La Mano Negra

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Message par logan » 12 Jan 2006, 20:37

a écrit :Phil, Tom et Jo - Mano Negra
Les doigts de la main
La Mano Negra fut sans doute l’un des meilleurs groupes issus de la scène alternative. Mélangeant rock, punk, ska, salsa et rap, véritables internationalistes de la sono mondiale, ils surent aller à la rencontre de tous les publics, y compris au plus profond de l’Amérique latine. Séparés voici plus de dix ans, trois des anciens membres du groupe, Phil, Tom et Jo, ont codirigé la réalisation d’un double DVD retraçant leur histoire, avec clips, concerts, documentaires et images rares. Souvenirs, souvenirs...

l Dans votre DVD, on peut observer les débuts, en France, de la scène rock de banlieue, univers dont la Mano Negra émerge au milieu des années 1980. C’était important, pour vous, de rappeler votre point de départ ?


Tom - À l’époque, il y avait donc une scène rock fifties, qui était très forte, même si moi, je trouvais cela déjà un peu vieux, et que je préférais les Ramones. Il existait aussi une scène garage punk. Tout ce beau monde jouait dans les squats à Sèvres ou à Montreuil, rue de Palikao à Belleville...

Phil - Jo et moi, on s’est fait la main dans le métro, dans la première formation des Casse-Pieds.

Jo - Le métro, c’était le lieu idéal où l’on pouvait jouer et répéter gratuitement tout en gagnant des thunes. Assez pour manger au foyer africain à sept francs le plat.

Au sein du rock alternatif, vous étiez les seuls à mélanger autant d’influences musicales...


Phil - Parce qu’on était nombreux et que tout le monde avait voix au chapitre. On ramenait nos propres goûts personnels et l’on s’en nourrissait mutuellement.

Tom - Une anecdote. Je commençais à écouter pas mal de hip-hop, les Beastie Boys ou Run DMC. Un jour, Manu Chao se pointe chez moi pour m’emprunter tous mes disques de rap. Il revenait d’un concert avec les Carayos en compagnie des Fishbones, formation qui mélangeait funk et punk. Il avait halluciné. J’étais super-content que Manu sorte de son rock’n’roll des années 1950, dans lequel il s’enfermait un peu. Il a ensuite commencé à faire des maquettes avec des boîtes à rythme de rap.

Qui a donné l’idée de chanter en arabe ?

Phil - Jo et moi. On chantait Sid’h’ bibi dans le métro. Parce que c’était une chanson qu’on entendait aussi bien dans les mariages juifs que rebeus. Alors, dans le métro, quand on n’avait rien d’autre en tête, quand trois ou quatre Arabes rentraient dans le wagon, on la balançait. Cela les faisait sourire et l’on gagnait la pièce. Quand Manu est venu faire la manche avec nous, il a trouvé cela génial. Il a tout de suite voulu qu’on la transpose sur scène. Ce que je trouve hallucinant aujourd’hui, c’est qu’à chaque fois qu’il y a une guerre, ils la mettent sur les ondes alors que c’est juste une chanson d’amour.

La Mano est un groupe à la fois festif et engagé...
Tom - Franchement, nos premiers concerts, c’était d’abord pour nous. Puis, la notoriété grandit. Après, tu vois « chômage-pauvreté-sans-logis » et t’en as marre de ne rien faire. D’où les concerts de soutien. Mais le travers dans lequel on n’a jamais voulu tomber, c’est de se servir de l’engagement comme d’un fonds de commerce. On préférait être reconnus comme un groupe avant tout. Si tu t’exposes pour une cause, il vaut mieux que ce soit fédérateur, qu’il se passe quelque chose, une espèce de fête, à la Béru ou à la Mano, peu importe.

Comment fonctionnait la Mano Negra au quotidien ?
Tom - On votait sur tout. On avait même notre syndicat, qui s’appelait Force rouge. Jo était un peu notre Krasucki, comme l’étaient Antoine ou Cropol, qui est maintenant dans les Têtes Raides. Ils étaient contre tout. Contre les photos, contre la pub... Même contre jouer dans la Mano Negra, puisqu’ils en sont partis à la fin. Quand le label voulait tel single, il y avait le veto Force rouge : on en sortait un autre. Un contre-pouvoir indispensable. Au final, cela ressemblait à une incroyable usine à gaz, un peu dur à gérer, surtout quand tout le monde à son mot à dire. Toutefois, cela a assuré la viabilité du collectif, même s’il aurait fallu trouver d’autres solutions.

Phil - Pour le reste, l’ensemble du groupe signait la partie musicale des morceaux, Manu la plupart des textes. Tom - On avait chacun notre ministère. Phil celui du bœuf1 (on se posait toujours quelque part en ville après le concert). Moi, c’était le côté graphique. Tout le monde avait confiance en chacun. Je fabriquais une pochette de disque que personne ne voyait avant que le 45 tours ne soit publié.

Comment s’est décidé le passage de Boucherie Productions à Virgin ?
Tom - Déjà, à l’époque, Virgin possédait l’image d’un très gros indépendant. C’était le label des Sex Pistols, des Dead Kennedys, etc. Si on voulait acquérir notre indépendance en tant que Mano Negra, il fallait impérativement quitter Boucherie, qui avait déjà Los Carayos et les Garçons Boucher. En même temps, cela me faisait de la peine pour François Hadj-Lazaro. Même Lederman, le manager de Coluche, voulait nous recruter. Avec Virgin, l’avantage, c’est qu’on pouvait penser à l’étranger.

Phil - Sur toutes les clauses, il y avait marqué « avec accord préalable de l’artiste ». On a mis un contrat sur la place publique, sans modification possible. Le premier qui l’a accepté en entier l’a emporté.

Vous étiez un énorme groupe de scène et de tournée...

Tom - Le plus impressionnant, ce fut l’Amérique latine. Des voyages extrêmement riches. Beaucoup de rencontres. On était parti d’abord au Pérou et en Équateur grâce à notre manager. Tout de suite, le groupe a rencontré une adhésion instantanée du public, alors que personne ne nous connaissait. On a observé l’immensité de toutes les injustices que ces gens enduraient. On est allé jouer dans des favelas !

Phil - Ensuite, on a toujours cherché à demeurer au plus près du public. On préférait une tournée des petites salles de Pigalle, plutôt que de remplir le Zénith trois jours de suite.

Tom - On en avait ras-le-bol du circuit officiel. On a toujours préféré se produire plusieurs jours dans la même ville que de se planter un soir dans une grosse salle et repartir le lendemain. Cela coûte plus cher, mais tu ressens au moins un peu où est-ce que tu mets les pieds.

Phil - Je reviens d’une tournée avec Manu. J’aurais jamais cru que la Mano avait laissé une empreinte aussi forte sur la jeunesse latino, sur les groupes sud-américains, sur des gens qui ne nous ont jamais vus, y compris dans des parties du monde où l’on n’a jamais mis les pieds.

Propos recueillis par King Martov
1. Improvisation collective.

• Mano Negra, Out of Time, 2 DVD, Virgin. • Mano Negra, Lo mejor de la Mano Negra, 2 CD, Virgin.
logan
 
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