute de s'appuyer sur les aspirations et dynamiques sociales, comment le “réformisme moderne” pourrait-il éviter d'apparaître comme le médiateur social de la “contre-réforme” libérale en cours ? Le libéral-syndicalisme ne peut pas être l'avenir du syndicalisme. Ce n'est pas là affaire de nostalgie mais de conviction.



Claude DEBONS et Hervé ALEXANDRE, étaient respectivement Secrétaire Général et Secrétaire Général Adjoint (tous deux démissionnaires) de la Fédération Générale des Transports et de l'Equipement FGTE-CFDT.



Pour plus d’information, on peut consulter le site suivant :


http://spasmet-meteo.org/ Spasmet
Sudiste
 
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