Shadoko lundi 14 février à 15h
a écrit :
J'ai quelques questions.
Canardos affirme (qu'on m'arrête si je déforme)
1. La schizophrénie est d'origine organique, et par cela il faut entendre non pas que le fonctionnement du cerveau d'un schizophrène est matériel (cela, on s'en serait douté), mais plutôt que les aspects anormaux qu'on constate chez un schizophrène en examinant son cerveau ne font pas partie des caractéristiques du cerveau qui peuvent évoluer par l'interaction du patient avec son milieu extérieur (au contraire, les connexions neuronales le peuvent, elles, par exemple).
2. Du coup, les psychanalystes n'ont aucune chance de "guérir" le schizophrène (guérir= supprimer sa schizophrénie).
3. Cela n'empêche pas que, si on ne peut pas le guérir tout de suite, le schizophrène a besoin en attendant d'un suivi pour supporter sa maladie, pour pouvoir évoluer le mieux possible dans son environnement social.
En face, Iko, tu n'est pas d'accord. Mais je ne comprends pas bien ta position. Tu n'est pas d'accord avec le point 1? avec le point 2 (qui me semble être une conséquence assez directe du point 1, à moins que ce soit ça que tu contestes)? Ou alors, tu es d'accord avec 1 et 2, et tu penses que 3 est du ressort de la psychanalyse? Peux-tu m'éclairer? Et si tu contestes 1 (et donc 2), peux-tu dire précisément ce que tu trouves à redire aux articles postés par canardos? Ce sont les faits qui sont faux, pour toi (bidonnés)? Ou alors ce sont les interprétations qui sont fumeuses (dans ce cas, pourquoi)?
Enfin, vu que tu n'as jamais répondu directement à ces questions jusque-là, j'imagine une dernière possibilité, tu penses: "je ne connais rien à ces nouvelles techniques, mais je sais que les psychanalystes "soignent" des schizophrènes, alors j'en déduis que leurs méthodes ne sont pas bidons". Si tu penses comme ça, peux-tu apporter des exemples, ou quelque chose qui corrobore cette affirmation, parce que c'est évidement en contradiction avec ce que dit canardos, et j'aimerais alors bien comprendre où ça cloche et chez qui.
Bien compliqué de répondre à ces questions un peu trop succinctes.
1) je refuse ce raccourci : l’origine organique. On constate des anomalies, et du coup, « elles ne font pas partie des caractéristiques du cerveau qui peuvent évoluer par l'interaction du patient avec son milieu extérieur ». Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ce qui est intéressant dans les nouvelles découvertes neurobiologiques, c’est qu’à défaut de démontrer que la psychanalyse ne peut rien pour ces maladies, elle viennent confirmer ce que les analystes affirment depuis qu’ils se sont intéressés aux psychoses : la structure de personnalité du futur schizophrène se fixe dans les six premiers mois. Et pour ceux qui ont lu le texte en anglais que nous a mis Canardos, ce fait est confirmé.
Mais il n’en reste pas moins qu’aucune étude sérieuse ne parle de plus de 50% de schizophrénie retrouvées chez deux jumeaux homozygotes séparés à la naissance.
Qu’est-ce qui fait les 50 autres%.
Et je persiste et signe que c’est le même problème pour l’autisme sauf que dans l’autisme il resterait 20% de facteur sur lesquels on pourrait agir.
Et je maintiens que rien n’est venu prouver jusqu’à présent que la fragilité génétique soit indispensable pour donner un futur schizophrène. Cela est également contenu dans les 50%. La question n’est pas fondamentale, mais je ne supporte pas qu’elle soit balancée aux orties comme cela, sans autre forme de réflexion, au nom du fait que cela recommencerait à culpabiliser mesquinement les parents ! (Je refuse, comme je l’ai dit lors de mon arrivée sur ce forum début janvier d’endosser les conneries d’analystes qui ont culpabilisé les parents)
Rappelez-vous les affiches de LO pendant la guerre du Golf : chaque plein d’essence aura un peu du sang du peuple irakien. Est-ce qu’on cherchait à « culpabiliser » la classe ouvrière de notre pays ?
2) que peuvent faire les psychanalystes ?Premièrement, j’ai toujours dit sur ce forum qu’il faut être plusieurs pour s’occuper de schizophrènes. Donc il y a les psychanalystes, et la psychanalyse, qui est une méthode qui s’appuie sur la question du transfert. Est-ce que le transfert avec un névrosé est du même ordre que celui avec un psychotique, un schizophrène plus particulièrement vu que c’est le sujet du fil ? Et bien non. Mais il faudrait définir ce qu’est le transfert et comment il apparaît dans le suivi des schizophrènes.
Pour les psychanalystes, la cassure structurale des schizophrènes les fait régresser à un stade qui précède le stade dit « du miroir » où l’enfant se reconnaît dans un moi unifié. C’est pourquoi la décompensation schizophrénique se fera par l’éclatement de l’image du corps ; nombreux patients commencent leur écroulement schizophrénique en se regardant des heures dans la glace, et pas pour s’admirer comme narcisse. La schizophrénie, est plutôt du côté de la métamorphose de Kafka.
Deuxièmement : Un schizophrène présente des symptômes primaires, et des symptômes secondaires, si on garde la description qu’en a fait Bleuler et non pas l’affadissement des nosographies reposant sur des listes de symptômes et où il faut en avoir au moins deux dans la liste 1, trois dans l’autre pour rentrer dans le diagnostic. Il faut quand même avoir en mémoire qu’en 1980, aux USA, quand ils ont commencé la série des DSM, le diagnostic de schizophrène se posait pour toute personne qui avait déliré durant plus de trois mois ! Avec ça, on ne peut pas aller bien loin.
Donc, pour reprendre Bleuler, je vous mets un passage d’un article passionnant mais un peu trop compliqué pour le mettre en entier sur le fil, tiré d’une encyclopédie de psychanalyse :
Danielle Roulot, Extrait de : L’apport freudien, « Élément pour une Encyclopédie de la psychanalyse »
a écrit :
« Je nomme la démence précoce “schizophrénie” parce que, comme j’espère le démontrer, la dislocation (Spaltung) des diverses fonctions psychiques est un de ses caractères les plus importants. Pour la commodité, j’emploie le mot au singulier bien que le groupe comprenne vraisemblablement plusieurs maladies. » C’est en 1911, et dans le cadre de l’Encyclopédie psychiatrique d’Aschaffenburg, que Bleuler rompt ainsi avec l’ambiance psychiatrique de son époque. Alors que Kraepelin considère les psychoses comme des « entités morbides qui doivent être étudiés comme des ensembles homogènes, depuis leur début jusqu’à leur terminaison » – ce qui permet donc de prévoir « l’évolution obligatoire des symptômes » –, Bleuler privilégie non la forme, mais le contenu de l’affection.
De 1886 à 1898, Bleuler a dirigé le grand hôpital psychiatrique de la Rheinau, ancien monastère situé sur les bords du Rhin. Il y connaît personnellement chacun de ses patients : « Sans cette expérience de vie communautaire avec ses malades, il n’aurait jamais pu concevoir sa grande œuvre sur la schizophrénie » (C. Müller). Dans la préface de son ouvrage Dementia Praecox oder Gruppe des Schizophrenien, Bleuler souligne ce qu’il doit à la pensée psychanalytique de Freud, mais aussi en quoi il s’en démarque. E. Minkowski situe ainsi le point de rupture : « Les complexes déterminent, pour Bleuler, le contenu des symptômes, expliquent certaines réactions particulières du malade, mais ne constituent pas pour lui la cause efficiente de la schizophrénie [...] Les complexes remplissent le vide creusé par le trouble initial, mais sont incapables de le creuser à eux seuls. »
Démence précoce ou schizophrénie
À la base des symptômes de la schizophrénie (comme lui-même, nous utiliserons par commodité le terme au singulier), Bleuler postule un « x », un « processus morbide », généralement entendu comme processus organique dont l’étiologie est laissée indéterminée, mais pour lequel cependant « l’hypothèse d’un processus physique n’est pas absolument nécessaire ». Ce « x », ce processus, produit des « symptômes primaires » (ou physiogènes), lesquels sont donc l’expression directe du processus, à l’inverse des « symptômes secondaires » qui ne sont que des réactions, des « modifications » de fonctions psychiques, voire des « tentatives d’adaptation » de la personnalité aux effets des symptômes primaires ; mais si les symptômes secondaires ne constituent que des « superstructures psychiques », ils se présentent souvent comme « les symptômes morbides les plus frappants », qui sont donc pourtant les plus susceptibles d’être influencés par l’entourage, les conditions de vie… et l’attitude du médecin.
Cette distinction symptômes primaires-symptômes secondaires, qui sera reprise par nombre de psychiatres phénoménologues, n’est pas un simple cadre sémiologique. Elle constitue, en effet, le fondement de la notion de « guérison sociale » grâce à laquelle Bleuler pose les premiers jalons d’un « travail de secteur » avant la lettre : dispensaire, essais de « sorties précoces », placements familiaux, etc. ; en même temps, l’idée de « curabilité » que porte en elle la notion de schizophrénie – alors que les « déments précoces » étaient avant tout des déments – vient changer la vie à l’intérieur même de l’hôpital : introduction de l’ergothérapie, de la psychothérapie, travail du « contre-transfert » du personnel…
Si la distinction entre symptômes primaires et symptômes secondaires appartient en fait à une « théorie de la maladie », Bleuler, à travers la variation des tableaux cliniques et le foisonnement des symptômes relevant de la schizophrénie, introduit une autre distinction, cette fois à visée nosographique : la distinction entre symptômes fondamentaux et symptômes accessoires. Les premiers sont caractéristiques de la maladie, les seconds peuvent être retrouvés dans d’autres affections.
La tentative de cerner des « signes fondamentaux » ou, mieux, un « trouble fondamental » (tantôt compris comme pathognomonique, tantôt comme « trouble générateur » dont dériverait l’ensemble des autres symptômes) a constitué un défi pour bien d’autres psychiatres, en particulier phénoménologues, à la suite de Bleuler. La difficulté vient alors de ce que nous nous trouvons devant une série impressionnante de « troubles fondamentaux », chacun attaché au nom de son « inventeur » : perte du contact vital avec la réalité (Minkowski), hypotonie de la conscience (Berze), humeur fondamentale ou « engourdissement » (« Bennomenheit », de J. Wyrsch), altération des relations entre le Moi et « l’attitude interne » (Zutt).
La question n’est donc pour personne de « guérir » les schizophrènes, mais de faire en sorte qu’ils ne soient pas envahis par les symptômes secondaires, réactionnels au milieu. Et le délire, quoique veuillent bien dire les positivistes, n’est pas une déficience organique, mais un mode de reconstruction du monde. On peut agir dessus par les neuroleptiques, mais rarement le faire disparaître entièrement. Il fait partie des symptômes secondaires.
En revanche, on peut mettre en place un milieu thérapeutique le moins aliéné possible pour permettre de diminuer, voir d’abraser le maximum de symptômes secondaires.
Et c’est dans cette tâche que les deux jambes de la psychothérapie institutionnelle sont des éléments fondamentaux.
Je laisse de côté pour le moment ce que l’on nomme la jambe marxiste.
Mais la jambe analytique a de multiples facettes :- Il faut suivre les patients, et avoir un minimum d’outil théorique pour ne pas écraser la fragilité des « greffes de transfert » qu’on essaye de mettre en place. Cela s’apprend par l’expérience. Il faut que dans le champ institutionnel, le schizophrène ait un thérapeute à qui il pourra livrer ce qu’il ressent de plus intime, même si c’est souvent à la femme de service que les confidences peuvent se faire. Mais il faut alors que la femme de ménage puisse avoir le droit d’assister aux réunions cliniques pour dire ce qu’elle a recueilli, et ainsi se sentir moins seule dans la prise en charge. Il faut surtout, souvent, avoir une théorie pour supporter la pauvreté du matériel qui est confié dans les cures… Et ne pas laisser tomber le patient…
- Il faut que l’équipe soit formée à comprendre ce qui vient des patients dans ce que chacun ressent. Il faut surtout un outil pour analyser le « contre transfert » (ce que ressent celui qui est censé être dans la position de thérapeute dans la relation transférentielle), surtout quand il devient négatif ; en d’autre terme, quand on ne supporte plus tel ou tel patient, on doit essayer de comprendre ce qu’il vient toucher chez soi pour que cela fasse si mal au point qu’on préférerai l’envoyer ailleurs. Et comme les résistances du thérapeute sont autant inconscientes que conscientes, il faut mettre en place des outils collectifs pour que chacun puisse travailler au mieux ses résistances conscientes et inconscientes.
- Il faut aussi que le groupe soignant lui-même (mais qui peut aussi être le groupe soignant et la famille), s’habitue à « interpréter » les dissensions qui surviennent en son sein comme pouvant être le résultat du clivage interne d’un patient.
Il y a même des expériences que vous allez considérer comme totalement loufoques, mais qui se font régulièrement dans les équipes un peu désaliénées de la merde ambiante que notre société sécrète. Un schizophrène va mal, même très mal et personne ne comprend ni pourquoi, ni ne sait quoi faire. On essaye alors de réunir les différentes personnes qui s’occupent de lui, et elles se causent, même pas forcément du patient…. Et bien, cela peut souvent avoir un effet bien plus fulgurant sur la clinique du patient que l’augmentation des neuroleptiques ou la mise en chambre d’isolement…
Voilà quelques exemples quotidiens qui montrent en quoi la psychanalyse est fondamentale pour s’occuper des schizophrènes.
la suite la prochaine fois… où l’on devra reparler de la cause et l’origine, l’œuf ou la poule… et de bien d’autres choses…