(Puig Antich @ jeudi 26 janvier 2006 à 22:02 a écrit : Oui, et non. Le fait de considérer - ou non - la forme Etat, la forme Conseil, (Syndicat pour les plus arriérés), comme "dépassé" :
1) n'infirme pas la nécessité de la dictature du prolétariat, qui pourra se trouver une multitude d'autres formes
2) petite réflexion sur la démocratie, que tu villipende par ailleurs : si tu considére qu'aucune organisation "séparée" ne pourra faire quelque chose "à la place du prolétariat", tu te places d'une certaine manière d'un point de vue "démocratique", ou "spontanéiste" (autopraxis, etc.). - ce qui n'est pas encore contradictoire avec la "dictature du prolétariat". TC remet en cause la dictature du prolétariat par la nécessité de son autonégation ; c'est une piste intéressante, mais considérer dialectiquement affirmation du prolétariat comme classe du capital et autonégation dans un même mouvement, c'est encore accepter à mon avis la nécessité de sa dictature révolutionnaire (ce qui est une bonne chose).
a écrit :Oui, mais, et j'ai déjà donné l'argument, c'était à une époque où la classe montait en puissance, où le prolétariat se constituait en mouvement ouvrier, se donnait des organisations... jusqu'à contraindre le capital et l'Etat à lâcher du lest, d'où en Occident le compromis fordiste, ou keynésien, dans le même temps où le capitalisme passait, eu début du siècle, en subordination réelle, cad tendait à dominer et définir tous les rapports sociaux, et pas seulement la production industrielle.
C'est vrai en partie qu'il réalise ce compromis contraint par le prolétariat ; mais si on observe les conditions d'apparition du compromis fordiste et de ses différents avatars (en URSS aussi), on voit bien qu'il ne le fait pas uniquement sous la pression du mouvement ouvrier, qu'il s'agit d'une forme adaptée à un moment précis de sa crise, et pour la surmonter ... et que cette crise n'est pas uniquement celle provoquée par les luttes prolétariennes, mais surtout par ses contradictions propres (au capitalisme) : saturation des marchés, surproduction, krack boursier, conflits entre impérialismes, etc. De même pour la "subordination réelle", encore qu'il faudrait fouiller un peu plus ce concept (de Marx, "domination réelle").
Mais sinon, et uniquement sur ce point, d'accord avec Sterd, donne nous ton point de vue sur l'actualité.
Pour discuter cette question il faudrait pouvoir historiser le concept de dictature du prolétariat dans les conditions de ce qu'est devenu le prolétariat dans la restructuration actuelle du capital. Je retiens volontiers ce point de l'analyse de TC : le prolétariat tend à être défini par le précariat plus que par le salariat, la frontière entre emploi stable et chômage est devenue très floue... autrement dit le prolétariat se rapproche du concept chez Marx, celui qui n'a pour vivre que sa force de travail, sous réserve qu'on lui achète. TC observe donc depuis quelques années les luttes dans lesquelles le prolétariat, dans sa lutte revendicative, se heurte aux limites de ce qu'il est dans le capital (cf les analyses sur l'Argentine)... TC présume (théorie de l'écart) que cette situation va se généraliser (au niveau d'une entreprise ou d'un pays il n'y a pas d'issue) et atteindre son point critique dans la prochaine crise (cycle de Kondratieff etc). Ce qui sera alors posé, c'est le dépassement des limites que les luttes rencontrent actuellement, mais ce sera produit dans le mouvement de la contradiction à son rythme, on ne peut pas précipiter avec un programme politique de gouvernement, le prolétariat n'aura plus rien à "revendiquer" dans le capital, il sera poussé à l'abolir, sinon on retombe dans le schéma auto-gestionnaire, conseilliste, qui ne parvient pas davantage que la vision étatiste à produire l'abolition du salariat comme rapport social.
D'une certaine façon, je te donne raison, il n'y a pas de différence de contenu, par rapport au rapport social d'exploitation, entre 'dictature du prolétariat' et 'conseillisme', ils ne sont que des variantes fondées sur l'affirmation de la classe. Pour simplifier dans un cas elle s'appuie sur la force (le pouvoir d'Etat), dans l'autre sur la démocratie autogestionnaire (le conseillisme)... mais jusqu'à quand et pour quoi faire ? A un moment donné, il faut bien plonger, en finir avec ce qui définit le rapport capitaliste, avec l'existence même des classes, et c'est effectivement une logique d'auto-négation du prolétariat avec dissolution en lui des autres classes ou couches de la société... Tant qu'il y a affirmation de la classe, on ne sort pas du rapport social... L'expropriation ne consiste pas en une ré-appropriation mais en l'abolition du rapport social de propriété... L'Etat n'est pas stabilisé comme "pouvoir sur", il est détruit dans sa fonction de domination (et pour moi, largement de gestion fonctionnarisée)... Les usines ne font pas que changer de mains (pour passer à l'Etat ou au Conseil), elles sont détruites comme rapport social de production... Le communisme n'est pas l'exploitation des travailleurs par eux-mêmes ou leurs semblables, c'est la destruction d'un rapport social et de toutes ses médiations qui n'existent que par lui et pour l'entretenir. Le processus révolutionnaire une fois engagé est contraint d'aller au bout de la logique d'abolition, si il marque un temps, se repose sur ses lauriers et des "zones libérées", c'est un temps de maintien voire de retour aux rapports sociaux antérieurs. C'est ça "le communisme comme mouvement réel qui abolit l'état actuel..."
Si tu veux appeler ça 'dictature révolutionnaire', pourquoi pas ? (la révolution ne sera pas une soirée de gala), mais ce n'est pas la dictature du prolétariat, c'est le processus de son auto-abolition. Je ne pense pas qu'on puisse le concevoir comme un processus démocratique, à ce niveau d'enjeux, à l'échelle mondiale, ce n'est pas réaliste. Il faut pouvoir imaginer de quoi l'on parle quand on écrit dans un tract des choses du genre "le capital conduit à la catastrophe sociale et écologique, à la destruction de l'humanité..." la prochaine crise (20, 30 ans ?) risque bien ne nous mettre au pied du mur.
La conception de TC n'est pas sans me poser des questions. La critique du 'démocratisme radical' me semble fondamentalement juste, en ce que je ne crois pas une seconde en la possibilité d'une alternative anticapitaliste au sein du capital, surtout quand on voit à quoi se limitent les programmes de ceux qui espèrent construire ça politiquement et électoralement. D'une part ça ne vaudrait que pour les pays qui ont une tradition démocratique, et même en France je ne vois aucune stabilité politique possible pour un pareil montage, toute gauche, quoi qu'elle fasse, sera piégée par "l'économie-monde", comme dit Wallerstein. Cela étant, ce qui est intéressant, même si ceux qui le vivent n'envisagent qu'un retour à leur sécurité perdue, c'est la prolétarisation et la précarisation de pans entiers des couches moyennes. Je cherche à saisir en quoi cela peut commencer à créer des conditions de la dissolution des classes intermédiaires dans le prolétariat une fois engagé le processus révolutionnaire. Un noeud de la question révolutionnaire, c'est le parti de la trouille, dans quel camp se rangeront les uns et les autres ? sur la base d'intérêts immédiats apparents avec l'espoir de retrouver leur situation perdue, et donc "en face" ? ou intégrant le prolétariat dans sa lutte d'abolition et participant ainsi de la dissolution des classes ? Plus, d'ici là, la situation évoluera dans le sens de cette intégration, moins il y aura de casse, évidemment. C'est peut-être là que se jouent les termes de ce que tu appelles 'dictature révolutionnaire'...
Vu l'état du monde du point de vue géopolitique et économique, ça ne risque pas de s'arranger, ça pourrait même subir des accélérations brûtales avec la montée en puissance de la Chine et de l'Asie extrême, avec une puissance démographique en déferlante (un Japon multiplié par 10 ou 20 et qui va plus vite dans son passage au capitalisme développé fondée sur la sur-exploitation sans aucune garanties sociales pour les ouvriers, qui a des relais partout dans le monde et les multiplie... Pourtant en Chine, il y autant de personnes qu'en France avec un revenu équivalent, mais c'est 1/20 de la population chnoise, et le tout 1/5 de la population mondiale qui entre dans la danse de la concurrence, les pays de ce niveau de développement sont les dernières réserves de la domination formelle, après ça va accélérer globalement toutes les tensions de la domination réelle). Les projections de la culture démocratique bourgeoise ou républicaine, à l'échelle du monde, n'ont aucun fondement sérieux. Pour moi, les alternativistes radicaux ne sont pas loin d'être des démagogues, avec l'excuse qu'ils s'ignorent comme tels. Sarkozy, ou un équivalent, que ça nous plaise ou non, est sans doute beaucoup plus l'homme de la situation pour le capital, dans les années qui viennent. Franchement, que peut faire la gauche, même majoritaire sur sa gauche, en France, en Europe ? Se barricader avec Schengen pour maintenir le niveau de vie de sa population ? On débouche vite sur des logiques à la LePen-Sarkozy : la gauche le fera ? Elle est historiquement coincée, mais pas pour des raisons de politique, de bidouillages tels qu'on en voit à l'occasion des élections. Personnellement, je trouve que du point de vue de la contradiction capital-travail, ça n'a pratiquement plus aucun intérêt, ça se dégonflera et se regonflera, et seuls en seront dupes ceux qui veulent bien y croire.
Je ne suis pas certain d'avoir répondu très clairement (je suis crevé).
L'actualité, je ne peux la voir qu'à partir de ces considérations. C'est toujours délicat de parler de sa situation personnelle, du boulot. Dans la fonction publique d'Etat centrale, où je suis, mon sentiment est que "les gens" planent complètement, entre illusions et grande inquiétude, et selon leurs catégories sociales. Les hauts-fonctionnaires sont de plus en plus puants, toutes options politiques confondues, ils font du zèle pour toutes les réformes (LOLF, décentralisation, transferts massifs...) avec un discours d'une froideur à vous glacer le dos, mais qui ne provoque aucune réaction (du point de vue bureaucratique, c'est le mariage du soviétisme sans soviet et du libéralisme idéologique : un cocktail explosif, je pense que l'administration à la française a vécu ses beaux jours, par moment, c'est le titanic, c'est pour le moins 'effondrable', alors détruire l'Etat, pour ce qu'il en restera dans vingt ans, à part des flics partout, flics de rue, flics de bureaux...). Je suis assez bien placé pour affirmer que les fonctionnaires, à partir d'un niveau moyen de salaire, sont une sorte de bourgeoisie d'Etat, dont les intérêts commencent sérieusement à créer des fissures au sein du corps social français. A l'échelon inférieur, ça s'annonce duraille pour les partisans de l'unité prolétarienne, ça risque de cliver grave, et les défenseurs du service publics leur employeur ne seront peut-être pas longtemps considérés comme les fers de lance du mouvement social... autre plaisanterie des alternatifs radicaux. A cet égard les émeutes de novembre, quand on en discute autour de soi, sont très révélatrices de réactions, y compris à gauche, de ceux qui ont peur des classes dangereuses, je sens là-dedans quelque chose de pas très sain, pour ne pas dire, subjectivement, de très puant. Je suis contractuel, et quand la CGT (je ne parle pas des autres...) en est à nous proposer de payer un avocat et d'attaquer l'Etat pour exiger la rattrapage d'une prime à hauteur de nos collègues fonctionnaires, alors qu'elle ne lève pas le petit doigt pour les précaires-kleenex au SMIC qui font le même boulot, ça me fait gerber, c'est une mentalité de "privilégiés" pour lesquels le monde doit continuer à tourner comme il est, en mieux pour eux si possible. "On est monté au premier étage, on retire l'échelle, démerdez-vous". S'il est vrai que
"les individus sont toujours parti d'eux-mêmes" (Marx), eux n'iront pas beaucoup plus loin. Ce matin j'ai envoyé ballader le camarade qui me demandait de figurer sur les listes pour les élections catégorielles. J'ai fait ça des années, "représenter", et la plupart du temps, des morts-vivants la bouche ouverte. Je ne peux plus, il y a un moment où se prononcer sur le sort d'un collègue pour un avancement, une promotion... contre un collègue (ce n'est que ça), c'est parfaitement incompatible avec la moindre éthique communiste.