Propagande patronale

Tout ce qui touche de près ou de loin à l'actualité politique en France

Message par Weltron » 28 Jan 2003, 22:34

a écrit :> > LA LIBERTE
> > Monique* est employée dans une grande banque à Paris. Comme la
majorité de ses collègues, elle habite en grande banlieue, seule solution
pour elle de disposer d'un habitat décent. Les loyers  parisiens lui sont
bien évidemment inaccessibles.   Chaque jour, elle utilise les transports en
commun pour se rendre a son travail. Ce trajet lui coûte 1 heure et demie de
son temps le matin et autant le soir pour rejoindre sa maison ou elle
s'occupera ensuite de sa famille. C'est en femme libre que Monique a choisi
de travailler. Nombre de personnes de son entourage ont, quant a elles,
choisi de ne pas travailler tant les diverses subventions légales a
l'inactivité les ont poussées a refuser un travail pas assez payé et éloigné
de leur domicile.Ces personnes ont pertinemment et logiquement choisi de
rester chez elles.
La liberté a un prix que Monique paye lourdement ces jours- ci car, au
motif d'une autre liberté appelée le droit de grève,  quelques salariés de
la SNCF ont choisi de bloquer les transports publics. Les 3 heures de
transport quotidien se transforment alors en un véritable gymkhana pour
rejoindre son travail dans les meilleurs délais car Monique ne peut se
permettre être absente.
Monique, d'origine modeste, se sent culturellement un peu solidaire des
salariés qui militent pour améliorer leurs conditions de  travail. Elle sait
que les siennes sont difficiles et conçoit que celles des autres le soient
aussi. Ce dernier argument relativise un peu sa galère devenue quotidienne
après 6 jours consécutifs de grève. Liberté de travailler pour Monique et
Liberté de grève pour les autres.
> > Égalité
> > Ce que Monique ignore, ce sont les motifs précis du mécontentement de
ses alter ego du service public. Elle ignore que les grévistes de la SNCF
refusent le plan " Cap Clients" qui a pour vocation de mettre l'entreprise
au service de ses clients.
L'entreprise dans laquelle travaille Monique a toujours été au service de
ses clients sinon voila longtemps qu'elle aurait mis la clé sous la porte.
Elle ignore que les grévistes de la SNCF militent pour maintenir leur
retraite a 50 ou 55 ans, calculée sur les toutes dernières années
d'activité, alors que Monique ne partira probablement pas en retraite avant
65 ans et n'a aucune idée de quelle manière sera payée son hypothétique
pension pourtant bien méritée.
Elle ignore aussi que cette retraite a 50 ans ou 55 ans ne peut être
financée par la seule caisse de retraite des bénéficiaires de la SNCF.
Par solidarité, la caisse de retraite du privé, a laquelle Monique cotise
chaque mois, a l'obligation de combler une partie du trou de la caisse de
retraite public incapable d'honorer seule ses engagements sociaux. Comme
cela ne suffit pas, le solde est financé par l'impôt sur le revenu dont
Monique malgré ses revenus modestes vient de s'acquitter comme une minorité
de français.
Elle ignore encore que le salaire net qu'elle touchera en fin de mois, pour
35 heures de travail  efficace par semaine est sensiblement inférieur au salaire moyen du salarié dudit
service public pour des heures de travail effectives que personne ni même la
direction ne sait calculer exactement.
Elle ignore enfin que la direction de la SNCF accordera, comme d'accoutumée,
a ces revendications une fin favorable en augmentant les salaires
conformément à la demande des grévistes et en payant, fort probablement, les
jours de grève. Monique, par contre, se verra déduire en fin de mois les
heures de retard qu'elle aura accumulé pendant cette semaine de progrès
social.
Ignorer tout cela permet sans doute de mieux accepter cette conception de
l'Égalité !
> > LA FRATERNITÉ
Monique est fraternelle puisqu'elle paye chaque jour de ses propres deniers
le statut de ce service public. Cette semaine, elle paye un petit extra qui
se traduira sur sa feuille de paye, par son manque de sommeil, par le stress
d'arriver en retard au travail, puis d'arriver en retard a la maison.
Demain, toujours fraternelle, elle continuera a payer l'addition lorsqu'elle
continuera a travailler pour payer la généreuse retraite des salariés de la
SNCF de sa génération, mais partis 15 ans plus tôt.
> > Liberté, Égalité, Fraternité ... nous voila rassurés, le droit de grève
respecte bien les bons principes de notre république. Il  est donc bien
constitutionnel.
Au fait, Monique ne travaille-t-elle pas avec vous ?  Si elle travaille avec
vous surtout ne lui dites rien de tout cela....
(*) Le prénom a été modifie.
> > ------------------------------------------------- > VIVE LA SNCF !
> > Quelques chiffres a connaître :
> - Recettes annuelles : 57 milliards de F
> - Budget annuel : 118,5 milliards de F
> - Subvention annuelle de l'état : 75 milliards de F (un Crédit Lyonnais
tous les 2 ans avec nos impôts)
> - Financement des retraites : 14 milliards (toujours avec nos impôts)
> - Dette a financer : 232 milliards (SNCF + RFF, l'équivalent du CDR au
Lyonnais)
> > Situation d'un conducteur de TGV :
- Salaire : de 14000 F en début de carrière a 21000 F en fin de carrière.
- Plus : prime de fin d'année, prime de travail (restons calme), prime de
parcours, prime de TGV, prime de charbon (vous lisez bien), gratification de
vacances, gratification annuelle d'exploitation,indemnités pour heures
supplémentaires, allocation de déplacement (non imposable), etc.
- Horaire de travail : 25 heures par semaine (vive les 35 heures)
- Retraite à 50 ans
- Soins : gratuits (sur le temps de travail) auprès d'un des 15900
établissements de soins agréés ou ils sont couverts a ... 100%
- Autres privilèges : gratuité des transport pour les agents et leur famille
(en première), CE très généreux, ....
- Et : EMPLOI A VIE.

> > Transmettez ces chiffres au maximum de personnes que vous connaissez, et
qui empruntent la SNCF régulièrement, pour que l'on n'entende plus a chaque
grève un "usager" a la radio dire : "Ils ont sûrement  raison de faire grève
mais ...." >


C'est cette belle prose que m'a transmise par mail un copain qui me demandait ce que j'en pensais (il se doute que je ne suis pas d'accord, mais il veut mes arguments). Je lui fais ma réponse demain, que je lui enverrai certainement dans l'après-midi.

Je sais déjà à peu près ce que je vais lui dire, mais j'aurais aimé avoir l'avis des uns et des autres sur les arguments à employer.

Et puis, vous recevez aussi ce genre de conneries, vous ?

Pour la petite histoire, il y a à peu près un an, j'ai reçu un mail pratiquement similaire qui parlait d'une jeune femme habitant en banlieue et qui s'appelait ... "Sophie" ! J'ai l'impression qu'il y a un petit malin qui invente des histoires sur les gens pour pouvoir militer contre le droit de grève, et qu'il change régulièrement de prénom ! :x
Weltron
 
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Message par berni » 28 Jan 2003, 23:04

Non, je n'ais jamais reçus ce genre de mail :huh:
berni
 
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Message par gipsy » 28 Jan 2003, 23:05

Comme il s'agit manifestement d'un militant anti grève(qui a l'air d'avoir une certaine rancoeur à l'égard de la sncf) qui travestit complètement la réalité, je te propose un article du dernier numéro de LO qui justement porte sur le régime des retraites et des conditions de travail detous les travailleurs de la sncf et pas seulement les plus privilégiés:

(LO@1799 a écrit :La retraite des cheminots : De la propagande à la réalité

--------------------------------------------------------------------------------

Sous prétexte d'égalité, la propagande visant à amener l'ensemble des salariés à 40 ans minimum de cotisations avant de pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein alimente la mise en accusation de tous les régimes spéciaux. À l'EDF-GDF, les salariés sont mobilisés contre les projets en cours de leur direction, appuyée par le gouvernement. À la SNCF, les cheminots se sont réjouis du résultat du référendum à l'EDF-GDF, car ils savent que le gouvernement prépare aussi une attaque en règle contre leur système de retraite... et eux non plus n'ont pas l'intention de laisser faire. Non pas parce que leur système est mirobolant, mais parce qu'ils ne veulent pas qu'il empire. Car il faut vraiment l'aplomb et l'arrogance d'un Raffarin pour présenter les régimes spéciaux de retraite, dont celui existant à la SNCF, comme des privilèges.

Il n'est certes pas négligeable de quitter le travail à 55 ans. Mais encore faut-il savoir avec quels moyens ! Par exemple, récemment, une employée SNCF du service commercial d'une grande gare parisienne arrivant à l'âge de la retraite et dont le salaire en fin de carrière s'élève, en comptant large, à un peu plus de 1000 euros (environ 7 000 F) a demandé à ne pas partir en retraite tout de suite compte tenu de la faiblesse du montant de la pension à laquelle elle a droit. La SNCF a refusé !

Embauches précoces...

Il faut savoir que le montant de la retraite des cheminots est calculé sur la rémunération de base des six derniers mois et est proportionnel au nombre d'années travaillées à la SNCF. Pour avoir une retraite à taux plein, il faut donc avoir cotisé 37 ans et demi, c'est-à-dire avoir été embauché à 17 ans et demi pour ceux qui partent à 55 ans ou à... 12 ans et demi pour ceux qui partiraient à 50 ans !

Autant dire que les départs à 50 ou 55 ans s'accompagnent d'une baisse très importante des revenus et donc du niveau de vie, comme c'est le cas pour l'immense majorité des salariés. La plupart des cheminots partent à 55 ans avec une petite retraite, souvent réduite au minimum de pension dont le montant forfaitaire correspond, à l'heure actuelle, à peu près au Smic, et à condition d'avoir fait au moins 25 ans à la SNCF. Seules les années passées à la SNCF sont prises en compte, celles travaillées dans une entreprise privée par exemple, avant l'embauche à la SNCF, sont décomptées séparément, à partir de 60 ans seulement, dans le cadre du régime général.

Un ouvrier SNCF travaillant dans les fosses pour opérer sous les rames les visites nécessaires à l'entretien gagne aujourd'hui, avec 29 ans d'ancienneté, 1 500 euros net en bas de la feuille de paie. Entré à la SNCF à 19 ans et demi, il partira bien à 55 ans, mais avec seulement 35 ans d'ancienneté et une pension qui sera donc loin d'être à taux plein. Un autre ouvrier opérant les visites des rames sur un triage de la banlieue parisienne, entré à 20 ans à la SNCF et ayant 32 ans d'ancienneté aux chemins de fer, reçoit un salaire d'environ 1500 à 1650 euros net, selon les mois. Il partira à la retraite avec 34 ans d'ancienneté et lui aussi sans avoir la retraite à taux plein. Et l'un et l'autre devront se contenter d'une retraite mensuelle tournant aux environs de 1000 euros. Autre exemple, un ouvrier professionnel technicien, faisant de la maintenance sur des rames voyageurs classiques, qui part à 55 ans avec 36 ans et demi de cotisation reçoit une retraite nette de 1 320 euros.

Les primes ne comptent pas

Dans le calcul des retraites, n'entrent pas bien des primes qui sont très nombreuses. Par exemple, une partie du salaire appelée indemnité de résidence (5 % du traitement en région parisienne) n'est pas prise en compte. Les primes liées au travail de nuit, des dimanches et jours fériés, aux astreintes, etc., ne comptent pas non plus dans le calcul des retraites. Il n'existe pas non plus de retraite complémentaire.

Quant aux agents de conduite qui seraient les privilégiés des privilégiés des cheminots, ils sont en effet mieux lotis... à condition d'accepter d'embaucher à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, à condition de dormir à des dizaines ou des centaines de kilomètres de chez eux plusieurs fois par semaine, de mener une vie complètement déréglée pour ce qui est des conducteurs de grandes lignes et en particulier de TGV. Un conducteur de TGV peut alors partir à 50 ans avec une retraite au minimum de 1 500 euros (ce qui n'est tout de même pas mirobolant), à condition qu'il ait au moins 25 ans d'ancienneté et qu'il ait fait vingt ans de conduite. Pour avoir une retraite d'environ 2 200 euros, ce qui est le maximum qu'il puisse atteindre, il lui faudra avoir fait au moins 30 ans de conduite. Sans compter qu'il ne s'agit là que de quelques centaines de conducteurs de TGV parmi les 18 000 roulants sur les 180 000 cheminots de la SNCF...

Il n'y a pas que les cheminots

Et puis la SNCF fait également travailler environ 8 000 ouvriers et employés, à temps complet ou partiel, qui n'ont pas le statut de cheminots. Eux partent à soixante ans et doivent avoir cotisé 40 ans pour toucher la retraite à taux plein. Sur les triages de la région parisienne, il s'agit par exemple d'ouvriers marocains ou espagnols qui font les 3x8 toute l'année et arpentent les voies et les trains par tous les temps pour un salaire guère plus élevé que le Smic. Enfin, il y a tous ceux qui travaillent dans les gares, dans les trains, dans les ateliers, etc., pour la SNCF et qui sont salariés d'entreprises de nettoyage, de services divers, depuis les bagagistes jusqu'aux vendeurs de boissons et de sandwichs dans les trains. Qu'ils soient employés par des filiales de la SNCF ou par des entreprises privées, concessionnaires de tels ou tels travaux, ces travailleurs sont au régime général des retraites.

Ainsi, non seulement le système de retraite cheminots ne concerne pas tous les employés du chemin de fer mais encore, la plupart des 180 000 cheminots ne sont pas en situation de toucher une retraite à taux plein lorsqu'ils arrêtent de travailler. Et sur la base des salaires pratiqués par la SNCF, cela signifie qu'ils ne touchent le plus souvent qu'une retraite très modeste.

Raison de plus pour ne pas laisser rogner le système actuel. Ce qu'il faut, au contraire, c'est que l'ensemble des cheminots avec tous les autres salariés, des secteurs publics et du secteur privé, unissent leur mécontentement et leur force pour imposer que la durée de cotisation soit de 37 ans et demi pour tout le monde, mais aussi que les salaires et les pensions soient augmentés de façon importante.

Lucienne PLAIN


Voilà qui me semble plus proche de la réalité
Tu doit pouvoir y puiser un bon petit paquet d'arguments!! :17:
gipsy
 
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Message par pelon » 28 Jan 2003, 23:14

Cette histoire est effectivement cousue de fil blanc. On peut répondre point par point. A titre d'exemple :
Monique ignore que la SNCF essaie de rentabiliser un maximum. Le service public se détériore surtout à cause de ces "économies" en tous genres qui se font non seulement au détriment des cheminots mais aussi des usagers. Monique a donc raison de se sentir solidaire des grévistes qui défendent aussi ses intérêts.
Ce que Monique ignore peut-être c'est que des gros malins inventent des histoires à dormir debout. Elle a entendu que le taux de cotisation dans le public était inférieur au privé mais comme elle travaille depuis 2 ans seulement elle ne sait pas que c'est la situation des salariés du privé qui s'est dégradé pas celui du public qui s'est amélioré. Elle ne se souvient pas non plus qu"une grande grève, fin 1995, a fait reculer le gouvernement Juppé et la CFDT de Notat qui voulaient imposer 40 ans au public. Cette victoire a aussi été celle du privé. En cas de défaite nous en serions dans le privé à 42 ou 44 ans de cotisations; Et c'est de nouveau ce qui se pose. Notre place forte, privé comme public, ce sont les 37,5 années de cotisations dans le public. Une défaite sur ce terrain serait celle de tous les travailleurs. Monoique accepte donc la revendication de 37,5 ans pour tous.
Quand à ceux qui trouvent toujours qu'il y a des privilégiés parmi les travailleurs, elle se demandent qui ils sont. Elle trouve que ceux qui ont écrit sa petite histoire, s'ils ne sont pas payés par le MEDEF, perdent bêtement de l'argent.
pelon
 
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Message par Weltron » 29 Jan 2003, 15:37

Ben voilà, j'ai envoyé ma réponse à plein de monde (même à des gens que je ne connais pas) ... On verra ce que ça va donner. :smile:

Si j'ai des réponses intéressantes, je vous en ferai part.
Weltron
 
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Message par emman » 29 Jan 2003, 15:49

(Weltron @ mercredi 29 janvier 2003 à 15:37 a écrit :Ben voilà, j'ai envoyé ma réponse à plein de monde (même à des gens que je ne connais pas) ... On verra ce que ça va donner. :smile:

Si j'ai des réponses intéressantes, je vous en ferai part.

Vas y met là ici (la réponse), comme ça on l'enverra à plein de monde et pis nous aussi on va faire une grande chaine !!! :bounce: :bounce:

Celle de Pelon n'est pas assez travaillée, pas assez vicieuse... :hinhin:
emman
 
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Message par Weltron » 29 Jan 2003, 16:11

Bon, ben puisque c'est demandé si gentiment ... :-P Voilà ce que j'ai répondu. Et surout, n'hésitez pas à critiquer !

a écrit :Hello !

Je viens de recevoir cet intéressant petit texte, que l'on pourrait appeler "Les Malheurs de Monique". Peut-être l'avez-vous déjà lu, mais pour le cas où vous auriez manqué ce merveilleux spécimen de prose pro-patronale, je vous le livre ci-dessous.

[Ici, le texte du mail sur Monique.]

On m'a demandé ce que j'en pensais. À vrai dire, après la première lecture, j'avais du mal à mettre de l'ordre dans mes idées tant la moutarde me montait au nez. Mais bon, j'ai fini par me calmer, alors voici mon opinion.

Il s'agit ni plus ni moins d'un texte de propagande, où l'étroitesse d'esprit le dispute au mensonge et à l'hypocrisie. Ainsi, il est fort orienté (par exemple, les aides accordées aux personnes au chômage ou en difficulté sont appelées "subventions légales à l'inactivité" ; les cheminots sont supposés refuser un plan de la direction ayant pour "vocation de mettre l'entreprise au service de ses clients" sans qu'il soit fait mention le moins du monde de la véritable teneur économique de ce plan, etc.). L'affirmation sur la "Retraite à 50 ans" est tout aussi malhonnête. En effet, elle laisse croire qu'un agent de la SNCF peut partir à 50 ans et bénéficier d'une retraite à taux plein. C'est totalement faux ... à moins que le salarié en question ait commencé à travailler à 12 ans et demi ! Ceux qui partent à 55 ans (et ce sont les plus nombreux) ne touchent pas toute leur retraite à moins d'avoir commencé à travailler à 17 ans et demi, et encore, à condition d'avoir fait 25 ans à la SNCF (les autres années, passées par exemple dans une entreprise privée, sont comptabilisées dans le régime général). En outre, une partie du salaire (appelée "indemnité de résidence", environ 5% dans la région parisienne) n'est pas prise en compte dans le calcul des retraites, pas plus que les primes liées au travail de nuit, au travail les dimanches et jours fériés, etc. Tout cela sans parler des milliers de salariés de la SNCF qui n'ont pas le statut de cheminots (qui eux doivent travailler 40 ans pour toucher une retraite à taux plein), plus les employés de filiales de la SNCF ou d'entreprises privées, qui travaillent par exemple au nettoyage des gares. Et contrairement au larbin du MEDEF ayant commis cette diatribe et qui ne prend pas la peine de citer ses sources lorsqu'il énumère les supposés avantages des salariés de la SNCF, ce qui réduit d'autant la crédibilité de ses affirmations, j'ajouterai que les précisions que je viens de donner proviennent du n°1799 de l'hebdomadaire Lutte Ouvrière.
(Note : Je me doute bien que certains se diront "Ah d'accord, si c'est LO qui le dit, c'est pas étonnant, ils ne sont pas objectifs". À ceux-là, je répondrai qu'on n'est pas obligé de prendre tout ce que dit LO pour argent comptant, mais que les faits sont les faits, quelle que soit l'identité de celui qui les rapporte. Par conséquent, les sceptiques devraient eux aussi avancer des arguments, des explications et des données sur la question des retraites à la SNCF, et ce en citant leurs sources, pas comme le pitoyable biographe de Monique. De toute façon, comme je l'explique plus loin, le fond du problème n'est pas là.)

Comme on le voit, l'auteur exagère volontairement les avantages des salariés de la SNCF (frisant parfois le ridicule) pour les besoins de sa lamentable démonstration. Mais alors, me dira-t-on, que veut-il démontrer ?

Oh, rien de bien nouveau. À travers cette petite histoire, il cherche à discréditer une partie des travailleurs (en l'occurrence, les salariés de la SNCF) aux yeux des autres. Pour cela, il dresse la liste des avantages des premiers et des désavantages des seconds, décrivant par le menu les bonnes et les mauvaises conditions de travail. Et effectivement, quand les cheminots font grève, beaucoup de gens connaissent de nombreux problèmes de transport (évidemment, puisque le but de la manoeuvre, c'est précisément l'arrêt du service). Alors on peste, on en a marre et on se dit que moi, j'ai pas tous ces avantages, qu'ils nous pourrissent la vie, etc. Bref, on est (parfois mais pas toujours, heureusement) victime d'un dangereux réflexe poujadiste et nombriliste : la grève me gêne, les conditions de travail des grévistes sont meilleures que les miennes, alors ils ont tort de faire grève.

Bien sûr, il serait extrêmement malhonnête de prétendre qu'il n'existe aucune différence, en France, entre les conditions de travail des divers salariés. Certains s'en tirent mieux que d'autres, c'est incontestable. Il y a là une criante injustice. Alors quoi de plus normal, au fond, que de comparer les uns aux autres ?

Le problème, c'est que celui qui se contente de cette comparaison, il se fait complètement avoir ! Car si Monique (ou Jacqueline, ou Mauricette, ou Fernande ou qui ont veut) a du mal aujourd'hui avec son travail, son compte en banque et sa retraite, ce n'est pas la faute des cheminots. En la matière, l'honnêteté intellectuelle la plus élémentaire serait de rappeler que, si ça va mal pour le privé, c'est parce que les conditions de travail s'y sont dégradées, et pas parce que les conditions de travail du secteur public sont restées les mêmes. En vouloir au secteur public parce qu'il faut y travailler 37,5 ans pour toucher une retraite à taux plein, c'est volontairement ne pas voir que le privé a bénéficié de ces mêmes conditions jusqu'en 1993, date où Balladur a fait passer le nombre d'annuités à 40 ans et le calcul du montant de la retraite d'après les 25 meilleures années (et plus les 10 meilleures années, comme c'était le cas auparavant). Au lieu de dénoncer ce coup bas, certains (comme l'auteur du mail sur Monique) s'en prennent à ceux qui, par leurs luttes, ont réussi en 1995 à déjouer les plans de Juppé qui souhaitait étendre ces mesures au public ! C'est un point de vue absolument ridicule et suicidaire, pour le secteur public comme pour le privé.

Même si les salariés du public s'en tirent mieux, ils sont en dernière analyse soumis aux mêmes pressions patronales et gouvernementales. Et Monique pourra gueuler autant qu'elle voudra, on pourra restreindre le droit de grève, casser les mouvements sociaux, annuler les avantages des cheminots, cela ne lui profitera jamais. Tout au plus sera-t-elle assurée de pouvoir prendre son train tous les jours, afin de pouvoir aller se faire presser comme un citron toute la journée ... sans une minute de retard !

Alors manifestement, ce texte cherche à dresser une catégorie de travailleurs contre une autre. Aujourd'hui, c'est le secteur public contre le secteur privé. À d'autres époques, c'est les travailleurs français contre les immigrés. Parfois, c'est les hommes contre les femmes ... Et la raison de la manoeuvre est toute simple : si les travailleurs gueulent contre d'autres travailleurs, ils ne s'en prendront pas aux véritables privilégiés de cette société. Ils ne s'en prendront pas aux patrons (je parle avant tout des grands patrons) qui licencient alors que leur boîte fait des bénéfices, comme c'est le cas chez Renault, Alcatel, Michelin et bien d'autres ; ils ne s'en prendront pas aux actionnaires qui peuvent, à tout moment, retirer leurs capitaux de telle ou telle entreprise et provoquer la ruine de régions entières (comme actuellement dans le Nord de la France, avec l'usine Metaleurop dont l'actionnaire majoritaire, Glencore, se retire sans crier gare après avoir touché des subventions de l'état et jette un millier de personnes au chômage dans une région déjà sinistrée) ; ils ne s'en prendront pas aux groupes qui s'installent quelque part, touchent des primes et bénéficient d'exonérations fiscales par millions d'euros supposées aider à la création d'emplois et qui, quelques années après, mettent la clef sous la porte et délocalisent en Pologne (ou ailleurs, là où la main d'oeuvre est moins chère) ; ils ne s'en prendront pas aux entreprises qui polluent les plages et soutiennent des dictatures en Afrique ou en Birmanie, comme TotalFinaElf ; ou encore, plus proche de nous, ils ne dénonceront pas la possibilité d'un Juppé de partir à la retraite à 57 ans et demi et de toucher chaque mois son indemnité de député, son indemnité de fonction, son indemnité de frais de mandat et son indemnité de maire de Bordeaux ! Ceux-là, non, ce ne sont pas des privilégiés, ma bonne dame ... En revanche, le cheminot qui peut partir à la retraite à 55 ans et toucher un peu plus de 1 000 euros par mois, alors là, oui, quel salaud ! Franchement, quand je lis ça, j'explose ...

Si les cheminots font grève, c'est pour se défendre. Ce n'est pas pour emmerder le monde, ce n'est pas pour le plaisir de ne rien faire, c'est pour protéger leur niveau de vie. Et ce qui est bon pour eux l'est aussi pour les autres. Sans la réussite des grandes grèves de 95, où en serait-on aujourd'hui ? Si le public avait déjà été aligné sur le privé en matière de retraites, avec 40 annuités pour tous pour pouvoir toucher une retraite à taux plein, peut-on raisonnablement croire que le gouvernement se serait arrêté là ? alors que Seillère lui-même dit qu'il faudra aller plus loin, jusqu'à 45 annuités ? Non, sans ces grèves, le privé pourrait très bien en être déjà à 42 ou 43 annuités, voire plus. Monique a donc tout intérêt à soutenir la grève.

Et puisque, apparemment, on en parle actuellement en France, j'en profite pour dire que toute limitation du droit de grève est à considérer avec la même aversion. C'est par la grève que les travailleurs peuvent se faire entendre, c'est la possibilité de faire grève qui leur donne leur force. Pour conquérir le droit de grève, des gens se sont battus et sont morts (comme c'est malheureusement encore le cas aujourd'hui, dans de nombreux pays). Limiter le droit de grève au prétexte que certains travailleurs souffrent des perturbations du trafic procède de la même logique pro-patronale et met en danger tous les travailleurs, y compris ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et veulent seulement des trains qui arrivent à l'heure. C'est, véritablement, demander à se faire enchaîner.

Opposer les travailleurs les uns aux autres est d'une idiotie révoltante ! Il y a une injustice, c'est vrai. Mais pour y remédier, les travailleurs du privé doivent lutter, eux aussi, avec ceux du public, pour garantir un niveau de vie décent pour tous. C'est important de le dire, car avec la réforme des retraites que le gouvernement nous prépare, on peut être sûr qu'on va entendre : "Oui, mais nous, dans le privé, on doit travailler 40 ans, alors y a pas de raison que pour vous ce soit 37 ans et demi, et gna gna gni et gna gna gna ..." La seule politique utile aux travailleurs, c'est celle qui imposera au patronat et au gouvernement 37 ans et demi pour tous ! Il y a bien assez d'argent pour cela : si les cotisations patronales n'avaient pas systématiquement baissé durant les dernières années, si on ramenait l'impôt sur le bénéfice des sociétés à 50%, si l'état filait moins de subventions aux entreprises, si les salaires étaient plus élevés et si on donnait un emploi stable et bien rémunéré aux 6 millions et quelques de chômeurs et de précaires qu'il y a en France, les caisses de retraite auraient largement assez. Et puis de toute façon, lorsqu'il s'agit de commander des rafales ou des porte-avions à Dassaut, de l'argent, on en trouve !

Alors par pitié, si vous rencontrez Monique, dites-lui qu'elle se fait avoir jusqu'au trognon. Nous sommes tous des travailleurs, et nous avons tous le même intérêt !


P.S. Pour la petite histoire, j'avais déjà reçu un mail comme ça il y a environ un an, racontant la vie d'une certaine Sophie qui connaissait les mêmes mésaventures que Monique et en tirait les mêmes conclusions affligeantes. Pour le reste, c'était pratiquement le même texte ! Cela veut dire qu'il y a quelque part un petit malin qui milite sur le net contre la grève ...
Weltron
 
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Message par pelon » 29 Jan 2003, 16:25

a écrit :
                     Bon, ben puisque c'est demandé si gentiment ...  Voilà ce que j'ai répondu. Et surout, n'hésitez pas à critiquer !

Bravo.
pelon
 
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