a écrit :
Chirac-Raffarin, de l’imposture à la provocation,
face à la crise qui mûrit le mouvement ouvrier avance ses propres réponses
Les canaux que le mécontentement des classes populaires a utilisés pour s’exprimer ont surpris et cela provoque bien des tangages politiques. Par trop dominés par l’événement bien des militants s’interrogent, doutent.
Ces résultats seraient un démenti des analyses qui sous-tendent l’accord entre la LCR et LO. De fait une discussion s’ouvre au sein de l’ensemble de l’extrême gauche, du mouvement social mais aussi au sein du PC ou parmi les jeunes qui nourrissent des illusions vis-à-vis du PS. Quelle réponse face à la nouvelle offensive libérale et impérialiste ? Y a-t-il des réponses à la crise qui mûrit dans le cadre des institutions bourgeoises, dans le cadre même de la société capitaliste ? Les révolutionnaires ne sont-ils pas condamnés à être une minorité ? Quelle politique pour les luttes ? Quel débouché politique à ces luttes ?
Il est évident que nous avions sous-estimé la volonté d’une large fraction de l’électorat populaire d’exprimer son mécontentement à l’égard du gouvernement et de la droite en utilisant le vote pour la gauche, une volonté d’effacer la capitulation du 5 mai et ses conséquences. Nous envisagions, comme tout le monde il faut dire, une forte abstention, une désaffection à l’égard de la gauche et un score plus important pour l’extrême gauche. Les électeurs, à la surprise générale, en ont décidé autrement et c’est très bien, du moins pour l’issue du deuxième tour.
Maintenant, nous sommes devant un nouvel acte de la crise sociale et politique qui mûrit depuis 2002. Loin de nous faire douter, ces résultats nous confortent dans nos orientations politiques, l’émergence d’un nouveau parti est à l’ordre du jour. De multiples phénomènes y concourent. Contribuer à cette émergence suppose discerner derrière les basculements de l’opinion électorale les tendances profondes qui impriment leur marque aux évolutions en cours.
Nous pensions que ces élections allaient donner une image des nouveaux rapports de forces politiques à l’issue de ces deux années qui mettent un terme à la cohabitation sur fond de crise. Il nous faut intégrer l’image, même si elle est quelque peu déformée par le jeu des prismes électoraux. Les régionales sont venues corriger la présidentielle et les législatives de 2002, correction amplifiée par la mécanique électorale.
Il nous faut dans ces brusques basculements retrouver le fil conducteur des évolutions en cours pour ne pas céder aux réactions impressionnistes.
Par delà les basculements d’opinion, le social-libéralisme a rompu avec les classes populaires
Le raz de marée pour la gauche semble contradictoire avec l’idée de sa rupture avec les classes populaires. En apparence seulement. En effet, tout dépend du contenu qu’on lui donne. Personne ne pensait et ne pense que les classes populaires se sont définitivement détournées du vote pour la gauche, mais le sens et la portée de ce vote ne sont plus les mêmes.
La gauche et en particulier le PS a été un outil pour sanctionner la droite et rien de plus. De ce point de vue, le vote de dimanche dernier exprime une poussée à gauche pour une part bien plus à gauche qu’il n’apparaît car bien plus indépendante du social-libéralisme.
Le 21 avril, l’électorat de gauche a sanctionné le social-libéralisme, le 28 mars, le même électorat a sanctionné la droite en utilisant le social-libéralisme. Dans le même temps, il a voulu effacer le vote Chirac du 5 mai. Au lieu d’un vote d’adhésion à un projet politique qui, au demeurant, n’existait pas, il s’agit d’un vote sanction qui se retourne contre Chirac mis en place par la gauche elle-même.
Ce n’est pas le vieux clivage droite-gauche comme expression, déformée, d’un clivage politique et social fondamental, qui reprend corps.
Aujourd’hui, le PS n’est plus la vieille social-démocratie, il est un parti de l’alternance bourgeoise et institutionnelle, partisan du social-libéralisme. C’est ce qui change la nature de ses relations avec le monde du travail même si, en certaines circonstances, une large fraction de ce dernier peut se servir de lui contre ses ennemis de droite ou d’extrême-droite.
Le fait que bon nombre de travailleurs ou de jeunes aient cru se protéger de Le Pen en votant Chirac ne construit pas des liens forts entre lui et les classes populaires… Le parallèle a ses limites mais il éclaire la discussion. Et de même que notre solidarité avec ces travailleurs ne signifiait nullement voter pour Chirac avec eux, nous n’avions pas plus de raison de voter pour ceux qui avaient mis Chirac en place après avoir gouverné sous son autorité. Les listes LCR-LO ont bien eu raison de dire « Nous comprenons ceux qui veulent voter contre la droite en votant à gauche mais pour notre part nous ne donnons pas de consigne de vote. A la gauche de convaincre ses électeurs, nous, nous n’approuverons pas par notre vote la politique social- libérale. »
Etre au cœur du mouvement de rejet de la droite et de sa politique, faire entendre les intérêts du monde du travail
La campagne des révolutionnaires les a mis au cœur de ce mouvement de rejet de la droite. Nous n’avons pas été l’outil électoral de ce rejet pour bien des raisons dont la loi électorale visant à écarter les petits partis n’est pas la moindre. Nous ne nous faisions pas d’illusion, les habitudes entretenues par les illusions électorales et parlementaires dans ce pays ne désignaient pas « le parti des luttes » comme le meilleur instrument pour sanctionner la droite.
Nous sommes partie prenante de ce mouvement mais pour lui donner un débouché… social et combattre ceux qui veulent le maintenir dans le cadre du jeu pervers de l’alternance parlementaire.
Etre dans le mouvement de rejet de la droite ne signifie pas se rallier au social-libéralisme, au contraire même. De ce point de vue notre attitude commune avec LO a été juste : nous sommes la seule opposition contre la droite, et nous avons exercé une pression politique dans cette campagne comme jamais nous ne l’avions fait. L’arrêt des subventions au patronat est devenu un des thèmes de positionnement dans la campagne. L’extrême gauche a su porter la question sociale sur le devant de la scène électorale et c’est très bien. Jamais dans le passé nous n’avions autant pesé dans le débat politique.
La question n’était pas et n’est pas de « virer Chirac » car pour le mouvement ouvrier elle ne se pose pas indépendamment des solutions que lui est prêt à mettre en avant. Elle est, nous y reviendrons, de se donner les moyens d’imposer ses revendications contre le gouvernement. Qu’ils cèdent ou qu’ils partent ! Oui, nous ne craignions pas de créer une crise politique par nos luttes. Et cela quel que soit le gouvernement.
Quand l’alternance n’est plus facteur de stabilité politique mais accélère la crise sociale et politique
Notre problème est d’aider au regroupement des militants les plus lucides, c’est-à-dire qui ont compris que les élections étaient un terrain de bataille politique dont les ressorts étaient, au final, dans les rapports de forces entre les classes.
Les régionales expriment et accentuent les éléments de crise politique et sociale. Elles viennent souligner la nécessité de nous situer dans une perspective d’accentuation de la crise politique et d’une montée sociale. Les rythmes en sont inconnus, mais il y a accélération.
Les causes de cette crise ont été déjà décrites : la nouvelle phase d’offensive libérale et impérialiste dicte au personnel politique de la bourgeoise sa politique, gauche-droite peuvent alterner mais elles sont condamnées à mener la même politique comme le prouve l’exemple Schröder. La machine à tromper les masses du parlementarisme bourgeois est grippée. Le personnel politique s’use et se discrédite vite, plus les tensions sociales s’exacerbent plus l’usure du pouvoir est profonde et rapide.
Il y a une exacerbation des éléments de crise.
Le jeu parlementaire se retourne, d’instrument de stabilité, le peu de démocratie qu’il contient encore devient instrument de crise.
Dans les mois et années à venir, les rythmes vont s’accélérer, les masses feront l’expérience des différentes politiques, les consciences vont évoluer plus vite, une nouvelle conscience de classe se forger. Il y a une course de vitesse entre la droite populiste, l’extrême droite et le mouvement ouvrier, et sa partie la plus consciente, les révolutionnaires.
Notre travail se situe dans cette perspective en mesurant les enjeux et l’urgence. Nous entrons maintenant de plain pied dans une nouvelle période.
Malgré la vague rose et le vote utile, les listes LCR-LO ont bien résisté
La presse après avoir largement relayé la campagne du PS et du PC contre le vote extrême-gauche s’est répandue après le premier tour sur le prétendu échec de nos listes. La dynamique de l’accord Ligue-Lo n’aurait pas marché, l’extrême-gauche aurait raté son pari…
Nous n’avons pas raté de pari puisque nous n’en avions pas fait. Nous avons mené une campagne politique autour d’un plan d’urgence sociale et démocratique, et nous l’avons bien mené. Cette bataille était aussi une bataille pour avoir des élus, il nous fallait essayer de passer la barre des 10%, la référence à la présidentielle donnait une crédibilité à cette démarche. Il y a échec puisque ne passant pas cette barre nous n’avons pas d’élus. Oui, mais du fait d’une loi profondément anti-démocratique. Si la loi n’avait pas changé nous aurions aujourd’hui plus d’élus qu’après 98.
De là à conclure que l’extrême gauche connaît un revers politique, il y a plus qu’un pas ! Ou alors, il n’y a revers qu’au regard des illusions et non des rapports de force réels.
Comparer nos résultats à ceux de la présidentielle n’a pas grand sens. Il serait plus juste de les comparer à ceux des législatives qui ont suivi.
Il nous faut surtout avoir un raisonnement politique global, mettre notre campagne comme ses différents résultats en perspective. Nous raisonnons en fonction de nos objectifs.
Ils n’étaient pas électoralistes, un accord électoral pour faire des voix et avoir des élus, ils étaient militants et politiques, mener campagne pour populariser les objectifs du plan d’urgence, programme pour les luttes. Et bien sûr, se battre pour qu’il y ait des élus porteurs de cette politique. Là est la vraie question.
De ce point de vue, la campagne a fonctionné au mieux de ce que l’on pouvait en attendre. Elle est un succès dans un contexte ou la loi électorale comme la volonté de l’électorat populaire d’effacer le 5 mai renforçaient la logique du vote utile.
Ce succès, relatif bien sûr aux rapports de force actuels, relance la discussion : simple accord électoral ou accord politique qui doit aller plus loin.
La situation politique générale, ce succès militant unitaire et la prochaine étape des européennes nous imposent d’aller plus loin.
Unis nous sommes plus forts que divisés
Cela devrait sonner comme une évidence pourtant il est clair que nous avons dû affronter durant cette campagne un handicap lié à l’histoire de l’extrême gauche, le prix à payer aux divisions passées. L’accord électoral limitait, par avance, la dynamique dont nos listes étaient porteuses. Par un étrange paradoxe, les révolutionnaires se limitaient à n’être qu’un instrument… électoral.
Notre campagne était affaiblie par une contradiction interne à notre accord lui-même : nous nous situions comme le parti des luttes sur le seul plan… électoral !
C’est cette contradiction qu’il nous faut travailler à résoudre, c’est-à-dire travailler à surmonter les vieilles divergences, à définir les divergences actuelles et discuter du cadre commun que nous pourrions réaliser malgré ces divergences.
Nous sommes apparus dans ces élections comme la quatrième force politique du pays, certes encore faible. Il s’agit aujourd’hui de partir des acquis de cette campagne, en continuité avec le travail commun de nos deux organisations, pour la renforcer et la développer, c’est-à-dire enraciner nos axes politiques dans le monde du travail
Cette quatrième force s’organise autour de l’axe politique que nous avons défendu durant cette campagne et que nous défendrons dans les européennes et les luttes à venir.
Par delà les élections, la nouvelle force que nous voulons construire est un parti des luttes, un parti militant et pas un parti électoraliste. Il ne naîtra pas de quelque miracle électoral mais bien de notre capacité à formuler et mettre en œuvre concrètement, pratiquement une politique pour le mouvement ouvrier.
Sauf de nous prendre nous-mêmes à contre-pied, le succès de la campagne militante autour du programme pour les luttes conduit tout naturellement à développer l’accord avec LO, à nous situer dans la perspective d’un front des révolutionnaires, prolongement de l’accord électoral.
Ce que nous avons fait pour les élections nous pouvons et devons le faire pour les luttes.
Face à l’impasse des mirages institutionnels construire une perspective pour les luttes
Nous sommes aujourd’hui devant un nouveau développement de la crise sociale et politique. Le nouveau gouvernement Raffarin III, véritable provocation, est illégitime, il naît désavoué et rejeté.
Ses fonds baptismaux, ce sont l’illégitimité et la provocation.
Faut-il alors mettre en avant une perspective politique du genre de celle qu’avance la gauche du PS, soit dissolution de l’assemblée, soit dehors Chirac-Raffarin-Sarkozy.
Pour le mouvement ouvrier, le problème ne se pose pas en ces termes qui ont l’apparence du bon sens. Mais ce bon sens n’est pas le nôtre, mais celui de ceux qui se battent pour aller au pouvoir.
Le mouvement ouvrier lui se bat pour ses revendications, ses exigences, la question du pouvoir ne se pose pour lui qu’en terme de rupture institutionnelle et sociale.
Il n’est pas juste de laisser croire qu’il y aurait un débouché politique hors des rapports de force réels et de la politique des différents partis. Nous disons : profitons de la faiblesse de ce gouvernement pour imposer nos revendications sans craindre d’aggraver la crise politique que craint le PS. Oui, la rue peut gouverner. Quel que soit le gouvernement tout dépend de nous ! La gauche social-libérale est couarde parce que, quant au fond, elle n’a pas d’autre politique que celle de la droite. Nous ne pouvons lui accorder la moindre confiance. La seule réponse est de nous donner les moyens d’imposer notre contrôle et de construire, à terme, un rapport de force qui nous permette de mettre en place notre propre gouvernement, celui des travailleurs et de leur organisation.
Aujourd’hui, nous n’en sommes pas là.
L’heure est à l’organisation d’un mouvement d’ensemble pour défendre le doit à la santé pour tous. Qu’ils cèdent ou qu’ils partent !
* * *
Ces élections soldent les comptes d’une période politique d’alternance et de cohabitation de la droite et de la gauche engagée dans la même politique au service du Medef dans le cadre de la mondialisation financière et impérialiste.
Nous entrons de plain pied dans une nouvelle période.
La prochaine étape verra se conjuguer la montée des luttes et les élections européennes, elle sera l’occasion d’enraciner les axes de campagne à un niveau supérieur, de dépasser les limites de la campagne des régionales.
Prenons nos responsabilités, nous avons ensemble développé un programme pour les luttes, ensemble sur le terrain social travaillons pour préparer ses luttes. Les uns et les autres, les militants du mouvement social, nous avons des terrains ou des modes d’interventions divers, cette diversité enrichit nos expériences du moment que nous militons autour de la même volonté de défendre les intérêts du monde du travail.
Nous ne sommes pas électoralistes, le front commun que la LCR et LO ont réalisé pour cette bataille électorale peut se transformer en un front militant, ouvert et démocratique, sur la base de l’accord politique qui nous a unis.
La crise sociale et politique que crée l’offensive des classes bourgeoises contre le monde du travail vient de franchir un degré de plus. Il y a urgence à coordonner les moyens et les forces de tous ceux qui veulent résister et se battre.
En rester au plan électoral serait faire passer des divergences appartenant pour beaucoup au passé avant les intérêts du monde du travail.
Ce sont ces intérêts du monde du travail qui nous dictent notre politique. Ils nous imposent aujourd’hui d’unir nos forces pour permettre le regroupement dans le même parti de tous ceux qui se sont reconnus dans notre campagne et vont se tourner vers nous.
Yvan Lemaitre